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À la veille du Congrès Communiste
Auteur·e(s) | Amédée Dunois |
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Écriture | 22 décembre 1921 |
Comme je quittais, hier, la salle du Congrès de la fédération de la Seine, un camarade vint à moi et me dit : « C'est tout de même dommage que la thèse du Comité directeur soit battue ! »
Ce camarade se trompait. La thèse du Comité directeur n'a pas été battue. Si l'on avait voté pour ou contre elle, elle eût indubitablement recueilli l'unanimité des suffrages — moins les 630 voix qui se sont portées sur la motion Mayoux[1]. Le type de votation auquel le Congrès s'est rangé ne laisse pas suffisament apparaître combien le Congrès fut unanime. Car c'est en fait 9 630 voix qui ont ratifé la thèse directoriale — 9 630 voix dont un pou plus d'un tiers (3 686) s'est prononcé pour la thèse telle qu'elle était et dont un peu moins des deux tiers (5 944) a admis, en plus de la thèse, les adjonctions proposées par Je Comité exécutif de la Seine. Je dis les adjonctions et non les amendements, ce n'est pas du tout la même chose : des adjonctions complètent, tandis que des amendements modifient. Le Congrès de la Seine n'a certainement pas eu l'intention de modifier en quoi que ce soit la thèse du Comité directeur : il s'est boné, après l'avoir adoptée, à lui apporter trois adjonctions complémentaires.
La première[2] déclare qu'il est « souhaitable » qu'en vue « d'action bien déterminées », le Parti communiste et les syndicats s'entendent « sur un pied de parfaite égalité » ; et ce n'est pas moi qui contredirai à un souhait aussi légitime — qui dans le passé au surplus, a été fréquemment exaucé. Mais pourquoi ajouter que, dans ces ententes, pourront être admis tous les autres groupements ? Evidemment l'A.R.A.C., l'Union Anarchiste, la Fédération des Mutilés, etc., qui voudraient travailler dans le même sens et accepteraient une discipline commune ? Oui, pourquoi ? Dans une thèse qui prétend déterminer la tactique syndicale du Parti communiste, que viennent faire des groupements dont on peut penser tout le bien qu'on veut, mais qui n'ont rien de syndical, rien de spécifiquement ouvrier ? Gardons-nous du confusionnisme ! Le confusionnisme dans le classement des faits procède toujours d'un certain confusionnisme dans le classement des idées...
La seconde adjonction n'est pas non plus, et pour la même raison, recevable. Elle fait une « obligation absolue » aux techniciens communistes « d'appartenir à leur organisation travaillant en collaboration avec la fraction révolutionnaire de la classe ouvrière » — autrement dit d'appartenir à l'Ustica[3]. J'accorde la plus sympathique attention au travail si consciencieux et si utile de l'Ustica, dont les tendances actuelles nous sont, je crois, si précieusement favorables. Mais enfin, qu'est-ce que l'Ustica vient faire ici ? Ce n'est pas une organisation de classe, mais une sorte d'académie, de société savante, dans l'esprit de laquelle les préoccupations sociales l'emportent judicieusement sur les préoccupations techniques. Je ne demande pas mieux que notre Parti fasse une règle à certains de ses membres d'appartenir à l'Ustica, mais alors, que ce soit dans une résolution à part et non dans une thèse concernant et ne pouvant concerner que les syndicats et le syndicalisme.
La même adjonction rappelle aux membres du Parti qui, techniciens ou patrons, ont sous leurs ordres des salariés, qu'ils doivent « dans la mesure de leurs moyens » n'employer que des ouvriers syndiqués. Tout à fait d'accord..., malgré que l'incidente soulignée me choque bien un peu ; mais enfin, que vient faire, dans une thèse de tactique syndicale, qui se suffit largement à elle-même, une obligation relative aux ingénieurs et aux patrons ? Il y avait là, à mon avis, matière à une résolution spéciale.
Plus grave, de beaucoup plus grave la troisième adjonction. Elle prévoit la création, dans chaque Fédération, ainsi qu'au centre du Parti, de commissions syndicales — commissions fédérales et commission centrale — dont les fonctions sont énoncées comme il suit : « Etudier et suivre attentivement les répercussions de l'action syndicale sur celle du Parti et réciproquement, déterminer dans les circonstances urgentes l'action de principe des communistes à l'intérieur des syndicats, contrôler l'action des militants du Parti, résoudre les différends entre syndiqués communistes, enfin prendre les mesures nécessaires pour obtenir en toute circonstance l'accord le plus complet dans l'action entre les syndicats et le Parti. »
L'énumération est un peu longue, mais elle est encore assez claire pour que l'on puisse comprendre que les commissions précitées seront des organismes d'étude, d'action et de contrôle. Et le principe est excellent. Ce qu'on pouvait reprocher, j'en conviens, à la thèse du Comité directeur, c'est qu'ayant établi les bases d'une nouvelle politique syndicale (politique d'action et non plus d'abstention), elle ne prévoyait pas d'organe pour la mise en œuvre de cette politique nouvelle. Lacune sans doute, mais non lacune involontaire ! La fonction crée l'organe, disent les physiologistes, mais la réciproque n'est pas vraie.
Si le principe de la création de commissions syndicales fonctionnant au sein du Parti est chose excellente, il ne s'ensuit pas que l'application qu'en fait le Comité exécutif de la Seine mérite un égal éloge. Cette commission syndicale centrale que nommerait le Congrès annuel et qui tirerait, par conséquent, comme le Comité directeur lui-même, son autorité du Congrès, ce serait un pouvoir nouveau constitué au sein du Parti et qui, tôt ou tard, entrerait en conflit avec le Comité directeur. En vérité, on créerait là un dualisme directorial dont le Parti, tiré à hue et à dia, serait bien entendu le premier à souffrir. Pourquoi s'évertuer à diminuer par une inutile déconcentration des pouvoirs, le rôle et la compétence du Comité directeur ? Est-ce là notre façon d'appliquer la douzième condition de l'Internationale communiste sur la « discipline de fer » qui doit régner dans le Parti et sur « l'autorité incontestée » dont doivent être investis les hommes qui le dirigent ?
Autant il importe au Parti que la nouvelle politique syndicale ait un organe d'exécution, autant il importe que cet organe n'engendre pas dans le Parti la dissension, le trouble et l'anarchie. C'est pourquoi le Congrès de Marseille fera bien de repousser la troisième adjonction du Comité exécutif de la Seine. Il ne manquera pas de le faire : d'abord dans l'intérêt du Parti, ensuite et surtout dans l'intérêt des bons rapports que nous voulons instituer entre les syndicats et le Parti. Le Comité exécutif de la Seine aurait voulu éveiller les susceptibilités et les défiances des syndicats qu'il n'eût pas procédé autrement. Des commissions syndicales élues par les Congrès, n'ayant de comptes à rendre que devant les Congrès, apparaîtraient fatalement aux syndicats comme de puissantes machines de guerre contre leur indispensable autonomie. Or, nous n'avons cessé de protester de notre respect des libertés syndicats. Voulons-nous donc que notre premier geste fasse douter de notre bonne foi ?
La politique syndicale préconisée par le Comité directeur et qu'adoptera le Congrès de Marseille nécessite, sans nul doute, un organe d'exécution et de contrôle. Cet organe, le prochain Comité directeur aura à le créer sans retard. Il est prévu dans le « projet Frossard »[4],sous la forme d'une « commission syndicale » fonctionnant dans le sein du Comité directeur et responsable devant lui. Si vive que soit la sensibilité syndicaliste, il est bien peu probable qu'elle puisse se formaliser de l'existence d'une commission comme celle-là, dont les attributions limitées et les pouvoirs restreints ne sauraient échapper à personne.
Camarades communistes, gardons-nous de faire peur ! Gardons-nous d'éveiller la défiance de ceux dont nous voulons gagner l'âme ! De la fermeté certes — mais de la prudence et de la patience plus encore : que telle soit notre devise !
* * *
La motion Mayoux a eu 630 voix, au Congrès de la Seine. C'est sur elle que se sont comptés les syndicalistes impénitents, ceux qui dans le fond de leur cœur, mettant le syndicat au-dessus de tout, refusent catégoriquement au Parti tout droit de parler et d'agir au nom du prolétariat, tout droit de se donner, par suite, une politique syndicale.
Une section — la Xe section, celle de Daniel Renoult — s'est prononcée hier pour la fusion de la thèse directoriale et de la motion Mayoux. S'il n'y avait dans la motion autre chose qu'une affirmation d'autonomie syndicale, qu'une négation de la supériorité de la valeur exclusive du communisme, qu'un rejet du noyautage, la fusion serait chose facile. Tout cela, la thèse du Comité directeur l'affirme, le nie et le rejette aussi bien que Mayoux, lui-même. Mais il y a autre chose... Il y a que Mayoux dénie au Parti communiste le droit « d 'influencer les syndicats dans l'action corporative », autrement dit le droit de propager dans les syndicats l'idée des comités d'usine, celle du contrôle ouvrier, celle de la dictature du prolétariat, etc. Il lui dénie le droit de tracer à ses membres « une ligne de conduite dans les syndicats sans violer l'autonomie syndicale », le droit de proclamer, par exemple, qu'on ne peut être à la fois communiste dans le Parti et syndicaliste au syndicat. Et il dénie enfin au communisme une « valeur supérieure au syndicalisme ».
La motion Mayoux, quand on la considère de près, n'est pas une motion communiste. Communiste d'intention, elle est en fait syndicaliste. Et ce n'est pas, il faut enfin le dire, exactement la même chose. Il y a, dans le communisme, plus qu'il n'y a dans le syndicalisme, même révolutionnaire. Le communisme est nécessairement syndicaliste révolutionnaire, tandis que le syndicalisme révolutionnaire, n'est pas nécessairement communiste. Le communisme est nécessairement plus large ; le syndicalisme, même révolutionnaire, est étroit. Quel est celui des deux qui absorbera l'autre ? Toute la question est là, et c'est pour nous une question définitivement résolue.
La motion Mayoux n'est pas franchement communiste. Et c'est la raison pour laquelle les syndicalistes qui sont dans le Parti tendent, sciemment ou non, à se grouper sur elle. Mais c'est aussi la raison pour laquelle les communistes, au nom de ce que j'appellerai le front doctrinal unique du prolétariat révolutionnaire, la repousseront à Marseille comme ils l'ont hier repoussée à Paris.
Amédée DUNOIS
P.-S. — Le camarade Oscar Bloch, à la suite de mon article sur la Tactique électorale (Bulletin Communiste du 1er décembre), m'a écrit que j'avais inexactement interprété sa pensée.
Je n'ai jamais écrit, me dit-il, que nous devions « reporter dès le premier tour nos suffrages communistes sur l'un des candidats de gauche, radical-socialiste ou socialiste réformiste ». Je n'ai envisagé que les éjections générales qui ne comportent qu'un, tour unique et où, par le jeu mathématique de la loi qui les régit, les partis coalisés ont la quasi-certitude d'emporter tous les sièges sur les partis qui vont aux urnes avec leurs seules forces et en ordre dispersé. Ajoutez-y l'importance de ces élections générales qui fixent pour de longues années la politique du pays, alors que les élections partielles, les seules dont on ait voulu s'occuper jusqu'à présent, négligeables dans leurs résultats matériels, ne valent guère que comme manifestation et comme occasion de propagande.
- ↑ François Mayoux (1882-1967). (note de la MIA)
- ↑ Cette première adjonction a été textuellement empruntée à la motion Mayoux dont je parlerai tout à l'heure. (note d'Amédée Dunois)
- ↑ Union Syndicale des Techniciens de l'Industrie, du Commerce et de l'Agriculture (note de la MIA).
- ↑ Projet de réorganisation ou plutôt d'organisation du Comité directeur (Humanité du 12 décembre). (note d'Amédée Dunois)