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[[File:Kronstadt attack.JPG|444x305px|Assaut de Kronstadt par l'Armée rouge|alt=|vignette]]La '''révolte de Kronstadt''' contre le pouvoir [[Bolchevique|bolchevique]] s'est déroulée en [[Russie_soviétique|Russie soviétique]] en mars 1921.
 
[[File:Kronstadt attack.JPG|444x305px|Assaut de Kronstadt par l'Armée rouge|alt=|vignette]]La '''révolte de Kronstadt''' contre le pouvoir [[Bolchevique|bolchevique]] s'est déroulée en [[Russie_soviétique|Russie soviétique]] en mars 1921.
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La révolte débuta le 2 mars 1921, l'assaut bolchévik eut lieu dans la soirée du 7 mars et [[Kronstadt|Kronstadt]] fut vaincue militairement deux semaines plus tard. Les insurgés furent réprimés.
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La révolte débuta le 2 mars 1921, l'assaut bolchévik eut lieu dans la soirée du 7 mars et Kronstadt fut vaincue militairement deux semaines plus tard. Les insurgés furent réprimés.
    
Ces événements et leur interprétation sont un objet de désaccord au sein des mouvements révolutionnaires. À l'époque des faits, les [[Anarchisme|anarchistes]] et les [[Parti_socialiste-révolutionnaire|SR de gauche]] ont soutenu les révoltés, au nom du ''« pouvoir aux soviets et non aux partis »''. Les bolchéviks considéraient que subjectivement ou objectivement, cette révolte faisait le jeu de la contre-révolution.
 
Ces événements et leur interprétation sont un objet de désaccord au sein des mouvements révolutionnaires. À l'époque des faits, les [[Anarchisme|anarchistes]] et les [[Parti_socialiste-révolutionnaire|SR de gauche]] ont soutenu les révoltés, au nom du ''« pouvoir aux soviets et non aux partis »''. Les bolchéviks considéraient que subjectivement ou objectivement, cette révolte faisait le jeu de la contre-révolution.
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===Les marins de Kronstadt et Octobre===
 
===Les marins de Kronstadt et Octobre===
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[[Kronstadt|Kronstadt]] est une ville de garnison de la [[Flotte_de_la_Baltique|flotte de la Baltique]] sur l'île de Kotline, dans le golfe de Finlande, à 20 km de [[Saint-Pétersbourg|Pétrograd]], dont elle constitue un poste de défense avancé.
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[[w:Kronstadt|Kronstadt]] est une ville de garnison de la [[Flotte_de_la_Baltique|flotte de la Baltique]] sur l'île de Kotline, dans le golfe de Finlande, à 20 km de [[Saint-Pétersbourg|Pétrograd]], dont elle constitue un poste de défense avancé.
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Les marins de Kronstadt avaient formé l'[[Avant-garde_(militaire)|avant-garde]] des révolutions russes de [[Révolution_russe_de_1905|1905]] et [[Révolution_russe|1917]]. En 1917, [[Trotski|Trotski]] appelait ces marins ''« la valeur et la gloire de la Russie révolutionnaire »''. En raison de leur histoire révolutionnaire, les habitants de Kronstadt furent très tôt partisans du ''« pouvoir aux conseils »'' ([[Soviet|soviets]]) et formèrent dès 1917 une commune libre relativement indépendante de l'autorité centrale. Ils pratiquaient une forme de [[Démocratie_directe|démocratie directe]] à base d'assemblées ou de comités réunis dans le centre de la forteresse, espace public énorme servant de forum populaire et pouvant contenir plus de 30000 personnes.
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Les marins de Kronstadt avaient formé l'[[avant-garde]] des révolutions russes de [[Révolution_russe_de_1905|1905]] et [[Révolution_russe|1917]]. En 1917, [[Trotski|Trotski]] appelait ces marins ''« la valeur et la gloire de la Russie révolutionnaire »''. En raison de leur histoire révolutionnaire, les habitants de Kronstadt furent très tôt partisans du ''« pouvoir aux conseils »'' ([[Soviet|soviets]]) et formèrent dès 1917 une commune libre relativement indépendante de l'autorité centrale. Ils pratiquaient une forme de [[Démocratie_directe|démocratie directe]] à base d'assemblées ou de comités réunis dans le centre de la forteresse, espace public énorme servant de forum populaire et pouvant contenir plus de 30000 personnes.
    
===Vers la fin de la guerre civile===
 
===Vers la fin de la guerre civile===
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{{Article détaillé|Communisme de guerre}}
 
{{Article détaillé|Communisme de guerre}}
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En novembre 1920, après la défaite du général [[Piotr_Nikolaïevitch_Wrangel|Wrangel]] en Crimée, la [[Guerre_civile_russe|guerre civile russe]] touche à sa fin, les forces [[Armées_blanches|blanches]] étant alors réduites à quelques poches, qui furent réduites progressivement. Beaucoup d'anciens de Kronstadt revinrent à la base navale de leurs origines, tandis qu'à travers toute la Russie, les contraintes que la guerre justifiait devenaient insupportables.
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En novembre 1920, après la défaite du général [[w:Piotr Nikolaïevitch Wrangel|Wrangel]] en Crimée, la [[Guerre_civile_russe|guerre civile russe]] touche à sa fin, les forces [[Armées_blanches|blanches]] étant alors réduites à quelques poches, qui furent réduites progressivement. Beaucoup d'anciens de Kronstadt revinrent à la base navale de leurs origines, tandis qu'à travers toute la Russie, les contraintes que la guerre justifiait devenaient insupportables.
    
En 1920, l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] était encore en lutte contre la guérilla menée par leurs anciens alliés, les [[Anarchiste|anarchistes]] [[Makhnovchtchina|makhnovistes]] ukrainiens.
 
En 1920, l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] était encore en lutte contre la guérilla menée par leurs anciens alliés, les [[Anarchiste|anarchistes]] [[Makhnovchtchina|makhnovistes]] ukrainiens.
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===Désignation du comité révolutionnaire provisoire===
 
===Désignation du comité révolutionnaire provisoire===
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Au terme de la réunion du [[Soviet|soviet]] de [[Kronstadt|Kronstadt]]<ref>[[Voline]] dans ''La Révolution inconnue'', le mot d'ordre « Tout le pouvoir aux [[Soviets]] locaux » signifiait pour [[Cronstadt]] l'indépendance de chaque localité, de chaque [[Soviet]], de chaque organisme social dans les affaires qui les concernaient, par rapport au centre politique du pays : le droit de prendre des initiatives, des décisions et des mesures, sans demander la « permission » à ce « centre ». D'après cette interprétation, le « Centre » ne pouvait dicter ni imposer sa volonté aux Soviets locaux, chaque Soviet, chaque organisme ouvrier ou paysan étant le « maître » chez lui. Nécessairement, il avait à coordonner son activité avec celle d'autres organisations, sur une base fédérative. Les affaires concernant le pays entier devaient être coordonnées par un centre fédératif général.</ref>, l'assemblée décida également d'appeler à une conférence des délégués pour le 2 mars, censée débattre de la façon dont les nouvelles élections des soviets seraient tenues.
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Au terme de la réunion du [[Soviet|soviet]] de Kronstadt<ref>[[Voline]] dans ''La Révolution inconnue'', le mot d'ordre « Tout le pouvoir aux [[Soviets]] locaux » signifiait pour [[Cronstadt]] l'indépendance de chaque localité, de chaque [[Soviet]], de chaque organisme social dans les affaires qui les concernaient, par rapport au centre politique du pays : le droit de prendre des initiatives, des décisions et des mesures, sans demander la « permission » à ce « centre ». D'après cette interprétation, le « Centre » ne pouvait dicter ni imposer sa volonté aux Soviets locaux, chaque Soviet, chaque organisme ouvrier ou paysan étant le « maître » chez lui. Nécessairement, il avait à coordonner son activité avec celle d'autres organisations, sur une base fédérative. Les affaires concernant le pays entier devaient être coordonnées par un centre fédératif général.</ref>, l'assemblée décida également d'appeler à une conférence des délégués pour le 2 mars, censée débattre de la façon dont les nouvelles élections des soviets seraient tenues.
    
Cette conférence, composée de deux délégués des équipages du bateau et de représentants des unités d'armée, des docks, des ateliers, des syndicats et des établissements du Soviet (soit 303 délégués au total) pris trois décisions&nbsp;:
 
Cette conférence, composée de deux délégués des équipages du bateau et de représentants des unités d'armée, des docks, des ateliers, des syndicats et des établissements du Soviet (soit 303 délégués au total) pris trois décisions&nbsp;:
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Le 5 mars, soit deux jours avant que le bombardement de Kronstadt commence, un groupe d'anarchistes menés par [[Emma_Goldman|Emma Goldman]] et [[Alexandre_Berkman|Alexandre Berkman]] se proposent comme intermédiaires pour faciliter les négociations entre rebelles et gouvernement (l'influence des anarchistes a été particulièrement forte dans Kronstadt entre 1917 et 1921). Mais ce geste est ignoré par les bolcheviks. Quelques années plus tard, [[Victor_Serge|Victor Serge]] reconnaît que ''«&nbsp;même quand le combat avait commencé, il aurait été facile d'éviter tout cela&nbsp;: il était seulement nécessaire d'accepter la médiation offerte par les anarchistes (notamment Emma Goldman et Alexandre Berkman) qui avaient des contacts avec les insurgés. Pour des raisons de prestige et par un excès d'autoritarisme, le Comité central refusera cette possibilité.&nbsp;»''
 
Le 5 mars, soit deux jours avant que le bombardement de Kronstadt commence, un groupe d'anarchistes menés par [[Emma_Goldman|Emma Goldman]] et [[Alexandre_Berkman|Alexandre Berkman]] se proposent comme intermédiaires pour faciliter les négociations entre rebelles et gouvernement (l'influence des anarchistes a été particulièrement forte dans Kronstadt entre 1917 et 1921). Mais ce geste est ignoré par les bolcheviks. Quelques années plus tard, [[Victor_Serge|Victor Serge]] reconnaît que ''«&nbsp;même quand le combat avait commencé, il aurait été facile d'éviter tout cela&nbsp;: il était seulement nécessaire d'accepter la médiation offerte par les anarchistes (notamment Emma Goldman et Alexandre Berkman) qui avaient des contacts avec les insurgés. Pour des raisons de prestige et par un excès d'autoritarisme, le Comité central refusera cette possibilité.&nbsp;»''
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Le Soviet de Pétrograd du 6 mars suggère également qu'une délégation de membres du Parti et de non-affiliés (mais membres du Soviet) visite Kronstadt. Cette proposition n'est pas non plus retenue par le gouvernement. Les rebelles, réservés quant au véritable statut des délégués non-affiliés, demandent que l'élection de la délégation ait lieu dans les usines, en la présence d'observateurs venus de Kronstadt&nbsp;: cette demande reste sans réponse, le Parti craignant que des observateurs indépendants ne rapportent la réalité d'une révolte populaire à Kronstadt et n'exposent ainsi les propos mensongers de la propagande officielle au sujet de Kronstadt, rendant une intervention armée beaucoup plus hasardeuse. Une délégation envoyée par Kronstadt pour expliquer les demandes au Soviet de Pétrograd est directement envoyée dans les prisons de la [[Tchéka|Tchéka]]. La décision d'attaquer Kronstadt a été déjà prise: se basant sur des documents des archives soviétiques, l'historien [[Israel_Getzler|Israel Getzler]] déclare&nbsp;: le ''«&nbsp;5 mars, sinon plus tôt, les chefs soviétiques avaient décidé d'écraser Kronstadt. Ainsi, dans un câble à [un] membre du Conseil du travail et de la défense de ce jour, Trotski avait insisté sur le fait que «&nbsp;seule la prise de Kronstadt mettra un terme à la crise politique dans Pétrograd&nbsp;»&nbsp;»''.
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Le Soviet de Pétrograd du 6 mars suggère également qu'une délégation de membres du Parti et de non-affiliés (mais membres du Soviet) visite Kronstadt. Cette proposition n'est pas non plus retenue par le gouvernement. Les rebelles, réservés quant au véritable statut des délégués non-affiliés, demandent que l'élection de la délégation ait lieu dans les usines, en la présence d'observateurs venus de Kronstadt&nbsp;: cette demande reste sans réponse, le Parti craignant que des observateurs indépendants ne rapportent la réalité d'une révolte populaire à Kronstadt et n'exposent ainsi les propos mensongers de la propagande officielle au sujet de Kronstadt, rendant une intervention armée beaucoup plus hasardeuse. Une délégation envoyée par Kronstadt pour expliquer les demandes au Soviet de Pétrograd est directement envoyée dans les prisons de la [[Tchéka|Tchéka]]. La décision d'attaquer Kronstadt a été déjà prise: se basant sur des documents des archives soviétiques, l'historien [[w:Israel Getzler|Israel Getzler]] déclare&nbsp;: le ''«&nbsp;5 mars, sinon plus tôt, les chefs soviétiques avaient décidé d'écraser Kronstadt. Ainsi, dans un câble à [un] membre du Conseil du travail et de la défense de ce jour, Trotski avait insisté sur le fait que «&nbsp;seule la prise de Kronstadt mettra un terme à la crise politique dans Pétrograd&nbsp;»&nbsp;»''.
    
===Refus de négociations par les bolcheviks===
 
===Refus de négociations par les bolcheviks===
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Le premier assaut, le soir du 7 mars, est un échec et 500 soldats&nbsp;de l'Armée rouge furent tués. Les soldats, sous les ordres de [[Mikhaïl_Toukhatchevski|Mikhaïl Toukhatchevski]], devaient attaquer sur plusieurs kilomètres de glace, sous les obus et la mitraille de Kronstadt. Des grappes entières de soldats périssent noyés dans l'eau glacée&nbsp;; percés par les obus, des régiments s'affolent et se débandent. ''«&nbsp;Après que le Golfe eut avalé ses premières victimes,&nbsp;»'' l'historien [[Paul_Avrich|Paul Avrich]] relève que ''«&nbsp;certains des soldats rouges, y compris un corps de Peterhof Kursanty, commencèrent à passer aux insurgés. D'autres refusèrent d'avancer, malgré les menaces des canonnières à l'arrière qui eurent ordre de tirer sur les hésitants. Le commissaire du groupe nord signala que ses troupes voulurent envoyer une délégation à Kronstadt pour connaître les demandes des insurgés.&nbsp;»'' L'historien [[Trotskisme|trotskiste]] [[Jean-Jacques_Marie|Jean-Jacques Marie]] conteste cette version&nbsp;; il attribue la menace de tirer sur les hésitants à Pétritchenko, et relève que les régiments qu'il cite n'arrivent sur place que le lendemain.
 
Le premier assaut, le soir du 7 mars, est un échec et 500 soldats&nbsp;de l'Armée rouge furent tués. Les soldats, sous les ordres de [[Mikhaïl_Toukhatchevski|Mikhaïl Toukhatchevski]], devaient attaquer sur plusieurs kilomètres de glace, sous les obus et la mitraille de Kronstadt. Des grappes entières de soldats périssent noyés dans l'eau glacée&nbsp;; percés par les obus, des régiments s'affolent et se débandent. ''«&nbsp;Après que le Golfe eut avalé ses premières victimes,&nbsp;»'' l'historien [[Paul_Avrich|Paul Avrich]] relève que ''«&nbsp;certains des soldats rouges, y compris un corps de Peterhof Kursanty, commencèrent à passer aux insurgés. D'autres refusèrent d'avancer, malgré les menaces des canonnières à l'arrière qui eurent ordre de tirer sur les hésitants. Le commissaire du groupe nord signala que ses troupes voulurent envoyer une délégation à Kronstadt pour connaître les demandes des insurgés.&nbsp;»'' L'historien [[Trotskisme|trotskiste]] [[Jean-Jacques_Marie|Jean-Jacques Marie]] conteste cette version&nbsp;; il attribue la menace de tirer sur les hésitants à Pétritchenko, et relève que les régiments qu'il cite n'arrivent sur place que le lendemain.
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Il y eut ensuite une pause, parce que le même jour (8 mars) débutait le [[Xe_congrès_du_Parti_Communiste_Russe|X<sup>e</sup> congrès du Parti Communiste Russe]] (bolchevik). L'ensemble des tendances du Parti soutiennent alors la répression, y compris l’[[Opposition_Ouvrière|Opposition Ouvrière]] dirigée par [[Kollontaï|Kollontaï]] et [[Chliapnikov|Chliapnikov]]. [[Victor_Serge|Victor Serge]] a également soutenu la répression&nbsp;:
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Il y eut ensuite une pause, parce que le même jour (8 mars) débutait le [[Xe_congrès_du_Parti_Communiste_Russe|X<sup>e</sup> congrès du Parti Communiste Russe]] (bolchevik). L'ensemble des tendances du Parti soutiennent alors la répression, y compris l’[[Opposition_Ouvrière|Opposition Ouvrière]] dirigée par [[Kollontaï|Kollontaï]] et [[Chliapnikov|Chliapnikov]], à l'exception de [[Gavril Miasnikov|Miasnikov]]. [[Victor_Serge|Victor Serge]] a également soutenu la répression&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Avec bien des hésitations et une angoisse inexprimable, mes amis communistes et moi, nous nous prononcions finalement pour le parti. Voici pourquoi. Kronstadt avait raison. Kronstadt commençait une nouvelle révolution libératrice, celle de la démocratie populaire. “La troisième révolution” disaient certains anarchistes bourrés d’illusions enfantines. Or, le pays était complètement épuisé, la production presque arrêtée, il n’y avait plus de réserve d’aucune sorte plus même de réserve nerveuse dans l’âme des masses. Le prolétariat d’élite, formé par les luttes de l’ancien régime, était littéralement décimé. Le parti, grossi par l’afflux des ralliés au pouvoir, inspirait peu de confiance. Des autres partis ne subsistaient que des cadres infimes, d’une capacité plus que douteuse. [...] Si la dictature bolchevik tombait, c’était à brève échéance le chaos, à travers le chaos la poussée paysanne, le massacre des communistes, le retour des émigrés et finalement une autre dictature anti-prolétarienne par la force des choses.&nbsp;»''
 
''«&nbsp;Avec bien des hésitations et une angoisse inexprimable, mes amis communistes et moi, nous nous prononcions finalement pour le parti. Voici pourquoi. Kronstadt avait raison. Kronstadt commençait une nouvelle révolution libératrice, celle de la démocratie populaire. “La troisième révolution” disaient certains anarchistes bourrés d’illusions enfantines. Or, le pays était complètement épuisé, la production presque arrêtée, il n’y avait plus de réserve d’aucune sorte plus même de réserve nerveuse dans l’âme des masses. Le prolétariat d’élite, formé par les luttes de l’ancien régime, était littéralement décimé. Le parti, grossi par l’afflux des ralliés au pouvoir, inspirait peu de confiance. Des autres partis ne subsistaient que des cadres infimes, d’une capacité plus que douteuse. [...] Si la dictature bolchevik tombait, c’était à brève échéance le chaos, à travers le chaos la poussée paysanne, le massacre des communistes, le retour des émigrés et finalement une autre dictature anti-prolétarienne par la force des choses.&nbsp;»''
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La répression ne se termine pas ici. Des prisonniers emmenés à Pétrograd sont exécutés au long des mois qui suivent. ''«&nbsp;Ce massacre prolongé fut dirigé ou autorisé par [[Félix_Dzerjinski|Dzerjinski]]. (...) La responsabilité du Comité central bolchevique aura été simplement énorme [et] la répression qui s'ensuivit... inutilement barbare.&nbsp;»''<ref>[[Victor Serge]], ''Mémoires d'un révolutionnaire'', pp. 131ss.</ref>
 
La répression ne se termine pas ici. Des prisonniers emmenés à Pétrograd sont exécutés au long des mois qui suivent. ''«&nbsp;Ce massacre prolongé fut dirigé ou autorisé par [[Félix_Dzerjinski|Dzerjinski]]. (...) La responsabilité du Comité central bolchevique aura été simplement énorme [et] la répression qui s'ensuivit... inutilement barbare.&nbsp;»''<ref>[[Victor Serge]], ''Mémoires d'un révolutionnaire'', pp. 131ss.</ref>
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Les pertes bolcheviques sont estimées à plus de 10000 morts. Aucun chiffre fiable sur les rebelles tués, exécutés par la [[Tchéka|Tchéka]] ou plus tard ou déportés dans des camps de prisonniers n'est disponible. [[Nicolas_Werth|Nicolas Werth]] indique que la répression a fait des milliers de victimes<ref>Pour les seuls mois d'avril-juin 1921, il y eut 2 103 condamnations à mort et 6 459 condamnations à des peines de prison ou de camp. Nicolas Werth, ''Histoire de l'Union soviétique. De l'Empire russe à la Communauté des États indépendants (1900-1991)'', PUF, coll. « Thémis Histoire », Paris, 5<sup>e</sup> édition refondue, 2001, p. 179.</ref>. Après l'écrasement de la révolte, 4836 marins de Kronstadt sont arrêtés et transférés en Crimée ou dans le Caucase. [[Lénine|Lénine]] ordonne le 19 avril qu'ils soient finalement envoyés dans des camps de travail obligatoire (futurs camps du [[Goulag|Goulag]]) des régions d'Arkhangelsk, de Vologda et de Mourmansk. Huit mille marins, soldats et civils s'échappent vers la Finlande en marchant sur la glace. Les équipages du ''Petropavlovsk'' et du ''Sébastopol'' combattent jusqu'au dernier, de même que les cadets de l'école de mécanique, du détachement de torpilles et de l'unité des communications. Un communiqué statistique de la section spéciale de la [[Troïka_(politique)|Troïka]] extraordinaire du 1<sup>er</sup> mai déclare que 6528 rebelles ont été arrêtés, 2168 exécutés (33&nbsp;%), 1955 condamnés au travail obligatoire (dont 1486 pour cinq années), et 1272 libérés. Les familles des rebelles sont déportées en Sibérie, considérée comme «&nbsp;seule région appropriée&nbsp;» pour elles.
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Les pertes bolcheviques sont estimées à plus de 10000 morts. Aucun chiffre fiable sur les rebelles tués, exécutés par la [[Tchéka|Tchéka]] ou plus tard ou déportés dans des camps de prisonniers n'est disponible. [[w:Nicolas Werth|Nicolas Werth]] indique que la répression a fait des milliers de victimes<ref>Pour les seuls mois d'avril-juin 1921, il y eut 2 103 condamnations à mort et 6 459 condamnations à des peines de prison ou de camp. Nicolas Werth, ''Histoire de l'Union soviétique. De l'Empire russe à la Communauté des États indépendants (1900-1991)'', PUF, coll. « Thémis Histoire », Paris, 5<sup>e</sup> édition refondue, 2001, p. 179.</ref>. Après l'écrasement de la révolte, 4836 marins de Kronstadt sont arrêtés et transférés en Crimée ou dans le Caucase. [[Lénine|Lénine]] ordonne le 19 avril qu'ils soient finalement envoyés dans des camps de travail obligatoire (futurs camps du [[Goulag|Goulag]]) des régions d'Arkhangelsk, de Vologda et de Mourmansk. Huit mille marins, soldats et civils s'échappent vers la Finlande en marchant sur la glace. Les équipages du ''Petropavlovsk'' et du ''Sébastopol'' combattent jusqu'au dernier, de même que les cadets de l'école de mécanique, du détachement de torpilles et de l'unité des communications. Un communiqué statistique de la section spéciale de la [[Troïka_(politique)|Troïka]] extraordinaire du 1<sup>er</sup> mai déclare que 6528 rebelles ont été arrêtés, 2168 exécutés (33&nbsp;%), 1955 condamnés au travail obligatoire (dont 1486 pour cinq années), et 1272 libérés. Les familles des rebelles sont déportées en Sibérie, considérée comme «&nbsp;seule région appropriée&nbsp;» pour elles.
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Après que la révolte a été anéantie, le gouvernement bolchevique réorganise la forteresse. Alors qu'il a maté la révolte au nom du «&nbsp;pouvoir aux soviets&nbsp;», le commandant militaire nouvellement désigné pour Kronstadt abolit le soviet local et réorganise la forteresse «&nbsp;avec l'aide d'une troïka révolutionnaire&nbsp;» (c'est-à-dire un comité de trois hommes spécialement désignés)<ref>I. Getzler, ''Kronstadt 1917 - 1921 : Le destin d'une démocratie des soviétique'', p. 244.</ref>. Le journal de Kronstadt fut renommé ''Krasnyi Kronchtadt'' (Kronstadt rouge)&nbsp;; il annonce dans son éditorial que «&nbsp;les dispositifs fondamentaux&nbsp;» de Kronstadt sont ramenés à la «&nbsp;dictature du prolétariat&nbsp;», alors que leurs «&nbsp;phases initiales&nbsp;» ont été simplement faites de «&nbsp;restrictions à la liberté politique, de terreur, centralisme, discipline militaire et direction de tous des moyens et des ressources vers la création d'un appareillage offensif et défensif d'État<ref>Cité par Getzler, p. 245</ref>.&nbsp;» Les vainqueurs entreprennent d'éliminer toutes les traces de la révolte, la place d'Ancre devenant «&nbsp;Place révolutionnaire&nbsp;» et les cuirassés rebelles ''Petropavlovsk'' et ''Sébastopol'' étant rebaptisés respectivement ''[[Marat_(cuirassé)|Marat]]'' et ''[[Commune_de_Paris_(1871)|Commune de Paris]]''.
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Après que la révolte a été anéantie, le gouvernement bolchevique réorganise la forteresse. Alors qu'il a maté la révolte au nom du «&nbsp;pouvoir aux soviets&nbsp;», le commandant militaire nouvellement désigné pour Kronstadt abolit le soviet local et réorganise la forteresse «&nbsp;avec l'aide d'une troïka révolutionnaire&nbsp;» (c'est-à-dire un comité de trois hommes spécialement désignés)<ref>I. Getzler, ''Kronstadt 1917 - 1921 : Le destin d'une démocratie des soviétique'', p. 244.</ref>. Le journal de Kronstadt fut renommé ''Krasnyi Kronchtadt'' (Kronstadt rouge)&nbsp;; il annonce dans son éditorial que «&nbsp;les dispositifs fondamentaux&nbsp;» de Kronstadt sont ramenés à la «&nbsp;dictature du prolétariat&nbsp;», alors que leurs «&nbsp;phases initiales&nbsp;» ont été simplement faites de «&nbsp;restrictions à la liberté politique, de terreur, centralisme, discipline militaire et direction de tous des moyens et des ressources vers la création d'un appareillage offensif et défensif d'État<ref>Cité par Getzler, p. 245</ref>.&nbsp;» Les vainqueurs entreprennent d'éliminer toutes les traces de la révolte, la place d'Ancre devenant «&nbsp;Place révolutionnaire&nbsp;» et les cuirassés rebelles ''Petropavlovsk'' et ''Sébastopol'' étant rebaptisés respectivement ''[[w:Marat (cuirassé)|Marat]]'' et ''[[Commune_de_Paris_(1871)|Commune de Paris]]''.
    
==Trotski et Kronstadt==
 
==Trotski et Kronstadt==
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Si [[Lénine|Lénine]] assouplit sa position concernant les syndicats (par rapport à Trotski qui défend leur militarisation), la décision prise révèle l'ampleur du déficit démocratique&nbsp;: ''«&nbsp;les syndicats sont le seul secteur où la sélection des dirigeants doit se faire par les masses organisées&nbsp;»''.
 
Si [[Lénine|Lénine]] assouplit sa position concernant les syndicats (par rapport à Trotski qui défend leur militarisation), la décision prise révèle l'ampleur du déficit démocratique&nbsp;: ''«&nbsp;les syndicats sont le seul secteur où la sélection des dirigeants doit se faire par les masses organisées&nbsp;»''.
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Concernant la politique dans les campagnes, le congrès acte l'abandon du [[Communisme_de_guerre|communisme_de_guerre]] et l'adoption de la [[Nouvelle_politique_économique|Nouvelle politique économique]] (NEP). La NEP libéralisait le commerce et l'agriculture davantage ce que réclamaient les mutins de Kronstadt.
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Concernant la politique dans les campagnes, le congrès acte l'abandon du [[communisme de guerre]] et l'adoption de la [[Nouvelle_politique_économique|Nouvelle politique économique]] (NEP). La NEP libéralisait le commerce et l'agriculture davantage ce que réclamaient les mutins de Kronstadt.
    
==Notes==
 
==Notes==

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