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=== Origine ===
 
=== Origine ===
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Dans les années 1960, et en particulier à la suite de mai 1968, le féminisme connaît une «&nbsp;seconde vague&nbsp;», avec en France le [[Mouvement_de_Libération_des_Femmes|Mouvement de Libération des Femmes]] (MLF). En octobre 1970 plusieurs militantes du MLF publient dans un numéro spécial de la revue d'extrême gauche ''Partisans'' intitulée «&nbsp;''Libération des femmes année 0''&nbsp;» des analyses du [[Patriarcat|patriarcat]] s'inspirant de l'[[Marxisme|analyse marxiste du capitalisme]]. On y trouve notamment l'article de Christine Delphy, ''L'Ennemi principal''.<ref>Christine Delphy, ''[[:fr:L'ennemi principal (Delphy)|L'Ennemi principal]]'', 1970</ref>
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Dans les années 1960, et en particulier à la suite de mai 1968, le féminisme connaît une «[[Seconde vague du féminisme|&nbsp;seconde vague]]&nbsp;», avec en France le [[Mouvement_de_Libération_des_Femmes|Mouvement de Libération des Femmes]] (MLF). En octobre 1970 plusieurs militantes du MLF publient dans un numéro spécial de la revue d'extrême gauche ''Partisans'' intitulée «&nbsp;''Libération des femmes année 0''&nbsp;» des analyses du [[Patriarcat|patriarcat]] s'inspirant de l'[[Marxisme|analyse marxiste du capitalisme]]. On y trouve notamment l'article de Christine Delphy, ''L'Ennemi principal''<ref name=":0">Christine Delphy, ''[[:fr:L'ennemi principal (Delphy)|L'Ennemi principal]]'', Partisans, n° 54-55, 1970</ref>, un article d'Isabel Larguia<ref>Isabel Larguia, ''[https://unioncommunistelibertaire.org/Isabel-Larguia-Contre-le-travail-invisible Contre le travail invisible]'', Partisans, n° 54-55, 1970</ref>... D'autres écrits foisonnent dans ces années<ref>Isabel Larguia, John Dumoulin, ''Towards a Science of Women’s Liberation'', Red Rag pamphlet, n° 1 (autour de 1973)</ref>, comme ceux de [[w:Monique Wittig|Monique Wittig]]<ref>Monique Wittig, ''Pour un mouvement de libération des femmes'', L’Idiot international, mai 1970</ref>.
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En référence au [[Matérialisme_historique|matérialisme historique]] de [[Marx|Marx]], [[Christine_Delphy|Christine Delphy]] nomma ce courant de pensée féminisme matérialiste en 1975<ref>Christine Delphy, 1975 « Pour un féminisme matérialiste »</ref>.
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En référence au [[Matérialisme_historique|matérialisme historique]] de [[Marx|Marx]], [[w:Christine Delphy|Christine Delphy]] nomma ce courant de pensée féminisme matérialiste en 1975<ref>Christine Delphy, ''Pour un féminisme matérialiste'', 1975</ref>. Ce courant met au centre l'exploitation du [[travail domestique]].
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Dans le monde anglophone, on peut citer à la même époque [[Rosemary_Hennessy|Rosemary Hennessy]] ou [[Stevi_Jackson|Stevi Jackson]].
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Dans le monde anglophone, on peut citer à la même époque, [[wen:Margaret Benston|Margaret Benston]]<ref>Benston, M. (1969), « The Political Economy of Women’s Liberation », Monthly Review, 21, n° 4. Réédité in Tanner, L. B. (éd.) (1970), Voices from Women’s Liberation, New York, Signet Books.</ref>, [[wen:Rosemary Hennessy|Rosemary Hennessy]] ou [[wen:Stevi Jackson|Stevi Jackson]]. En Italie, [[Maria Rosa Dalla Costa]], qui fait partie du courant [[Opéraïsme|opéraïste]], est aussi engagée dans une élaboration féministe donnant une place centrale au travail domestique.  
    
=== Mode de production domestique ===
 
=== Mode de production domestique ===
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Une thèse centrale de ces auteures est que la domination patriarcale des femmes s'opère par des pratiques matérielles, notamment par l’extorsion du [[Travail_domestique|travail domestique]] au sein des foyers. Il existe ainsi un mode de production patriarcal qui domine le mode de production capitaliste. Le patriarcat a pour base le travail domestique qui est une exploitation économique touchant toutes les femmes, qui forment une classe. La société et le capitalisme ne fonctionnent qu’en s’appuyant sur cette exploitation.
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Une thèse centrale de ces autrices est que la domination patriarcale des femmes s'opère par des pratiques matérielles, notamment par l’extorsion du [[Travail_domestique|travail domestique]] au sein des foyers. Il existe ainsi un mode de production patriarcal qui domine le mode de production capitaliste. Le patriarcat a pour base le travail domestique qui est une exploitation économique touchant toutes les femmes, qui forment une classe. La société et le capitalisme ne fonctionnent qu’en s’appuyant sur cette exploitation.
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Dans les années 1970, les bourgeoises ne l’étaient en général que par procuration (des épouses de bourgeois) mais profitaient de l’exploitation d’autres femmes (les domestiques) pour faire réaliser leur travail domestique. Cette question est aujourd’hui complètement bouleversée par l’apparition d’une fraction grandissante de la classe capitaliste composée de femmes qui profitent directement de la division genrée (salaires inférieurs des femmes, précarité, etc.).
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Delphy conteste le fait que des femmes de bourgeois soient automatiquement considérées comme des bourgeoises (parce qu'elles ne possèdent pas elles-mêmes les moyens de production - c'est en effet rare dans les années 1970), de même qu'elle conteste que les femmes d'ouvriers soient considérées comme ouvrières si elles ne sont pas salariées.
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Les féministes matérialistes inversent donc l'orthodoxie marxiste&nbsp;: l'émancipation des femmes ne constitue pas un front secondaire de luttes au regard de la [[Lutte_des_classes|lutte des classes]], elle est au contraire le front principal.
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Elle s'appuie aussi sur le fait que dans les études de stratification sociale (études des [[catégories socio-professionnelles]] et de [[reproduction sociale]]) de son époque, les femmes au foyer sont la plupart du temps assignées à la classe sociale de leur mari.
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« Certaines femmes sont cependant dans les classes industrielles, dans la mesure seulement où elles ont un emploi. Le fait, toutefois, que leur dépendance au mari est plus souvent choisie comme critère d’appartenance de classe que leur profession, constitue un indice, mais ce n’est pas le seul, que la classe patriarcale l’emporte sur la classe industrielle. »<ref>Christine Delphy, ''Les femmes dans les études de stratification''. Publié dans Andrée Michel (coord.), Femmes, sexisme et sociétés, Paris, PUF, 1977.</ref>
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Les féministes matérialistes inversent donc l'orthodoxie marxiste&nbsp;: l'émancipation des femmes ne constitue pas un front secondaire de luttes au regard de la [[lutte des classes]], elle est au contraire le front principal.
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[[Sylvia_Federici|Sylvia Federici]] s'inscrit aussi dans ce champ du féminisme matérialiste, notamment par son livre ''Caliban et la sorcière ''(2004). Elle y soutient que [[Marx|Marx]] a négligé, dans son étude de l'[[Accumulation_primitive_du_capital|accumulation_primitive_du_capital]], la subordination des femmes à un rôle de reproductrice de la force de travail (par le travail domestique qui se retrouve invisibilisé) et leur mise à l'écart du travail salarié. Elle défend par ailleurs l'idée que l'on ne doit pas analyser ces phénomènes comme de l'accumulation "primitive", mais comme des mécanismes qui sont à l'oeuvre en permanence et nécessaire à l'accumulation du capital.
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Elle n'hésite pas à parler d'[[esclavage]] ([[w:Monique Wittig|Monique Wittig]] parlait également de « travail servile »<ref>Monique Wittig, ''Pour un mouvement de libération des femmes'', L’Idiot international, mai 1970</ref>).
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« La fourniture gratuite de travail dans le cadre d’une relation globale et personnelle (le mariage), constitue précisément un rapport d’esclavage. »<ref name=":0" />
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[[Sylvia Federici]] s'inscrit aussi dans ce champ du féminisme matérialiste, notamment par son livre ''Caliban et la sorcière ''(2004). Elle y soutient que [[Marx]] a négligé, dans son étude de l'[[accumulation primitive du capital]], la subordination des femmes à un rôle de reproductrice de la force de travail (par le travail domestique qui se retrouve invisibilisé) et leur mise à l'écart du travail salarié. Elle défend par ailleurs l'idée que l'on ne doit pas analyser ces phénomènes comme de l'accumulation "primitive", mais comme des mécanismes qui sont à l’œuvre en permanence et nécessaires à l'accumulation du capital.
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=== Etudes de genre ===
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=== Études de genre ===
    
Le féminisme matérialiste se réclame de [[Simone_de_Beauvoir|Simone de Beauvoir]], sa première revue, ''[[Questions_féministes|Questions féministes]]'', est fondée en 1977 avec le soutien de cette dernière en tant que directrice de la publication. [[Colette_Guillaumin|Colette Guillaumin]], [[Monique_Wittig|Monique Wittig]], [[Nicole-Claude_Mathieu|Nicole-Claude Mathieu]], Monique Plaza, Emmanuèle de Lesseps y publient de nombreux articles. Suivant la formule qu'«&nbsp;on ne naît pas femme, on le devient&nbsp;» elles étudient le [[Genre_sexuel|genre]] et comment les représentations des sexes et les rôles dévolus aux femmes reproduisent la hiérarchie des sexes. Pour les féministes matérialistes, les rapports entre sexes sont une [[Construction_sociale|construction sociale]].
 
Le féminisme matérialiste se réclame de [[Simone_de_Beauvoir|Simone de Beauvoir]], sa première revue, ''[[Questions_féministes|Questions féministes]]'', est fondée en 1977 avec le soutien de cette dernière en tant que directrice de la publication. [[Colette_Guillaumin|Colette Guillaumin]], [[Monique_Wittig|Monique Wittig]], [[Nicole-Claude_Mathieu|Nicole-Claude Mathieu]], Monique Plaza, Emmanuèle de Lesseps y publient de nombreux articles. Suivant la formule qu'«&nbsp;on ne naît pas femme, on le devient&nbsp;» elles étudient le [[Genre_sexuel|genre]] et comment les représentations des sexes et les rôles dévolus aux femmes reproduisent la hiérarchie des sexes. Pour les féministes matérialistes, les rapports entre sexes sont une [[Construction_sociale|construction sociale]].
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=== Troisième vague ===
 
=== Troisième vague ===
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Monique Wittig partit enseigner aux États-Unis, et via elle le féminisme matérialiste a contribué à la naissance de la [[Troisième_vague_féministe|troisième vague féministe]]. Celle-ci se distingue de la deuxième vague notamment par la prise en compte de l'[[Intersectionnalité|intersectionnalité]], c'est-à-dire la multiplicité des formes d'oppression. Le féminisme intersectionnel articule en particuler l'oppression de genre avec l'oppression des gays et lesbienne et l'oppression raciale. [[Judith_Butler|Judith Butler]] reprit certaines analyses de Monique Wittig pour élaborer la [[Théorie_Queer|théorie Queer]], introduite en France par [[Marie-Hélène_Bourcier|Marie-Hélène Bourcier]] et [[Didier_Eribon|Didier Eribon]].
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Monique Wittig partit enseigner aux États-Unis, et via elle le féminisme matérialiste a contribué à la naissance de la [[Troisième_vague_féministe|troisième vague féministe]]. Celle-ci se distingue de la deuxième vague notamment par la prise en compte de l'[[Intersectionnalité|intersectionnalité]], c'est-à-dire la multiplicité des formes d'oppression. Le féminisme intersectionnel articule en particulier l'oppression de genre avec l'oppression des gays et lesbienne et l'oppression raciale. [[Judith_Butler|Judith Butler]] reprit certaines analyses de Monique Wittig pour élaborer la [[Théorie_Queer|théorie Queer]], introduite en France par [[Marie-Hélène_Bourcier|Marie-Hélène Bourcier]] et [[Didier_Eribon|Didier Eribon]].
    
== Critiques ==
 
== Critiques ==
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Dans les années 1970, les bourgeoises ne l’étaient en général que par procuration (des épouses de bourgeois) mais profitaient de l’exploitation d’autres femmes (les [[domestiques]]) pour faire réaliser leur travail domestique. Cette question est aujourd’hui complètement bouleversée par l’apparition d’une fraction grandissante de la classe capitaliste composée de femmes qui profitent directement de la division genrée (salaires inférieurs des femmes, précarité, etc.).
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Revue Incendo&nbsp;:
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Par ailleurs, d'autres féministes ont critiqué le fait de tout centrer sur le [[travail domestique]], et le fait de négliger l'importance de la question reproductive dans l'origine du patriarcat.
 
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«&nbsp;Delphy apporte au MLF la caution de la rigueur marxiste qui paraît indispensable à cette époque. Mais, faut-il, pour légitimer le mouvement, inverser les schémas marxistes, et chercher à ramener l’oppression des femmes à une seule dimension économiste&nbsp;? La volonté des FR de se distancier de tout naturalisme leur fait négliger la question de la reproduction. Cette centralité du travail domestique peut aussi aboutir à des conclusions simplistes&nbsp;: s’y soustraire individuellement (voire collectivement) pour échapper à l’oppression, vision que l’on retrouve chez les lesbiennes radicales.&nbsp;»<ref>http://incendo.noblogs.org/genresetclasses/sur-le-mlf-des-anees-1970/</ref><br/>
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«&nbsp;Delphy apporte au MLF la caution de la rigueur marxiste qui paraît indispensable à cette époque. Mais, faut-il, pour légitimer le mouvement, inverser les schémas marxistes, et chercher à ramener l’oppression des femmes à une seule dimension économiste&nbsp;? La volonté des FR de se distancier de tout naturalisme leur fait négliger la question de la reproduction. Cette centralité du travail domestique peut aussi aboutir à des conclusions simplistes&nbsp;: s’y soustraire individuellement (voire collectivement) pour échapper à l’oppression, vision que l’on retrouve chez les lesbiennes radicales.&nbsp;»<ref>''[https://incendo.noblogs.org/genresetclasses/sur-le-mlf-des-anees-1970/ Sur le MLF des années 1970. Notes et pistes]'', Revue Incendo, Octobre 2012</ref>
 
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Christine Delphy a par la suite considéré que le paradigme [[économiciste]] était trop fort dans les années 1970, et qu'il imprégnait y compris sa vision. En 1998, elle expliquait que l'exploitation du travail domestique n'était qu'une des sources du patriarcat.<ref>Cf. l'avant-propos dans Christine Delphy, ''L’ennemi principal, t. 1, Economie politique du patriarcat'', Paris, Syllepse, 1998</ref>
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Pour certains marxistes, il faut reconnaître que le capitalisme peut très bien fonctionner sans que le travail domestique repose essentiellement sur les femmes. Par exemple [[Christophe_Darmangeat|Christophe Darmangeat]]<ref>Christophe Darmangeat, [http://cdarmangeat.blogspot.fr/2014/01/capitalisme-et-patriarcat-quelques.html Capitalisme et patriarcat : quelques réflexions], janvier 2014</ref> ou le groupe DDT21&nbsp;:&nbsp;
 
Pour certains marxistes, il faut reconnaître que le capitalisme peut très bien fonctionner sans que le travail domestique repose essentiellement sur les femmes. Par exemple [[Christophe_Darmangeat|Christophe Darmangeat]]<ref>Christophe Darmangeat, [http://cdarmangeat.blogspot.fr/2014/01/capitalisme-et-patriarcat-quelques.html Capitalisme et patriarcat : quelques réflexions], janvier 2014</ref> ou le groupe DDT21&nbsp;:&nbsp;
 
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''«&nbsp;Des hommes, voire des robots, effectueraient-ils les corvées quotidiennes que le profit du patron n’en serait pas modifié. Le travail domestique féminin n’est pas une structure nécessaire sans laquelle le capitalisme ne saurait exister.&nbsp;»<ref>DDT21, [http://ddt21.noblogs.org/?page_id=566 Federici contre Marx], octobre 2015</ref>''<br/>
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''«&nbsp;Des hommes, voire des robots, effectueraient-ils les corvées quotidiennes que le profit du patron n’en serait pas modifié. Le travail domestique féminin n’est pas une structure nécessaire sans laquelle le capitalisme ne saurait exister.&nbsp;»<ref>DDT21, [http://ddt21.noblogs.org/?page_id=566 Federici contre Marx], octobre 2015</ref>''
 
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== Références ==
 
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