Modifications

Aller à la navigation Aller à la recherche
8 octets ajoutés ,  14 mai 2021 à 20:35
aucun résumé des modifications
Ligne 1 : Ligne 1 : −
 
+
[[File:Congress of Soviets (1917).jpg|right]]{{InfoCalendrierJulien}}Le '''deuxième réunion du [[Congrès_pan-russe_des_soviets|congrès pan-russe des soviets]]''' est celle qui a voté les [[Premières_mesures_du_gouvernement_soviétique|premières mesures révolutionnaires]] de la [[Révolution_d'Octobre|Révolution d'Octobre]]. Elle s'est tenue les 25-26 octobre (7-8 novembre n.s.) à l'[[Institut_Smolny|Institut Smolny]], au lendemain de l'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection]].
[[File:SecondCongrèsSoviets.jpg|right|SecondCongrèsSoviets.jpg]]{{InfoCalendrierJulien}}Le '''deuxième réunion du [[Congrès_pan-russe_des_soviets|congrès pan-russe des soviets]]''' est celle qui a voté les [[Premières_mesures_du_gouvernement_soviétique|premières mesures révolutionnaires]] de la [[Révolution_d'Octobre|Révolution d'Octobre]]. Elle s'est tenue les 25-26 octobre (7-8 novembre n.s.) à l'[[Institut_Smolny|Institut Smolny]], au lendemain de l'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection]].
      
==Contexte==
 
==Contexte==
Ligne 59 : Ligne 58 :     
Trotski décrit ainsi l'entrée des délégués pour le plénier :
 
Trotski décrit ainsi l'entrée des délégués pour le plénier :
<blockquote>''«&nbsp;La révolution enseignait l'art de la compression. Les délégués, les visiteurs, les gardiens s'entassaient (...). Les avertissements donnés au sujet d'un effondrement possible du plancher n'avaient pas plus d'effet que les invites à moins fumer. Tous se bousculaient et fumaient de plus belle. C'est avec peine que [[John_Reed|John Reed]] se fraya un chemin à travers la multitude qui grondait devant la porte. La salle n'était pas chauffée, mais l'air était lourd et brûlant. &nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;La révolution enseignait l'art de la compression. Les délégués, les visiteurs, les gardiens s'entassaient (...). Les avertissements donnés au sujet d'un effondrement possible du plancher n'avaient pas plus d'effet que les invites à moins fumer. Tous se bousculaient et fumaient de plus belle. C'est avec peine que [[John_Reed|John Reed]] se fraya un chemin à travers la multitude qui grondait devant la porte. La salle n'était pas chauffée, mais l'air était lourd et brûlant. &nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
Ce sont des membres de [[VTsIK|l'exécutif]] sortant qui président pour l'instant. A la tribune, les principaux orateurs conciliateurs ([[Tseretelli|Tseretelli]], [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]], [[Tchernov|Tchernov]]) ne se sont pas montrés. C'est [[Fiodor_Dan|Dan]] qui ouvre amèrement le congrès à 22h40, en avertissant qu'il ne fera pas de discours dans ces cironstances si exceptionnelles où ses camarades sont actuellement au palais d'Hiver, ''«&nbsp;exposés à la fusillade&nbsp;»'', ''«&nbsp;remplissant avec abnégation leur devoir de ministres&nbsp;»''.
 
Ce sont des membres de [[VTsIK|l'exécutif]] sortant qui président pour l'instant. A la tribune, les principaux orateurs conciliateurs ([[Tseretelli|Tseretelli]], [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]], [[Tchernov|Tchernov]]) ne se sont pas montrés. C'est [[Fiodor_Dan|Dan]] qui ouvre amèrement le congrès à 22h40, en avertissant qu'il ne fera pas de discours dans ces cironstances si exceptionnelles où ses camarades sont actuellement au palais d'Hiver, ''«&nbsp;exposés à la fusillade&nbsp;»'', ''«&nbsp;remplissant avec abnégation leur devoir de ministres&nbsp;»''.
   Ligne 87 : Ligne 89 :     
Malgré la démonstration que l'aile droite n'avait aucune intention de trouver un accord avec les bolchéviks, Martov s'obstine dans sa démarche. Il lit une déclaration condamnant l'insurrection comme un complot réalisé par les bolchéviks seuls, et exigeant la suspension des travaux du congrès jusqu'à une entente avec ''«&nbsp;tous les partis socialistes&nbsp;»''. Trotski lui fait alors une réponse cinglante:
 
Malgré la démonstration que l'aile droite n'avait aucune intention de trouver un accord avec les bolchéviks, Martov s'obstine dans sa démarche. Il lit une déclaration condamnant l'insurrection comme un complot réalisé par les bolchéviks seuls, et exigeant la suspension des travaux du congrès jusqu'à une entente avec ''«&nbsp;tous les partis socialistes&nbsp;»''. Trotski lui fait alors une réponse cinglante:
<blockquote>''«&nbsp;Ce qui est arrivé, c'est une insurrection, et non point un complot. Le soulèvement des masses populaires n'a pas besoin de justification. Nous avons donné de la trempe à l'énergie révolutionnaire des ouvriers et des soldats de Petrograd. Nous avons ouvertement forgé la volonté des masses pour l'insurrection et non pour un complot... Notre insurrection a vaincu et maintenant l'on nous fait une proposition&nbsp;: renoncez à votre victoire, concluez un accord. Avec qui&nbsp;? Je le demande&nbsp;: avec qui devons-nous conclure un accord&nbsp;? Avec les misérables petits groupes qui sont sortis d'ici&nbsp;?... Mais nous les avons vus tout entiers. Il n'y a plus personne derrière eux en Russie. Avec eux devraient conclure un accord, comme d'égaux à égaux, les millions d'ouvriers et de paysans, représentés à ce congrès, que ceux-là, non pour la première fois, sont tout disposés à livrer à la merci de la bourgeoisie&nbsp;? Non, ici l'accord ne vaut rien&nbsp;! A ceux qui sont sortis d'ici comme à ceux qui se présentent avec des propositions pareilles, nous devons dire&nbsp;: vous êtes de lamentables isolés, vous êtes des banqueroutiers, votre rôle est joué, rendez-vous là où votre classe est désormais&nbsp;: dans la poubelle de l'histoire&nbsp;! &nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Ce qui est arrivé, c'est une insurrection, et non point un complot. Le soulèvement des masses populaires n'a pas besoin de justification. Nous avons donné de la trempe à l'énergie révolutionnaire des ouvriers et des soldats de Petrograd. Nous avons ouvertement forgé la volonté des masses pour l'insurrection et non pour un complot... Notre insurrection a vaincu et maintenant l'on nous fait une proposition&nbsp;: renoncez à votre victoire, concluez un accord. Avec qui&nbsp;? Je le demande&nbsp;: avec qui devons-nous conclure un accord&nbsp;? Avec les misérables petits groupes qui sont sortis d'ici&nbsp;?... Mais nous les avons vus tout entiers. Il n'y a plus personne derrière eux en Russie. Avec eux devraient conclure un accord, comme d'égaux à égaux, les millions d'ouvriers et de paysans, représentés à ce congrès, que ceux-là, non pour la première fois, sont tout disposés à livrer à la merci de la bourgeoisie&nbsp;? Non, ici l'accord ne vaut rien&nbsp;! A ceux qui sont sortis d'ici comme à ceux qui se présentent avec des propositions pareilles, nous devons dire&nbsp;: vous êtes de lamentables isolés, vous êtes des banqueroutiers, votre rôle est joué, rendez-vous là où votre classe est désormais&nbsp;: dans la poubelle de l'histoire&nbsp;! &nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
''«&nbsp;Alors, nous sortons&nbsp;!&nbsp;»'' crie Martov. Son allié [[Soukhanov|Soukhanov]] convoque une réunion de fraction et tente de refuser le départ, mais par 14 voix contre 12, Martov l'emporte.
 
''«&nbsp;Alors, nous sortons&nbsp;!&nbsp;»'' crie Martov. Son allié [[Soukhanov|Soukhanov]] convoque une réunion de fraction et tente de refuser le départ, mais par 14 voix contre 12, Martov l'emporte.
   Ligne 95 : Ligne 100 :     
Trotski propose une motion&nbsp;:
 
Trotski propose une motion&nbsp;:
<blockquote>«&nbsp;Le 2<sup>e</sup> Congrès doit constater que le départ des mencheviks et des SR est une tentative criminelle et sans espoir de briser la représentativité de cette assemblée au moment où les masses s’efforcent de défendre la révolution contre les attaques de la contre-révolution&nbsp;»</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
«&nbsp;Le 2<sup>e</sup> Congrès doit constater que le départ des mencheviks et des SR est une tentative criminelle et sans espoir de briser la représentativité de cette assemblée au moment où les masses s’efforcent de défendre la révolution contre les attaques de la contre-révolution&nbsp;»
 +
</blockquote>
 +
 
Le SR de gauche [[Boris_Kamkov|Kamkov]] prend alors la parole. Il assume la scission avec les SR de droite, mais déclare que ses partisans aussi estiment indispensable de réaliser un front unique révolutionnaire et se prononcent contre la violente résolution de Trotski qui ferme les portes à un accord avec la démocratie modérée. Les bolchéviks n'insistent pas sur la motion de Trotski. [[Lounatcharsky|Lounatcharsky]] intervient pour apaiser et rappeler que les bolchéviks ne se sont pas opposés à ce front unique mais que ce sont les autres groupes qui ont décliné.
 
Le SR de gauche [[Boris_Kamkov|Kamkov]] prend alors la parole. Il assume la scission avec les SR de droite, mais déclare que ses partisans aussi estiment indispensable de réaliser un front unique révolutionnaire et se prononcent contre la violente résolution de Trotski qui ferme les portes à un accord avec la démocratie modérée. Les bolchéviks n'insistent pas sur la motion de Trotski. [[Lounatcharsky|Lounatcharsky]] intervient pour apaiser et rappeler que les bolchéviks ne se sont pas opposés à ce front unique mais que ce sont les autres groupes qui ont décliné.
   Ligne 115 : Ligne 123 :     
Finalement, [[Lounatcharsky|Lounatcharsky]] peut lire à haute voix un appel aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, qui proclame entre autre&nbsp;:
 
Finalement, [[Lounatcharsky|Lounatcharsky]] peut lire à haute voix un appel aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, qui proclame entre autre&nbsp;:
<blockquote>Le congrès prend en mains le pouvoir. Le Gouvernement provisoire est renversé.&nbsp; Le pouvoir des Soviets proposera une paix immédiate et démocratique à tous les peuples et un armistice immédiat sur tous les fronts. Il assurera la remise sans indemnité des terres des propriétaires fonciers (...) à la disposition des comités paysans&nbsp;; il défendra les droits du soldat en procédant à la démocratisation totale de l'armée&nbsp;; il établira le contrôle ouvrier de la production&nbsp;; il assurera en temps voulu la convocation de l'Assemblée constituante&nbsp;; (...) il assurera à toutes les nations qui peuplent la Russie le droit véritable de disposer d'elles-mêmes. Le congrès décrète&nbsp;: tout le pouvoir sur le plan local passe aux Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, qui doivent assurer un ordre authentiquement révolutionnaire.<ref>Deuxième congrès pan-russe des Soviets, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/2-co-so/vil19171025-01.htm Aux ouvriers, aux soldats et aux paysans !]'', 1917</ref></blockquote>  
+
<blockquote>
 +
Le congrès prend en mains le pouvoir. Le Gouvernement provisoire est renversé.&nbsp; Le pouvoir des Soviets proposera une paix immédiate et démocratique à tous les peuples et un armistice immédiat sur tous les fronts. Il assurera la remise sans indemnité des terres des propriétaires fonciers (...) à la disposition des comités paysans&nbsp;; il défendra les droits du soldat en procédant à la démocratisation totale de l'armée&nbsp;; il établira le contrôle ouvrier de la production&nbsp;; il assurera en temps voulu la convocation de l'Assemblée constituante&nbsp;; (...) il assurera à toutes les nations qui peuplent la Russie le droit véritable de disposer d'elles-mêmes. Le congrès décrète&nbsp;: tout le pouvoir sur le plan local passe aux Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, qui doivent assurer un ordre authentiquement révolutionnaire.<ref>Deuxième congrès pan-russe des Soviets, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/2-co-so/vil19171025-01.htm Aux ouvriers, aux soldats et aux paysans !]'', 1917</ref>
 +
</blockquote>
 +
 
Le congrès ne représentait officiellement que les soviets d'ouvriers et de soldats, mais des délégués de différents soviets paysans étaient invités en observateurs. Face à l'énorme enjeu devant eux, les délégués paysans interviennent et demandent à être intégrés. Le congrès leur accorde immédiatement le droit de suffrage délibératif.
 
Le congrès ne représentait officiellement que les soviets d'ouvriers et de soldats, mais des délégués de différents soviets paysans étaient invités en observateurs. Face à l'énorme enjeu devant eux, les délégués paysans interviennent et demandent à être intégrés. Le congrès leur accorde immédiatement le droit de suffrage délibératif.
   Ligne 122 : Ligne 133 :  
L'appel effraie certains des compagnons de route par son caractère inéluctable. De nouveau défilent à la tribune de petites fractions. Un tout petit groupe de menchéviks quittent à leur tour le congrès, disant vouloir garder la possibilité de sauver les bolcheviks&nbsp;: ''«&nbsp;Autrement vous vous perdrez vous-mêmes, vous nous perdrez aussi, vous perdrez la révolution.&nbsp;»'' Le représentant du [[Parti_socialiste_polonais|Parti socialiste polonais]], Lapinsky, tout en restant pour ''«&nbsp;défendre son point de vue jusqu'au bout&nbsp;»'' avertit sur le même ton&nbsp;: ''«&nbsp;Les bolcheviks ne pourront tirer parti du pouvoir qu'ils prennent sur eux.&nbsp;»'' Le [[Parti_ouvrier_socialiste_juif_unifié|parti ouvrier juif unifié]] et les [[Social-démocrates_internationalistes_unifiés|internationalistes unifiés]] s'abstiennent. Mais ces groupes représentaient extrêmement peu&nbsp;: l'appel est adopté par toutes les voix contre 2, avec 12 abstentions.
 
L'appel effraie certains des compagnons de route par son caractère inéluctable. De nouveau défilent à la tribune de petites fractions. Un tout petit groupe de menchéviks quittent à leur tour le congrès, disant vouloir garder la possibilité de sauver les bolcheviks&nbsp;: ''«&nbsp;Autrement vous vous perdrez vous-mêmes, vous nous perdrez aussi, vous perdrez la révolution.&nbsp;»'' Le représentant du [[Parti_socialiste_polonais|Parti socialiste polonais]], Lapinsky, tout en restant pour ''«&nbsp;défendre son point de vue jusqu'au bout&nbsp;»'' avertit sur le même ton&nbsp;: ''«&nbsp;Les bolcheviks ne pourront tirer parti du pouvoir qu'ils prennent sur eux.&nbsp;»'' Le [[Parti_ouvrier_socialiste_juif_unifié|parti ouvrier juif unifié]] et les [[Social-démocrates_internationalistes_unifiés|internationalistes unifiés]] s'abstiennent. Mais ces groupes représentaient extrêmement peu&nbsp;: l'appel est adopté par toutes les voix contre 2, avec 12 abstentions.
   −
Les représentants bolchéviks ajoutent :<blockquote>«  De  nouvelles lois  seront  édictées  ces  jours-ci  sur  la  question  ouvrière  :  l'une  des  plus  importantes  portera  sur  le contrôle  ouvrier  de  la  production  et  la  normalisation  de  l'industrie.  Les  grèves  et  les  manifestations sont nuisibles à Pétrograd. Nous vous prions de cesser immédiatement toutes les grèves économiques et politiques, de reprendre le travail et de l'accomplir en ordre parfait (...) Chacun à sa place ! Le meilleur moyen  de  soutenir  le  gouvernement  des  Soviets  en  ces  jours  est  d'accomplir  son  travail  »</blockquote>
+
Les représentants bolchéviks ajoutent :
 +
<blockquote>
 +
«  De  nouvelles lois  seront  édictées  ces  jours-ci  sur  la  question  ouvrière  :  l'une  des  plus  importantes  portera  sur  le contrôle  ouvrier  de  la  production  et  la  normalisation  de  l'industrie.  Les  grèves  et  les  manifestations sont nuisibles à Pétrograd. Nous vous prions de cesser immédiatement toutes les grèves économiques et politiques, de reprendre le travail et de l'accomplir en ordre parfait (...) Chacun à sa place ! Le meilleur moyen  de  soutenir  le  gouvernement  des  Soviets  en  ces  jours  est  d'accomplir  son  travail  »
 +
</blockquote>
      Ligne 132 : Ligne 146 :     
Ils parlent de la prise du palais d'Hiver, mais comme d'un épisode passager. Kerensky est parti pour le Grand Quartier Général, le sort du pouvoir sera décidé par le front. Les comptes rendus du congrès reproduisent seulement les déclarations des droites, énumèrent ceux qui sont sortis et assurent que ceux qui sont restés sont impuissants. Le journal des mencheviks renchérit&nbsp;:
 
Ils parlent de la prise du palais d'Hiver, mais comme d'un épisode passager. Kerensky est parti pour le Grand Quartier Général, le sort du pouvoir sera décidé par le front. Les comptes rendus du congrès reproduisent seulement les déclarations des droites, énumèrent ceux qui sont sortis et assurent que ceux qui sont restés sont impuissants. Le journal des mencheviks renchérit&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis la "victoire" des bolcheviks et la fatalité historique commence déjà à tirer d'eux une cruelle vengeance.. autour d'eux, c'est le vide qu'ils ont eux-mêmes créé... ils sont isolés de tous... tout l'appareil des fonctionnaires et des techniciens refuse de se mettre à leur service... Ils s'effondrent au moment même de leur triomphe dans un abîme... &nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis la "victoire" des bolcheviks et la fatalité historique commence déjà à tirer d'eux une cruelle vengeance.. autour d'eux, c'est le vide qu'ils ont eux-mêmes créé... ils sont isolés de tous... tout l'appareil des fonctionnaires et des techniciens refuse de se mettre à leur service... Ils s'effondrent au moment même de leur triomphe dans un abîme... &nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
Mais les rumeurs de la rue sont plus inquiètes. On ne voit pas venir les renforts, et les ministres sont bien enfermés dans la forteresse. La bourse s'affole. La presse bourgeoise et conciliatrice vomissait ses calomnies&nbsp;: ''«&nbsp; les poches des hommes de la garde rouge sont pleines de marks allemands&nbsp;»'', ''«&nbsp;ce sont des officiers allemands qui commandent l'insurrection&nbsp;»'', etc. Les journaux les plus déchaînés furent interdits dès la nuit du 25 au 26. Un certain nombre d'autres furent confisqués dans le courant de la journée.
 
Mais les rumeurs de la rue sont plus inquiètes. On ne voit pas venir les renforts, et les ministres sont bien enfermés dans la forteresse. La bourse s'affole. La presse bourgeoise et conciliatrice vomissait ses calomnies&nbsp;: ''«&nbsp; les poches des hommes de la garde rouge sont pleines de marks allemands&nbsp;»'', ''«&nbsp;ce sont des officiers allemands qui commandent l'insurrection&nbsp;»'', etc. Les journaux les plus déchaînés furent interdits dès la nuit du 25 au 26. Un certain nombre d'autres furent confisqués dans le courant de la journée.
   Ligne 138 : Ligne 155 :     
Comme&nbsp;le [[Palais_de_Tauride|palais de Tauride]] en Février, Smolny était devenu soudain le centre de toutes les fonctions de la capitale et de l’Etat. Là siégeaient toutes les institutions dirigeantes. De là partaient les décisions, ou bien c'est là que l'on venait en chercher. C'est là que l'on réclamait des armes, c'est là qu'on livrait des fusils et des revolvers confisqués aux ennemis. De différents points de la ville on amenait des personnages arrêtés. [[Trotski|Trotski]] décrit ainsi l'agitation révolutionnaire se cristallisant en un nouveau pouvoir&nbsp;:
 
Comme&nbsp;le [[Palais_de_Tauride|palais de Tauride]] en Février, Smolny était devenu soudain le centre de toutes les fonctions de la capitale et de l’Etat. Là siégeaient toutes les institutions dirigeantes. De là partaient les décisions, ou bien c'est là que l'on venait en chercher. C'est là que l'on réclamait des armes, c'est là qu'on livrait des fusils et des revolvers confisqués aux ennemis. De différents points de la ville on amenait des personnages arrêtés. [[Trotski|Trotski]] décrit ainsi l'agitation révolutionnaire se cristallisant en un nouveau pouvoir&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Depuis la création du monde, jamais encore autant d'ordres n'avaient été lancés, oralement, au crayon, à la machine, par fil, l'un cherchant à rattraper l'autre, - des milliers et des myriades d'ordres, - non toujours envoyés par ceux qui avaient le droit de commander et rarement reçus par ceux qui étaient en état d'exécuter. Mais le miracle c'était que, dans ce remous de folie, il y avait un sens profond, que les gens s'ingéniaient à se comprendre entre eux, que le plus important et le plus indispensable était tout de même mis à exécution, que, pour remplacer le vieil appareil de direction, les premiers fils d'une direction nouvelle étaient tendus&nbsp;: la révolution se renforçait. &nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Depuis la création du monde, jamais encore autant d'ordres n'avaient été lancés, oralement, au crayon, à la machine, par fil, l'un cherchant à rattraper l'autre, - des milliers et des myriades d'ordres, - non toujours envoyés par ceux qui avaient le droit de commander et rarement reçus par ceux qui étaient en état d'exécuter. Mais le miracle c'était que, dans ce remous de folie, il y avait un sens profond, que les gens s'ingéniaient à se comprendre entre eux, que le plus important et le plus indispensable était tout de même mis à exécution, que, pour remplacer le vieil appareil de direction, les premiers fils d'une direction nouvelle étaient tendus&nbsp;: la révolution se renforçait. &nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
===''«&nbsp;Edifier l'ordre socialiste&nbsp;»'', la paix et la terre===
 
===''«&nbsp;Edifier l'ordre socialiste&nbsp;»'', la paix et la terre===
   Ligne 150 : Ligne 170 :     
Un à un, les représentants des forces alliées interviennent pour dire leur accord&nbsp;: les SR de gauche, les internationalistes unifiés (mais à condition qu'elle soit faite au nom du gouvernement de coalition), [[Pawel_Lapinsky|Lapinsky]] au nom du [[Parti_socialiste_polonais|PSP]], [[Dzerjinsky|Dzerjinsky]] au nom du&nbsp;[[SDKPiL|SDKPiL]], [[Pēteris_Stučka|Stoutchka]] au nom du [[Parti_social-démocrate_du_travail_letton|LSDSP]], [[Kapsukas|Kapsukas]] au nom du [[Parti_social-démocrate_lituanien|LSDP]]. La proclamation est adoptée à l'unanimité, et ''[[L'Internationale_(chanson)|l'Internationale]]'' retentit, avec une signification extrêment profonde en ce moment-là. Quelqu'un lança alors un ''«&nbsp;Vive Lénine&nbsp;!&nbsp;»'' largement repris.
 
Un à un, les représentants des forces alliées interviennent pour dire leur accord&nbsp;: les SR de gauche, les internationalistes unifiés (mais à condition qu'elle soit faite au nom du gouvernement de coalition), [[Pawel_Lapinsky|Lapinsky]] au nom du [[Parti_socialiste_polonais|PSP]], [[Dzerjinsky|Dzerjinsky]] au nom du&nbsp;[[SDKPiL|SDKPiL]], [[Pēteris_Stučka|Stoutchka]] au nom du [[Parti_social-démocrate_du_travail_letton|LSDSP]], [[Kapsukas|Kapsukas]] au nom du [[Parti_social-démocrate_lituanien|LSDP]]. La proclamation est adoptée à l'unanimité, et ''[[L'Internationale_(chanson)|l'Internationale]]'' retentit, avec une signification extrêment profonde en ce moment-là. Quelqu'un lança alors un ''«&nbsp;Vive Lénine&nbsp;!&nbsp;»'' largement repris.
<blockquote>''«&nbsp;Même ceux qui étaient les plus proches de lui, ceux qui connaissaient bien sa place dans le parti, sentirent pour la première fois complètement ce qu'il signifiait pour la révolution, pour le peuple, pour les peuples. C'était lui qui avait fait l'éducation. C'était lui qui avait enseigné. (...)&nbsp;''Les émotions par lesquelles on avait passé, les doutes surmontés, l'orgueil de l'initiative, le triomphe, les grands espoirs, tout se confondit en une éruption volcanique de reconnaissance et d'enthousiasme ''»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Même ceux qui étaient les plus proches de lui, ceux qui connaissaient bien sa place dans le parti, sentirent pour la première fois complètement ce qu'il signifiait pour la révolution, pour le peuple, pour les peuples. C'était lui qui avait fait l'éducation. C'était lui qui avait enseigné. (...)&nbsp;''Les émotions par lesquelles on avait passé, les doutes surmontés, l'orgueil de l'initiative, le triomphe, les grands espoirs, tout se confondit en une éruption volcanique de reconnaissance et d'enthousiasme ''»''
 +
</blockquote>
 +
 
Lénine revient à la tribune, cette fois sur la [[Mouvement_paysan_en_1917|question agraire]]. La proposition de décret<ref>Deuxième congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/2-co-so/vil19171025-04.htm Décret sur la terre]'', 1917</ref> qu'il présente acte simplement les aspirations des millions de paysans, que ceux-ci ont par ailleurs commencé à réaliser de fait. ''«&nbsp;La propriété terrienne des nobles est abolie immédiatement sans aucun droit de rachat.&nbsp;»'' Ces terres sont remises aux comités agraires de canton et aux soviets des députés paysans de district, en attendant l'Assemblée constituante. Le travail salarié est interdit. Les bolchéviks reprennent la revendication paysanne de répartition des terres, même si ce n'est pas le projet communiste de collectivisation. Ils jugent prioritaire de sceller l'alliance ouvrier et paysans, au moins dans l'immédiat contre les nobles. Au moment du vote, Kalegaïev déclare&nbsp;: ''«&nbsp;La fraction des socialistes-révolutionnaires de gauche accueille le projet de Lenine comme le triomphe de son idée à elle&nbsp;»'', mais réclame une suspension de séance. Un SR maximaliste s'impatiente&nbsp;: ''«&nbsp; Nous devrions rendre hommage au parti qui, dés le premier jour, sans vains bavardages, applique une pareille mesure&nbsp;»''. [[Lenine|Lenine]] insiste pour que la suspension de séance soit en tout cas aussi courte que possible. ''«&nbsp;Des nouvelles aussi importantes pour la Russie doivent être imprimées dés le matin. Pas de retards&nbsp;!&nbsp;»''&nbsp;
 
Lénine revient à la tribune, cette fois sur la [[Mouvement_paysan_en_1917|question agraire]]. La proposition de décret<ref>Deuxième congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/2-co-so/vil19171025-04.htm Décret sur la terre]'', 1917</ref> qu'il présente acte simplement les aspirations des millions de paysans, que ceux-ci ont par ailleurs commencé à réaliser de fait. ''«&nbsp;La propriété terrienne des nobles est abolie immédiatement sans aucun droit de rachat.&nbsp;»'' Ces terres sont remises aux comités agraires de canton et aux soviets des députés paysans de district, en attendant l'Assemblée constituante. Le travail salarié est interdit. Les bolchéviks reprennent la revendication paysanne de répartition des terres, même si ce n'est pas le projet communiste de collectivisation. Ils jugent prioritaire de sceller l'alliance ouvrier et paysans, au moins dans l'immédiat contre les nobles. Au moment du vote, Kalegaïev déclare&nbsp;: ''«&nbsp;La fraction des socialistes-révolutionnaires de gauche accueille le projet de Lenine comme le triomphe de son idée à elle&nbsp;»'', mais réclame une suspension de séance. Un SR maximaliste s'impatiente&nbsp;: ''«&nbsp; Nous devrions rendre hommage au parti qui, dés le premier jour, sans vains bavardages, applique une pareille mesure&nbsp;»''. [[Lenine|Lenine]] insiste pour que la suspension de séance soit en tout cas aussi courte que possible. ''«&nbsp;Des nouvelles aussi importantes pour la Russie doivent être imprimées dés le matin. Pas de retards&nbsp;!&nbsp;»''&nbsp;
   Ligne 170 : Ligne 193 :     
C'est [[Trotski|<span class="mw-redirect">Trotski</span>]] qui est chargé de la réponse à [[Nikolai_Glebov-Avilov|Avilov]] et [[Kareline|Kareline]] au nom des bolchéviks. Il répond que les bolchéviks ne pas isolés, malgré l'hostilité de nombreux petits groupes qui eux se sont vidés et coupés des masses. Il montre en prenant chaque sujet comment la coalition avec ceux qui ne voulaient pas aller de l'avant était seulement source de faiblesse, et comment ce sont les actes des conciliateurs qui rendent impossibles la coalition&nbsp;:
 
C'est [[Trotski|<span class="mw-redirect">Trotski</span>]] qui est chargé de la réponse à [[Nikolai_Glebov-Avilov|Avilov]] et [[Kareline|Kareline]] au nom des bolchéviks. Il répond que les bolchéviks ne pas isolés, malgré l'hostilité de nombreux petits groupes qui eux se sont vidés et coupés des masses. Il montre en prenant chaque sujet comment la coalition avec ceux qui ne voulaient pas aller de l'avant était seulement source de faiblesse, et comment ce sont les actes des conciliateurs qui rendent impossibles la coalition&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;On dit que la scission de la démocratie provient d'un malentendu. Lorsque Kerensky envoie contre nous des bataillons de choc, lorsque, avec l'assentiment du comité exécutif central, nous avons nos communications téléphoniques coupées au moment le plus grave de notre lutte contre la bourgeoisie, lorsque l'on nous assène coups sur coups - peut-on encore parler d'un malentendu&nbsp;? &nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;On dit que la scission de la démocratie provient d'un malentendu. Lorsque Kerensky envoie contre nous des bataillons de choc, lorsque, avec l'assentiment du comité exécutif central, nous avons nos communications téléphoniques coupées au moment le plus grave de notre lutte contre la bourgeoisie, lorsque l'on nous assène coups sur coups - peut-on encore parler d'un malentendu&nbsp;? &nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
Trotski conclut en soulignant que la seule voix est dans la [[Révolution_mondiale|révolution mondiale]]. ''«&nbsp;Ou bien la Révolution russe soulèvera le tourbillon de la lutte en Occident, ou bien les capitalistes de tous les pays étoufferont notre révolution.&nbsp;»'' [[John_Silas_Reed|Reed]] témoigne&nbsp;: ''«&nbsp;Les délégués du congrès saluèrent ce discours de longues salves d'applaudissements, s'enflammant à l’idée audacieuse d'une défense de l'humanité.&nbsp;»''
 
Trotski conclut en soulignant que la seule voix est dans la [[Révolution_mondiale|révolution mondiale]]. ''«&nbsp;Ou bien la Révolution russe soulèvera le tourbillon de la lutte en Occident, ou bien les capitalistes de tous les pays étoufferont notre révolution.&nbsp;»'' [[John_Silas_Reed|Reed]] témoigne&nbsp;: ''«&nbsp;Les délégués du congrès saluèrent ce discours de longues salves d'applaudissements, s'enflammant à l’idée audacieuse d'une défense de l'humanité.&nbsp;»''
   Ligne 182 : Ligne 208 :     
Ce matin-là, l'organe central du parti bolcheviste, qui avait repris son vieux nom de ''[[Pravda|Pravda]]'', écrivait&nbsp;:
 
Ce matin-là, l'organe central du parti bolcheviste, qui avait repris son vieux nom de ''[[Pravda|Pravda]]'', écrivait&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Ils veulent que nous soyons seuls à prendre le pouvoir, pour que nous soyons seuls à régler les terribles difficultés qui se sont posées devant le pays... Eh bien, nous prenons le pouvoir tout seuls, nous appuyant sur les suffrages du pays et comptant sur l'aide amicale du prolétariat européen. Mais, ayant pris le pouvoir, nous appliquerons aux ennemis de la révolution et à ceux qui la sabotent le gant de fer. Ils ont rêvé de la dictature de Kornilov... Nous leur donnerons la dictature du prolétariat...&nbsp;»''</blockquote>  
+
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Ils veulent que nous soyons seuls à prendre le pouvoir, pour que nous soyons seuls à régler les terribles difficultés qui se sont posées devant le pays... Eh bien, nous prenons le pouvoir tout seuls, nous appuyant sur les suffrages du pays et comptant sur l'aide amicale du prolétariat européen. Mais, ayant pris le pouvoir, nous appliquerons aux ennemis de la révolution et à ceux qui la sabotent le gant de fer. Ils ont rêvé de la dictature de Kornilov... Nous leur donnerons la dictature du prolétariat...&nbsp;»''
 +
</blockquote>
 +
 
==Postérité==
 
==Postérité==
  

Menu de navigation