Intervention au congrès du SPD à Iéna 1913 (3)

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Nous avons vécu une situation originale et, d'après mon expérience, unique en son genre : sur une question très importante pour la vie du parti, qui divisait le groupe parlementaire en deux camps opposés, nous avons entendu deux intervenants défendre une opinion et aucun intervenant défendre l'opinion contraire. [2] (« Tout à fait vrai ! ») Ce cas présente une autre originalité, à savoir que l'un des intervenants, celui qui a parlé le plus longtemps, s'est prononcé contre l'opinion qu'il défendait lui-même il y a peu de temps encore. (Vifs applaudissements.) De l'avis de tous ses compagnons d'armes actuels, le discours de Wurm était tout simplement accablant pour tous les signataires de la résolution 114. Il nous a assommés de mots tels que stérilité politique, contradictions absurdes, faillite politique, etc. Wurm n'a tout simplement pas remarqué qu'il nous a fait assister pendant deux heures et demie à une exécution qu'il a perpétrée contre le camarade Wurm le 26 juin. (Hilarité et vifs applaudissements.) Le 26 juin, lors de la réunion décisive du groupe parlementaire, Wurm, d'après ce qu'on m'a rapporté, s'est littéralement déchaîné contre la décision de la majorité. Ses compagnons d'armes actuels lui ont alors lancé des mots et des flatteries que je ne souhaite pas répéter. Depuis, douze petites semaines se sont écoulées, et le radical Saul, qui fulminait, est devenu l'homme d'État Paul. (Hilarité et « Écoutez ! Écoutez ! »). Nous avons déjà connu plusieurs changements d'opinion au sein de notre parti. En quelques années, plus d'un rouge radical a changé d'avis pour adopter une opinion tout à fait différente et plus modérée. Mais nous n'avons encore jamais vu un changement d'opinion aussi radical en douze semaines. (« Tout à fait vrai ! ») Wurm a battu tous les records en la matière. (Approbation.) Si nous organisions un concours de capacité d'adaptation au sein de nos rangs, tous les camarades déchus devraient commander un orchestre pour Wurm et lui faire jouer : Heil Dir im Siegerkranz (Salut à toi, couronné de lauriers). (Hilarité et cris : « Au fait ! ») Le fait est que les reproches de Wurm à l'encontre de notre résolution prouvent de A à Z qu'il s'est complètement éloigné, en si peu de temps, de la compréhension des principes élémentaires de notre tactique social-démocrate actuelle. (« Tout à fait vrai ! » et protestations.) Tout d'abord, le reproche contre les deux premières phrases de notre résolution, qui ne contiennent rien d'autre qu'une évidence pour tout social-démocrate, à savoir le fait que même des impôts avantageux ne changent en rien la base de l'exploitation capitaliste. (« Tout à fait vrai ! ») Et à partir de ces phrases, le camarade Wurm croit devoir conclure : oui, si nous disons cela, alors nous déclarons notre impuissance. Si cela constitue une déclaration politique d'échec de la social-démocratie, une déclaration d'impuissance, alors quelqu'un de plus éminent que nous s'est également rendu coupable de ce crime. Il s'agit de Karl Marx, il y a 50 ans. Wurm savait qu'il y avait là quelque chose de gênant et a donc rapidement passé l'éponge sur cette affaire. Karl Marx s'exprime ainsi sur les questions fiscales en 1850 dans la « Neue Rheinische Zeitung » : « La réforme fiscale est le cheval de bataille de tous les bourgeois radicaux, l'élément spécifique de toutes les réformes économiques bourgeoises. Des plus anciens bourgeois médiévaux aux partisans modernes du libre-échange anglais, la lutte principale tourne autour des impôts... » Les rapports de distribution qui reposent directement sur la production bourgeoise, les rapports entre salaire et profit, profit et intérêt, rente foncière et profit, peuvent tout au plus être modifiés par l'impôt sur des points secondaires, mais jamais menacés dans leur fondement. Toutes les études et tous les débats sur l'impôt présupposent la pérennité de ces rapports bourgeois. Même la suppression des impôts ne ferait qu'accélérer le développement de la propriété bourgeoise et de ses contradictions. »[1] (« Tout à fait vrai ! ») Tout cela est très vrai, mais pourquoi était-il nécessaire d'évoquer cette vieille vérité très juste dans le cadre de la question fiscale actuelle ? Parce qu'avec les derniers impôts fonciers, une somme a été prélevée dans nos rangs pour financer la nouvelle ère qui devait commencer avec l'imposition des propriétaires fonciers. (« Tout à fait vrai ! » et contestation.) Les ouvriers, les gens simples, ont dû penser que la réalisation de la société socialiste commençait déjà. (« Tout à fait vrai ! » et contestation.) N'avez-vous pas entendu que le deuxième intervenant, Südekum, s'est référé à l'expert, le comte Westarp, qui voulait présenter l'adoption de cet impôt comme la réalisation de l'État socialiste ? Le premier devoir des sociaux-démocrates est pourtant de s'opposer à ce que les partis bourgeois, après l'adoption de cet impôt sur la fortune, se dressent contre nous lors des prochaines élections au Reichstag et disent : « Voilà que commence enfin le soulagement, la libération de la classe ouvrière de la vallée de larmes qu'est l'ordre social capitaliste. Il est de notre devoir fondamental de promouvoir avant tout l'éducation socialiste et d'opposer notre position de principe à toute concession apparente des classes bourgeoises. (« Tout à fait vrai ! ») Même la meilleure taxe ne change rien à l'exploitation capitaliste. On travaille ici beaucoup avec le principe du moindre mal. On cherche à défendre la position de la majorité du groupe parlementaire en disant que nous n'avions d'autre choix que d'accepter les impôts indirects ou de voter pour des impôts directs destinés aux dépenses militaires. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si ce choix était réellement possible. Je tiens seulement à expliquer de manière générale qu'il est tout à fait juste de choisir le moindre mal entre deux maux. Mais quel est le moindre mal pour les sociaux-démocrates ? Renoncer à une petite position positive ou abandonner leur position de principe ? (« Très bien ! ») Je pense que cette dernière option est en tout état de cause le pire des maux pour les sociaux-démocrates. Il y a quelques jours, nous avons eu ici un exemple très instructif. Notre camarade hollandais vous a montré que la social-démocratie de son pays avait le choix entre entrer dans un gouvernement bourgeois avec les libéraux ou subir un gouvernement clérical. Et la majorité des camarades hollandais ont déclaré que le plus grand mal serait de renoncer à notre refus de principe de participer à un gouvernement bourgeois. C'est pourquoi ils ont même accepté le risque d'un ministère clérical. Si vous vous rangez à la décision majoritaire de notre groupe, vous vous retrouverez dans une situation où, si la guerre éclate et que nous ne pouvons plus rien y changer, et si la question se pose alors de savoir si les coûts doivent être couverts par des impôts indirects ou directs, vous devrez logiquement vous prononcer en faveur de l'approbation des coûts de la guerre. (« Tout à fait vrai ! » et protestations.) Comme l'a dit Wurm à Leipzig, c'est une pente glissante sur laquelle il n'y a plus de frein. C'est pourquoi nous voulons mettre un terme à cela avec notre résolution et dire à ces écarts : jusqu'ici et pas plus loin ! (Applaudissements nourris.)