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Impressions de retour
Auteur·e(s) | Amédée Dunois |
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Écriture | janvier 1922 |
A l'heure qu'il est, presque tous les congressistes ont quitté Marseille et s'apprêtent à rendre compte, devant leurs Fédérations respectives, de l'accomplissement de leur mandat.
Ce qu'ils ne pourront certainement pas dire, c'est que le congrès ait peu travaillé. Il a parcouru d'un bout à l'autre toute la carrière que lui traçait l'ordre du jour. Il s'est donné, tour à tour, une politique syndicale, une politique paysanne, une politique électorale, une politique militaire, une politique coopérative, une politique féministe. Le voilà outillé pour la propagande incessante qu'il lui faut mener, non seulement au sein de la classe ouvrière, organisée ou non, mais dans toutes les couches de la population perméables à nos idées. Je me réjouis, pour ma par, du vote à la quasi unanimité de la thèse syndicale : il met fin, définitivement fin, à la doctrine négative et stérile du laisser faire, laisser passer, qui était celle de l'ancien parti et qui, après l'expérience des révolution récentes, après l'adhésion du Parti au Communisme, avait perdu tout ce qui lui restait de raison d'être et de légitimité. Certains camarades voulaient à tout prix qu'on fondît la motion Mayoux[1] dans la thèse du Comité directeur. Je me suis opposé à cette suggestion peu digne d'un Parti qui se pique d'avoir des principes absolument clairs et une pratique absolument nette. Il y avait dans la motion Mayoux, je l'ai montré ici dans mon dernier article et l'ai montré aussi devant la sous-commission du Congrès, toute une série de propositions incompatibles avec la doctrine générale impliquée dans la thèse du Comité directeur. Le Congrès l'a compris et il a voté cette dernière telle qu'elle était, avec deux ou trois retouches de forme qui n'étaient nullement, quoi qu'en ait dit Mayoux, des concessions faites par nous à sa doctrine. Le temps des nègres-blancs est passé ! En matière de thèses et de motions, la maxime de la IIIe Internationale est celle des antiques Ecritures : « Si c'est oui, dis oui ; et dis non si c'est non ! »
* * *
Mais le Congrès n'a pas fait que voter des motions et des thèses. Il s'est également occupé de quelques questions brûlantes rangées par lui sous la rubrique « Politique générale ». et il a renouvelé le Comité directeur.
La motion dite de politique générale traite à peu près uniquement de questions particulières. Et la façon dont elle en traite, décèle l'embarras, l'hésitation, le calcul. Vingt fois sur le métier, on a remis l'ouvrage. Pour bien comprendre la motion, il faudrait en pouvoir comparer les termes avec ceux de la première version, qui étaient, paraît-il, autrement significatifs et précis : mais ce travail critique n'est pas à la portée de tout le monde. Au surplus, ce n'est pas la motion de politique générale — adoptée à l'unanimité moins deux voix — qui a fait apparaître au grand jour de graves divergences tactiques, et même doctrinales, car il n'y a pas de divergence tactique qui ne provienne, en dernière analyse, d'une divergence de doctrine. Les divergences, elles cheminaient souterrainement depuis un assez long temps. Elles s'étaient manifestées plus ou moins clairement au Comité directeur, dans les débats relatifs au contrôle de la presse, à la motion Rappoport (sur les pouvoirs du délégué à l'exécutif), à l'institution d'un petit bureau, etc., c'est-à-dire sur la plupart des questions d'organisation qui s'étaient posées devant l'ancien Comité. Les lettres et les articles de Souvarine ne les avaient nullement créées, comme on l'a dit ; tout au plus leur avaient-ils communiqué une certaine acidité, un certain mordant qui, tout d'abord, n'étaient pas en elles et dont, à mon avis, elles pouvaient se passer.
D'où provenaient ces divergences ? Principalement de ce que les uns se sentaient avant tout membres de l'Internationale, dont ils avaient hâte d'appliquer les décisions à la France, tandis que les autres songeaient avant tout à temporiser et, sous prétexte de ne rien brusquer, de voir venir, se montraient assez peu pressés de déférer aux suggestions de l'Exécutif — à ce que l'un d'eux n'hésita pas à nommer, les oukases de Moscou : je ne voudrais pour rien au monde envenimer les choses, mais je puis bien dire qu'en écoutant nos temporisateurs, je me suis plus d'une fois demandé s'il était bien vrai que les centristes nous eussent quittés à Tours. Après le Congrès de Marseille, je ne me le demande plus : consultez la liste des élus au nouveau Comité directeur, elle comporte plusieurs centristes authentiques et notoires. Et cela me semble grave pour l'avenir immédiat du Parti.
Avant Marseille, il n'y avait, à proprement parler, pas de tendances. Il n'y avait que des divergences de vues sur des questions d'organisation ou de tactique, et plus encore, à y bien regarder, d'organisation que de tactique. A la veille de Marseille, elles se sont cristallisées brusquement autour de la personnalité d'un homme. On n'a plus été pour ou contre le petit bureau, pour ou contre le contrôle de la presse, pour ou contre la motion Rappoport — on a été pour ou contre Souvarine. En France, les questions ne tardent jamais longtemps à se personnaliser ; il aurait fait beau voir que les communistes fussent seuls à infliger une exception à cette règle profondément nationale ! — « Pour Souvarine », qu'ils le veuillent ou non, ceux qui parlent de resserrer nos liens avec l'Internationale et qui voient dans le Comité exécutif de Moscou la plus haute instance du Parti ! « Contre Souvarine », ceux qui croient désirable de relâcher les liens de la discipline internationale, comme de la discipline nationale. On était pour ou contre Souvarine, selon la conception plus ou moins communiste ou plus ou moins centriste qu'on s'était faite des rapports entre le Parti et l'Internationale.
* * *
Le malheur a voulu qu'à Marseille, ni le débat personnel ni le débat d'organisation n'aient été franchement portés à la tribune ; c'est que, tout le monde le sentait, l'opinion du Congrès y était médiocrement préparée. La grande masse disait : « Voilà bien toujours les Parisiens avec leurs histoires ! Nous sommes venus pour travailler : travaillons ! » Le débat sur les thèses, l'apparition émouvante de Bordiga — auquel fut fait un accueil qui montre bien qu'on ne saurait jouer, même en France, ni avec le nom ni avec l'autorité de l'Internationale — rassérénèrent l'atmosphère. Mais tandis que les idées s'échangeaient à la tribune, les ennemis de Souvarine, ou plus exactement certains d'entre eux ne renonçaient pas au projet qu'ils avaient fait « d'avoir la peau » du délégué français à l'Exécutif. L'étrange, l'inqualifiable mode de scrutin qui fut utilisé pour l'élection du Comité directeur et que Frossard a si justement flétri — favorise les pires embuscades ; son ineptie se mesure à ce double résultat : Verfeuil, adversaire de l'adhésion à la IIIe Internationale, élu au Comité directeur ; Souvarine, pionnier de l'adhésion, investi de toute la confiance de l'Exécutif, exclu de ce Comité !
* * *
Je ne veux pas insister sur les incidents véhéments qui suivirent la proclamation du scrutin. La manœuvre dont le délégué français à l'Exécutif avait été victime appelait une riposte immédiate. Il s'en produisit deux : celle de Loriot, de Vaillant-Couturier, de Treint et de moi-même qui, considérant que l'élimination de Souvarine avait une signification politique, sortirent avec éclat du Comité directeur, celle de Ker, de Tommasi[2], de Bestel[3], de Marthe Bigot, déclarant ne vouloir rester qu'à condition que Souvarine fût immédiatement confirmé dans ses fonctions de délégué à l'Exécutif.
Deux ripostes au lieu d'une : on peut estimer que c'est une de trop et que les protestataires eussent probablement mieux fait de se mettre d'accord dans une protestation commune mûrement délibérée à l'avancé. S'ils ne l'ont pas fait, cela ne prouve qu'une chose : leur bonne foi, leur manque de calcul. Jusqu'au bout, en effet, ils ont voulu croire que les adversaires de Souvarine ne tiendraient pas le serment qu'ils avaient fait « d'avoir la peau » du délégué à l'Exécutif
Quand la défaite de Souvarine fut devenue publique (et, pour ma part, je ne l'ai connue qu'à la proclamation du scrutin), chacun a réagi à sa manière, selon son tempérament : mais tous étaient d'accord sur le fond.
Toutes ces choses, qui ne sont pas tout à fait belles, ne doivent cependant pas être prises au tragique. Ceux qui parlent d'une « crise » ouverte dans le Parti, par la démission de Loriot et la sommation de Ker, font preuve de légèreté ou bien d'ahurissement. De crise, il n'y en a pas et il n'y en aura pas. Mais il y a une tendance qui vient de naître à l'intérieur de notre unité communiste : elle réunit des hommes d'origine diverse, que rassemble la volonté de mettre au-dessus de tout les principes, l'organisation, la tactique et les décisions de la IIIe Internationale : elle exige que les gestes suivent de près les paroles et que les actes ne démentent pas la doctrine ; elle s'efforcera loyalement de faire de notre jeune Parti un « parti véritablement communiste ».
J'écris ces impressions à la hâte, à mon retour de Marseille, On pardonnera à un voyageur fatigué ce qu'elles peuvent avoir de cursif et de décousu. Je ne crois pas que mes impressions me trompent. Il y a de ces impressions qui vous trompent rarement. Il y a dans ce qui s'est passé à Marseille, ce qu'on a vu et ce qu'on n'a pas vu, selon le mot de l'économiste Bastiat[4]. J'ai essayé de montrer que derrière la soi-disant querelle de personnes — qui n'eût pas valu d'être évoquée ici — il y a un conflit de tendances et de méthodes qui commence et qui cherche, sinon des objets, du moins des formules. Le choix de celui qui signe ces lignes est fait. Quoi qu'il arrive, il est avec Moscou, avec l'Internationale communiste.
La lutte pour la IIIe Internationale, la lutte pour le communisme, n'est pas finie ; elle reprend à cette heure sous la forme d'une offensive de principes contre le centrisme de l'intérieur. Il s'agit d'achever l'œuvre commencée à Tours. En avant pour le Communisme ! Pour la IIIe Internationale, debout et en avant !