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Circulaire sur la Déclaration au VIe congrès, aux amis
Cher ami,
Nous ne pouvons mener d’ici une politique sur l’événement en nous exprimant épisodiquement sur des questions particulières, quoique fondamentales. Des énormes « inconvénients » de notre situation, il découle cependant un petit avantage : nous ne pouvons nous exprimer que de manière générale, sur toute la situation dans son ensemble. Nous devons faire au VIe Congrès de l’I.C., – collectivement, dans la mesure où cela s’avérera possible – , un exposé de notre position sur la politique intérieure et internationale actuelle.
Le sens de la déclaration est celui-ci : énoncer ce qui est. Aucune exagération, aucune ignorance des tentatives officielles actuelles pour s’arracher à la fondrière, mais également aucune diplomatie, mensonge, fausseté, aucune politicaillerie corrompue du style Zinoviev-Kamenev-Piatakov, fonctionnaires égocentriques, complètement irresponsables, pas question de se laver les mains à la Ponce-Pilate comme Krestinsky, ni de servilité puante à la manière d’Antonov-Ovseenko. D’ailleurs il ne vaut même pas la peine de parler de cela. Nous devons dire la vérité, seulement la vérité, toute la vérité.
Il est indispensable d’aborder les questions intérieures d’un point de vue international. Aucune politique intérieure n’aura d’effet sans un cours correct et conséquent de la révolution prolétarienne mondiale. Et une politique intérieure correcte est inconcevable sans un cours international correct, largement et mûrement réfléchi. Il faut carrément poser la question des fautes meurtrières, à commencer par l’année 1923 – Bulgarie – Allemagne – Estonie – Angleterre – Chine... Toute l’autorité accumulée au cours des décennies et renforcée par Octobre a été dirigée vers le sabotage de la révolution : tout d’abord épisodiquement, par bêtise, courte vue, par une capacité de réflexion limitée, et, dans la dernière période, en vertu d’un nouveau système qui a érigé en théorie toutes les qualités ci-dessus indiquées. En 1851, Engels écrivait déjà : « Si un parti révolutionnaire laisse passer des moments décisifs sans faire entendre sa voix, ou s’il intervient sans gagner, alors on peut le considérer comme perdu pour un certain temps. » Nous avons systématiquement laissé passer des moments révolutionnaires, et, plus grave encore, les « interventions » ont été dirigées contre la logique objective du développement révolutionnaire. Moments révolutionnaires négligés : Allemagne, Bulgarie, Angleterre, Chine. Interventions opportunistes contre le cours du développement : Angleterre, Chine. Interventions aventuristes en rupture avec la logique du mouvement : Estonie, Canton. Je me rappelle que les exemples les plus grandioses. Par cette voie, on peut, comme le dit Engels, « perdre le parti pour un certain temps ». Sous les puissantes secousses de l’époque impérialiste, la masse se dirige de nouveau vers la gauche et afflue vers nous. Et quand la situation atteint une exacerbation décisive, nous la faisons échouer de manière opportuniste, puis nous nous efforçons de corriger l’incorrigible de manière aventuriste. Il en résulte un tonneau des Danaïdes, impossible à remplir jamais.
Juste une illustration, mais toute nouvelle et véritablement renversante : le C.C. du P.C. chinois a pris une position contre nous – irréprochable. Puis soudain, il s’est avéré menchevique. On l’a dissous. On en a créé un nouveau, authentiquement bolchevique, – tout cela dans les coulisses. Après Canton, nouvelle surprise : l’irréprochable C.C., deuxième édition, s’est avéré être partisan de la « révolution permanente ». Kaléidoscope de la direction, sans vie idéologique correcte, sans critique de l’expérience, sans capacité d’intégrer même le mûrissement révolutionnaire.
La question de la discussion multiforme et de l’étude théorique approfondie de tous les problèmes de la révolution chinoise n’est en aucune manière moins importante que la question de l’appréciation de l’actuel tournant économique intérieur. Encore une fois : aucune politique intérieure, même la « meilleure », ne donnera la victoire, si la révolution se brise de par une stratégie internationale fausse, et, c’est le principal, si l’Internationale ne tire pas les leçons de ses fautes. Et ceci est impossible puisque cacher les fautes se transforme en question de prestige d’État, et qu’on le fait par des moyens d’État. C’est une question de vie ou de mort pour la révolution prolétarienne mondiale.
A propos de la ligne en Chine, sur le fond. Le mot d’ordre de dictature de coalition bourgeoise-démocratique des ouvriers et des paysans est déjà devenu maintenant un mot d’ordre réactionnaire pour la Chine, – c’est plus manifeste et violent que pour la Russie après février 1917. Demain ce mot d’ordre se transformera inévitablement de nouveau en piège pour le P.C. chinois, en couverture pour la nouvelle ligne du Guomindang, à un degré plus élevé du développement de la révolution.
La question des partis dits « ouvriers-paysans » en Inde, au Japon, etc. n’a pas moins d’importance. Ce sont tous des abcès mûrissants de la nouvelle clique du Guomindang.
Les décisions concernant les affaires intérieures (par rapport aux koulaks et autres), comme les décisions du dernier comité exécutif, représentent un pas, inconséquent, contradictoire, mais tout de même incontestable, dans notre direction, c’est-à-dire sur la bonne voie. Il faut le dire clairement et nettement. Mais, en premier lieu, ne pas exagérer la portée de ce pas, – après expérience, il faut être plus prudent sur les tournants – , sans avances superflues, – et, en deuxième lieu, expliquer succinctement les raisons, la mécanique et l’idéologie du tournant.
Pourquoi est-ce nécessaire ? Pour nous, le plus important est ce qui se fixe dans les esprits de l’avant-garde, ou de l’avant-garde de l’avant-garde : pas seulement ce que tu fais, mais aussi comment tu comprends ce que tu fais. L’empirisme politique – lésinerie, mercantilisme – est l’ennemi mortel du bolchevisme. Aucune indulgence pour l’empirisme. Aucune faveur pour les épigones, qui, s’arrêtant sur des moustiques et avalant des chameaux, forcent le parti, le pays, le monde entier, à apprendre par cœur ce qu’un quidam a dit en 1904 de la révolution et de sa permanence, mais en même temps laissent passer la gigantesque révolution chinoise des années 1925-27 : y a-t-il dans l’histoire une clique d’épigones aussi pernicieuse ?
Pourquoi les tournants vis-à-vis des koulaks, chez nous, vis-à-vis de MacDonald et Purcell en Angleterre, de Blum en France, du Guomindang en Chine, concordent-ils si heureusement dans le temps? Où chercher les origines de la nécessité objective de ce tournant ? A Shanghai ? A Londres ? A Paris ? Là-bas, oui, la nécessité objective d’en finir avec la politique opportuniste existait depuis longtemps. Et cependant... Cette nécessité est née à Moscou. Qui l’a créée ? Il va de soi que c’est nous, en tant qu’ « unique expression consciente d’un processus inconscient ». S’il n’y avait pas eu notre présence, les difficultés économiques actuelles auraient conduit à un gigantesque succès des partisans d’Oustrialov.
Pourquoi nous a-t-on écrasés sur le plan organisationnel? Nous avons déjà répondu. L’écrasement a été l’achèvement d’une gigantesque poussée dans le rapport de forces mondial au cours de ces dernières années, particulièrement de 1923 à 1928.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’avant-garde assure un mouvement en avant par sa défaite, ou que, du moins, elle empêche un recul ou une chute. Ainsi la Commune française, outre sa signification fondamentale, en tant que sommet dans la lutte du prolétariat pour le pouvoir – , a permis la république en France. Le soulèvement de Moscou en décembre 1905 a permis la convocation de la Douma d’État. Dans d’autres conditions et dans un sens différent : seul le prix énorme que nous avons payé pour poser toutes les questions les plus importantes à l’échelle de tout le pays et du monde entier a permis de freiner le processus de reflux et a contraint à faire un sérieux pas à gauche au stade actuel. Nous avons d’autant moins de raisons d’ignorer ce pas ou de le sous-estimer.
Nous avions prédit : la queue frappera la tête et provoquera un regroupement de forces (cf. en particulier les débats du plénum de février 1927 au C.C.).
Et voici qu’on découvre par inadvertance une bagatelle : la collecte de blé est entre les mains de ceux qui veulent vivre en paix avec toutes les classes. D’où sortent-ils et comment ont-ils acquis leur force de respectables constructeurs du socialisme dans un seul pays? Voilà, ils représentent cette queue droitière, oustrialoviste (plus exactement, le maillon du parti de cette queue) qui frappe une tête centriste, en la contraignant à cracher les éléments de gauche non prévus au programme. Cette queue se montrera encore, car elle a de puissants prolongements dans le pays, et plus encore à l’étranger dans le monde capitaliste. Nous sommes indispensables au parti (à son noyau prolétarien et bolchevique), pour venir à bout de cette « queue ».
D’autre part, le fait que la poussée ait eu lieu, c’est-à-dire qu’elle ait été possible à l’intérieur du V.K.P. et de l’I.C. et qu’elle soit capable de devenir – pour l’instant pas davantage – le point de départ d’un nouveau cours, ce fait prouve la justesse de notre orientation : l’unité du parti et de l’I.C., la lutte pour une ligne bolchevique sur la base d’une réelle appartenance au parti, c’est-à-dire celle qui – là où c’est nécessaire – n’a pas peur de placer le fond des problèmes plus haut que toute forme. C’est en cela qu’est notre bon droit contre les tendances en direction d’un deuxième parti, tant chez nous, à l’intérieur, qu’à l’étranger.
Je ne m’arrête pas sur l’appréciation théorique (économique, de classe) du mouvement officiel qui s’ébauche. Sur le fond, ce qu’a dit Préobrajensky à ce sujet est juste ; il faut seulement, à mon avis, dans ce domaine, souligner le plus nettement possible que la question du koulak ne se réglera en aucun cas, ni en général, par une politique restreinte au secteur paysan – cette question est directement subordonnée à celle des sommets de la commande de l’économie, c’est-à-dire avant tout à l’industrie. Avoir une direction de l’économie d’État clairvoyante, y compris et avant tout sur sa relation à l’économie paysanne, c’est la question des questions. En régime capitaliste, un trust peut prospérer ou s’effondrer en fonction de son organisation. On peut également anéantir le trust des trusts, l’économie d’État – avec une direction myope, sans principe, incapable. Au-dessus de la question du koulak, il y a celle de l’industrialisation (ce que Zinoviev n’a pas compris, non seulement en 1923, mais aussi en 1927). Au-dessus des questions du koulak et de l’industrialisation ensemble, il y a celle d’une direction correcte de l’I.C., celle de l’éducation de cadres capables de renverser la bourgeoisie mondiale.
Sommes-nous prêts à soutenir le mouvement officiel actuel ? Absolument. De toutes nos forces et par tous les moyens. Considérons-nous que ce mouvement augmente les chances d’assainissement du parti, sans heurts trop grands? Oui, nous le pensons. Sommes-nous prêts à coopérer précisément dans cette voie ? Entièrement et sans réserve.
Les accusations contre nous, à savoir que nous avons trahi la promesse donnée au XVe congrès, sont une absurdité déloyale et grossière. Nous avons parlé ouvertement en conscience du fait que nous étions prêts à renoncer aux méthodes fractionnelles. De plus, nous comptions fermement sur le fait que la queue – évoquée ci-dessus – frapperait la tête – évoquée aussi ci-dessus – et provoquerait un mouvement dans le parti qui donnerait la possibilité de prendre une ligne correcte, sans convulsions fractionnelles. Mais de quel anti-fractionnisme peut-on parler quand on est exclu du parti ? L’anti-fractionnisme équivaut, dans ce cas, à un renoncement au parti. Seul un fonctionnaire scélérat est capable de poser de telles exigences à un bolchevik. Piatakov nous explique de manière pénétrée que notre situation est « contradictoire », c’est pourquoi lui, voyez-vous, plonge au fond. Pour un noyé, quoi qu’on dise, toutes les contradictions disparaissent. Seulement, comme le dit Tchékhov, « le corps mort d’un noyé » convient mal au chef de la lutte révolutionnaire. La contradiction dans notre situation est vitale, c’est une contradiction historique qui ne peut être dépassée que par l’action s’appuyant sur une juste connaissance de cours objectif des choses.
Exigeons-nous, dans notre lettre au Comintern, notre réintégration au parti? Nous l’exigeons absolument. Nous engageons-nous à observer la discipline ? Et à ne pas construire de fraction ? Nous nous y engageons. Maintenant, avec ce mouvement officiel qui s’est ébauché, d’ailleurs conditionné par nous, nous avons bien plus de possibilités et de chances pour un tel engagement qu’il y a six mois ou un an.
Il n’est pas utile de dire que le ton de la lettre doit être absolument calme, de manière à ce qu’on voit clairement ce qui est : précisément que la politique de despotisme des épigones ne nous a pas aigris le moins du monde – la politique ne connaît pas la rage, nous regardons plus haut et plus loin que cela – et notre sentiment, tout à fait déterminé, face à la lésinerie, à l’opportunisme, à la déloyauté et la lâcheté, n’obscurcit pas le moins du monde notre rapport au parti historique des bolcheviks, et encore moins notre rapport aux tâches historiques de la classe ouvrière mondiale.