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Tactique électorale
Auteur·e(s) | Amédée Dunois |
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Écriture | 1 décembre 1921 |
La thèse sur la tactique électorale que le Bulletin Communiste a publiée dans son dernier numéro est, elle aussi, une thèse de conciliation et de synthèse. Il existe à cette heure dans le Parti communiste, à l'égard de cette partie de la tactique, plusieurs tendances dont il s'agit précisément d'opérer non pas la fusion (qui ne peut résulter que des enseignements de l'expérience), mais la liaison.
Il y a une tendance plus ou moins carrément antiparlementaire. Je ne la crois pas appelée à un grand avenir : mais elle a tout de même son utilité. On doit compter sur elle pour faire contrepoids aux tendances opportunistes qui pourraient se former demain dans le Parti. Renoncer à toute action électorale et parlementaire serait de notre part une criante absurdité ; mais renoncer à en surveiller les acteurs serait pareillement absurde. Aux antiparlementaires qui sont dans le Parti d'exercer cette surveillance et de signaler au Comité Directeur et à la commission des conflits les manquements, les défaillances et les abus qui pourraient se produire.
Seconde tendance : sous prétexte que les partis bourgeois ou petits-bourgeois ne forment à eux tous qu'une masse réactionnaire, de nombreux camarades, surtout dans la Fédération de la Seine, préconisent le maintien au second tour de tous les candidats communistes. Tant pis si ce maintien est pratiquement inopportun ; tant pis s'il risque de favoriser le bloc national au détriment du blocard des gauches. Le Parti n'a pas à se préoccuper outre mesure des conséquences de ses gestes : les élections ne sont pour lui que des occasions d'agitation et de propagande communistes : pourquoi ce qui était bon au premier tour deviendrait-il mauvais au ballottage ? Retirer ses candidats au lendemain du premier tour, c'est sous-entendre qu'on n'a plus rien à dire, plus rien à apprendre aux électeurs, et cet abandon n'est pas digne d'un parti dont le mot d'ordre est avant tout d'agiter les masses.
Et puis, troisième tendance : celle dont Souvarine a, dans l'Humanité, esquissé le programme. Pourquoi s'obstiner dans une lutte au bout de laquelle on ne peut rencontrer que mécomptes ? Le Parti doit économiser ses forces : s'il peut espérer la victoire, qu'il se batte jusqu'au bout ; si au contraire, la défaite est d'avance certaine, mieux vaut qu'il se retire avant le second tour. Mais dans quelles conditions doit-il se retirer ?
On sait que Souvarine déconseille, en principe, le retrait pur et simple. Outre qu'il n'est ni pur ni simple, le retrait « pur et simple », constitue pour le Parti communiste une sorte d'abdication. Il implique que le Parti, n'ayant plus rien à dire aux masses, ne se sent plus capable que de suivre passivement le cours des événements. Est-ce bien là le fait d'un grand parti d'action tel que le Parti communiste ? Souvarine ne le croit pas et nous propose de reporter au second tour les suffrages dont nous disposons sur l'un des candidats de gauche, radical-socialiste ou socialiste réformiste.
C'est un peu là l'opération que le camarade Oscar Bloch préconisait d'exécuter dès le premier tour. Mais le point de vue de Bloch était inadmissible, tandis que celui de Souvarine mérite d'être au moins retenu. Le point de vue de Bloch était et restera toujours strictement individuel ; celui de Souvarine exprime les appréhensions légitime des nombreux camarades communistes qui ne pensent pas que le communisme contraigne ses adhérents à se désintéresser des conséquences de leurs actes.
Souvarine a défendu son opinion en faisant appel à une citation de cet impitoyable réaliste qu'est Lénine. C'est l'avis de Lénine qu'il ne faut pas craindre de favoriser l'avènement au pouvoir des réformistes bourgeois, petits-bourgeois et ouvriers, parce que l'exercice du pouvoir est seul capable, en les usant, de démontrer leur impuissance et de détourner d'eux les masses. Il faut donc voter sans vaine honte pour les candidats réformistes quand il n'y a pas ou qu'il n'y a plus de candidats communistes. Cette tactique léninienne, le jeune Parti communiste belge s'en est inspiré l'autre jour, en recommandant à ses membres, dans toutes les circonscriptions où il n a pu prendre part à la bataille, de voter pour les candidats du parti Vandervelde. Toute la question est de savoir si ce qui est possible en Angleterre et en Belgique l'est également en France, où les passions politiques sont autrement vives que chez les Anglais et les Belges.
* * *
Entre tant de tendances divergentes, le Comité Directeur n'avait pas une tâche précisément facile. Il a écarté tout d'abord la tendance anti-parlementaire, à laquelle il a accordé toutefois quelques satisfactions de principe (« l'action électorale n'a qu'une valeur secondaire », etc.). Restaient les autres tendances, toutes d'accord pour que la lutte au premier tour fût menée avec une extrême vigueur tant dans les affirmations que dans les moyens — mais dont l'accord cesse avec le premier tour.
Le Comité n'a pas pensé qu'il fût possible d'établir pour l'instant une règle unique : — ou maintien absolu du candidat au second tour, n'eût-il aucune chance de l'emporter ; — ou retrait pur et simple ; — ou désistement obligatoire.
Le candidat communiste sera donc maintenu au second tour partout où il aura quelque chance de succès ; il sera également maintenu si sa fédération juge pouvoir le faire « sans inconvénients pour le Parti et avec l'espoir légitime de prolonger son effort de propagande ». Dans tous les autres cas, le candidat communiste sera retiré purement et simplement, sans qu'une fédération soit jamais autorisée à pratiquer le désistement de son porte-drapeau « en faveur du représentant d'un autre parti ».
Ainsi le Comité Directeur a écarté à la fois les deux tactiques extrêmes du maintien « à tous coups » et du désistement obligatoire. Il a craint que la première ne fût préjudiciable au développement matériel du Parti en lui imposant d'abord des charges pécuniaires écrasantes, en l'exposant ensuite, de la part des autres partis, à des mesures violentes de représailles ; il a craint que la seconde — la tactique du désistement — ne provoquât de ces tractations électorales dont nous avons trop souffert dans le passé pour qu'il nous soit indifférent d'y être entraînés de nouveau dans l'avenir.
L'esprit intransigeant de certains camarades risque d'être déçu, je le sais, par le manque de raideur doctrinale d'une thèse qui ne s'inspire pas exclusivement de l'absolu. Qu'ils se rassurent en pensant qu'elle ne vaut que pour les élections partielles qui auront lieu d'ici deux ans. L'expérience dira si, oui ou non, la thèse doit être corrigée, quels points appellent des retouches, si c'est plus de rigueur ou plus de souplesse qu'exige notre tactique électorale. Le mérite des formules écrites se mesure à l'application qu'on en fait. L'application, dans l'occurrence, sera l'objet de la part du Comité Directeur d'une attention rigoureuse. « Aucune décision ne sera valable si elle n'a obtenu son approbation. » Ce qui revient à dire que tant vaudra le Comité Directeur, tant vaudra la tactique.