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L'autre donnée politique majeure, c'est la [[Guerre_russo-japonaise_(1904-1905)|guerre contre le Japon]] dans laquelle s’engage la Russie en 1904. « Il nous faut une petite guerre victorieuse » afin de renforcer le régime tsariste et d’arrêter la montée de l’agitation, confie le ministre russe de l’Intérieur au ministre la Guerre. Mais cette [[Guerre|guerre]] ne tarde pas à devenir la plus impopulaire de l’histoire russe. Les libéraux, qui s'étaient d'abord joints à la vague nationaliste, se font oppositionnels lorsqu'il apparaît clairement que la Russie ne pas l'emporter. Ils espèrent alors profiter de la crise politique pour obtenir des concessions libérales du régime.   
 
L'autre donnée politique majeure, c'est la [[Guerre_russo-japonaise_(1904-1905)|guerre contre le Japon]] dans laquelle s’engage la Russie en 1904. « Il nous faut une petite guerre victorieuse » afin de renforcer le régime tsariste et d’arrêter la montée de l’agitation, confie le ministre russe de l’Intérieur au ministre la Guerre. Mais cette [[Guerre|guerre]] ne tarde pas à devenir la plus impopulaire de l’histoire russe. Les libéraux, qui s'étaient d'abord joints à la vague nationaliste, se font oppositionnels lorsqu'il apparaît clairement que la Russie ne pas l'emporter. Ils espèrent alors profiter de la crise politique pour obtenir des concessions libérales du régime.   
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=== Campagne des libéraux ===
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===Campagne des libéraux===
Ils  lancent alors une campagne, utilisant les organes locaux de gouvernement (''[[Zemstvo|zemstvos]]''), réunissant une conférence nationale des délégués des zemstvos en novembre. Puis, ils lancèrent des banquets bourgeois inspirés de la ''[[campagne des banquets]]''. Des discours interminables furent prononcés, des plans de réforme [[Constitution|constitutionnelle]] discutés, des protestations étalées au grand jour.   
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Ils  lancent alors une campagne, utilisant les organes locaux de gouvernement (''[[Zemstvo|zemstvos]]''), réunissant une conférence nationale des délégués des zemstvos en novembre. Puis, ils lancèrent des banquets bourgeois inspirés de la ''[[campagne des banquets]]''. Des discours interminables furent prononcés, des plans de réforme [[Constitution|constitutionnelle]] discutés, des protestations étalées au grand jour. [[Pierre Struve|Strouvé]] écrivait encore : « Tout libéral sincère et réfléchi de Russie exige une révolution. »<ref name=":1">M.N. Pokrovsky, [http://sergeyhry.narod.ru/txt/rus_hists_042.htm Русская История в самом сжатом очерке], 1933</ref>  
    
Les mencheviks étaient euphorisés par ces banquets, et centraient leur politique dessus, appelant surtout les ouvriers à ne pas effrayer la bourgeoisie, au nom du fait que la révolution à venir serait une [[révolution bourgeoise]]<ref>Martynov, [http://iskra-research.org/Trotsky/Permanent/chapter12.shtml Две диктатуры] (Deux dictatures), Genève 1904.</ref>. Les socialistes ne devaient pas pousser le mouvement vers la gauche, car cela risquait de faire le jeu de la [[contre-révolution]].<ref>''Iskra'', 1<sup>er</sup> novembre 1904 ([https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/11/vil19041100.htm cité par Lénine])</ref>  
 
Les mencheviks étaient euphorisés par ces banquets, et centraient leur politique dessus, appelant surtout les ouvriers à ne pas effrayer la bourgeoisie, au nom du fait que la révolution à venir serait une [[révolution bourgeoise]]<ref>Martynov, [http://iskra-research.org/Trotsky/Permanent/chapter12.shtml Две диктатуры] (Deux dictatures), Genève 1904.</ref>. Les socialistes ne devaient pas pousser le mouvement vers la gauche, car cela risquait de faire le jeu de la [[contre-révolution]].<ref>''Iskra'', 1<sup>er</sup> novembre 1904 ([https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/11/vil19041100.htm cité par Lénine])</ref>  
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Lénine insistait sur le fait que les libéraux étaient de toute façon trop lâches, et qu'il fallait miser sur une vraie [[révolution populaire]].  
 
Lénine insistait sur le fait que les libéraux étaient de toute façon trop lâches, et qu'il fallait miser sur une vraie [[révolution populaire]].  
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===Mouvement de Gapone===
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===Gapone et le mouvement zoubatoviste===
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En réaction à l'agitation des révolutionnaires, la police tsariste avait développé un nouveau type de [[mouvement syndical]] et [[Coopératives|coopérativiste]] sous son contrôle. On parlait de [[Sergueï Zoubatov|zoubatovisme]], du nom de Zoubatov, chef de la police à Moscou.  Mais les plans de la police ne donnèrent pas les résultats escomptés. Les ouvriers se servirent des organisations légales de Zoubatov pour organiser des grèves et exprimer leurs revendications.
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En particulier, le syndicat policier de Saint-Pétersbourg s’appelait « l’Assemblée des Ouvriers Russes des Usines et des Ateliers. » Il avait des sections dans tous les districts de la capitale et organisait l’entraide et des activités culturelles, éducatives et [[Religion|religieuses]]. Il était dirigé par le pope orthodoxe [[Gueorgui Gapon|Gueorgui Gapone]]. Or celui-ci va jouer un rôle de de déclencheur dans les événements révolutionnaires.
    
==Les événements==
 
==Les événements==
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===La grève des usines Poutilov===
 
===La grève des usines Poutilov===
Le 17 décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines Poutilov, industrie de la défense nationale. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en [[Grève|grève]] le 3 janvier. Plus gros complexe [[Industrie|industriel]] de Saint-Pétersbourg, ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction.  
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Le 17 décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines d'armement Poutilov, pour appartenance à l'organisation de [[Gueorgui Gapon|Gapone]]. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en [[Grève|grève]] le 3 janvier. Plus gros complexe [[Industrie|industriel]] de Saint-Pétersbourg, ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction.  
    
Lénine apprit la nouvelle dans les journaux étrangers, tellement le comité bolchévik de Saint-Pétersbourg était coupé des masses. [[Vladimir Nevski|Nevski]], cadre bolchévik local, soutient que cela était dû fait que le comité « devait se consacrer entièrement à la lutte contre les organisations mencheviques conciliatrices. »<ref>V.I. Nevsky, [http://elib.shpl.ru/ru/nodes/4702-nevskiy-v-i-rabochee-dvizhenie-v-yanvarskie-dni-1905-goda-m-1930-istoriko-revolyutsionnaya-biblioteka-8-10-57-59#mode/inspect/page/87/zoom/7 Рабочее движение в январские дни 1905 года], Moscou 1930, p. 85.</ref> Il reconnaît cependant que les bolchéviks étaient largement coupés des masses, et ne comprenaient pas le mouvement de [[Gueorgui Gapon|Gapone]], méprisé comme [[zoubatoviste]].
 
Lénine apprit la nouvelle dans les journaux étrangers, tellement le comité bolchévik de Saint-Pétersbourg était coupé des masses. [[Vladimir Nevski|Nevski]], cadre bolchévik local, soutient que cela était dû fait que le comité « devait se consacrer entièrement à la lutte contre les organisations mencheviques conciliatrices. »<ref>V.I. Nevsky, [http://elib.shpl.ru/ru/nodes/4702-nevskiy-v-i-rabochee-dvizhenie-v-yanvarskie-dni-1905-goda-m-1930-istoriko-revolyutsionnaya-biblioteka-8-10-57-59#mode/inspect/page/87/zoom/7 Рабочее движение в январские дни 1905 года], Moscou 1930, p. 85.</ref> Il reconnaît cependant que les bolchéviks étaient largement coupés des masses, et ne comprenaient pas le mouvement de [[Gueorgui Gapon|Gapone]], méprisé comme [[zoubatoviste]].
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Le mouvement s’étend aux entreprises voisines&nbsp;: le vendredi 7 janvier, 100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux.
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Le mouvement s’étend aux entreprises voisines&nbsp;: le vendredi 7 janvier, 100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux. ''« La Russie n’avait encore jamais vu une telle explosion de la lutte des classes »'' (Lénine)<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1905/rd/index.htm Journées révolutionnaires]'', Janvier 1905</ref>. Le gouvernement et le clergé répandait la rumeur que ce mouvement était fomenté par des agents anglo-japonais.<ref name=":0">Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/lenine-revolution-1905/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti]'', 1975</ref>
 
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===Apparition des soviets===
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Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le «&nbsp;Manchester russe&nbsp;»&nbsp;&nbsp;: il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit. Après une manifestation imposante le 15 mai, le gouverneur de la ville demanda aux ouvriers de désigner des délégués afin d’ouvrir des négociations. Dans les jours qui suivirent, les usines d’Ivanovo élurent 110 délégués qui constituèrent un soviet dont le bureau élabora une plate-forme de revendications sociales et politiques. Pendant six semaines, le bureau du soviet d’Ivanovo mena des discussions avec le gouverneur, avant de se résoudre à reprendre le travail et de voter sa dissolution. Malgré ses évidentes limites, l’expérience d’Ivanovo connut un grand retentissement et se diffusa dans la petite cinquantaine de villes industrielles russes qui, durant l’été et surtout l’automne 1905, se dotèrent elles aussi de soviets ouvriers, afin d’élaborer leurs revendications et les discuter avec le patronat et les autorités. <ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 2017</ref>
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===Le Dimanche sanglant===
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===Le Dimanche rouge===
{{See also|Dimanche sanglant}}
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{{See also|Dimanche rouge}}
 
[[Gueorgui_Gapon|Gapone]], pope (religieux orthodoxe) et président de l’Union des ouvriers d’usine de Saint-Pétersbourg (mutuelle ouvrière sous autorité du Tsar) rédige une [[Pétition|pétition]] à Nicolas II qui recueille plus de 150 000 signatures.
 
[[Gueorgui_Gapon|Gapone]], pope (religieux orthodoxe) et président de l’Union des ouvriers d’usine de Saint-Pétersbourg (mutuelle ouvrière sous autorité du Tsar) rédige une [[Pétition|pétition]] à Nicolas II qui recueille plus de 150 000 signatures.
 
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Cette pétition à elle seule révèle toutes les confusions dans les esprits d’un peuple qui se soulève. Le 9 janvier (n.s. 22 janvier), des milliers d’ouvriers, conduits par Gapone, convergent vers la place du Palais d’Hiver, portant des icônes et chantant des cantiques. 40 000 hommes de la troupe tsariste chargent la foule, faisant plus de 1 000 morts et 2 000 blessés. Cette date est restée connue sous le nom de [[Dimanche_rouge|Dimanche rouge]].
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Cette pétition à elle seule révèle toutes les confusions dans les esprits d’un peuple qui se soulève. Le 9 janvier (n.s. 22 janvier), des milliers d’ouvriers, conduits par Gapone, convergent vers la place du Palais d’Hiver, portant des icônes et chantant des cantiques. Mais le tsar n'est pas prêt à faire des concessions. 40 000 hommes de la troupe tsariste chargent la foule, faisant plus de 1 000 morts et 2 000 blessés. Cette date est restée connue sous le nom de Dimanche rouge.
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Le même soir, le pope Gapone bouleversé s’adressa à la foule, déclarant : « Nous n’avons plus de tsar », et appelant les soldats à se considérer comme libres de toute obligation envers « le traître, le tsar, qui a ordonné que soit répandu le sang des innocents. »
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===Radicalisation===
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La réaction est cependant immédiate&nbsp;: dès le lendemain, les [[Mouvement étudiant|étudiants]] organisent des collectes de fonds pour les victimes du massacre et font de porte-à-porte qui se transforme en propagande anti-gouvernementale. Les ouvriers de Saint-Pétersbourg prolongent leur grève. Plusieurs autres centres industriels se mettent en grève par solidarité. Dans tout le pays s’élaborent des revendications, au travers de réunions et de constitutions de syndicats. La liberté de la presse est un fait accompli, la police n’osant plus réagir.
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Le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] produit un effet d’entraînement sur les [[Paysannerie|paysans]] qui s’engagent à leur tour dans la lutte avec un vaste mouvement au printemps 1905, non seulement économique (notamment pour la [[Journée_de_8_heures|journée de 8 heures]]), mais aussi politique.  
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===Répression et radicalisation===
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Dans les provinces [[Minorités_nationales_en_Russie|non russes]], des soulèvements réclament l’[[Indépendance|indépendance]]. La combinaison des [[Grèves|grèves]] ouvrières dans les villes et du [[Mouvement_paysan_en_Russie|mouvement paysan]] dans les campagnes ébranle alors le plus ferme et le dernier appui du [[Tsarisme|tsarisme]], déjà contesté pour sa [[Guerre russo-japonaise|sale guerre]]&nbsp;: l’armée. La plus célèbre ces [[Révolte_militaire|révoltes militaires]] est [[Mutinerie_du_cuirassé_Potemkine|celle du cuirassé Prince Potemkine]] qui démarre au mois de juin.
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La réaction est cependant immédiate&nbsp;: dès le lendemain, les étudiants organisent des collectes de fonds pour les victimes du massacre et font de porte-à-porte qui se transforme en propagande anti-gouvernementale. Les ouvriers de Saint-Pétersbourg prolongent leur grève. Plusieurs autres centres industriels se mettent en grève par solidarité. Une révolution s’opère dans les esprits&nbsp;: [[Gueorgui_Gapon|Gapone]] lui-même affirme aux ouvriers qui l’ont suivi qu’ «&nbsp;il n’y a plus de Dieu ni de Tsar&nbsp;». Dans tout le pays s’élaborent des revendications, au travers de réunions et de constitutions de syndicats. La liberté de la presse est un fait accompli, la police n’osant plus réagir.
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===Apparition des soviets===
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Dans l’action, une organisation de masse apparaît&nbsp;: les célèbres [[Soviet|soviets]] de députés ouvriers, assemblées de délégués élus dans les entreprises. Là se débattent et se décident les grandes orientations de la lutte.  
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Dans l’action, une organisation de masse apparaît&nbsp;: les célèbres [[Soviet|soviets]] de députés ouvriers, assemblées de délégués élus dans les entreprises. se débattent et se décident les grandes orientations de la lutte. Le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] produit un effet d’entraînement sur les [[Paysannerie|paysans]] qui s’engagent à leur tour dans la lutte avec un vaste mouvement au printemps 1905, non seulement économique (notamment pour la [[Journée_de_8_heures|journée de 8 heures]]), mais aussi politique. Dans les provinces [[Minorités_nationales_en_Russie|non russes]], des soulèvements réclament l’[[Indépendance|indépendance]]. La combinaison des [[Grèves|grèves]] ouvrières dans les villes et du [[Mouvement_paysan_en_Russie|mouvement paysan]] dans les campagnes ébranle alors le plus ferme et le dernier appui du [[Tsarisme|tsarisme]], déjà contesté pour sa sale guerre&nbsp;: l’armée. La plus célèbre ces [[Révolte_militaire|révoltes militaires]] est [[Mutinerie_du_cuirassé_Potemkine|celle du cuirassé Prince Potemkine]] qui démarre au mois de juin. Le [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] est dirigé par [[Trotsky|Trotsky]].
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Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le «&nbsp;Manchester russe&nbsp;»&nbsp;&nbsp;: il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit. Après une manifestation imposante le 15 mai, le gouverneur de la ville demanda aux ouvriers de désigner des délégués afin d’ouvrir des négociations. Dans les jours qui suivirent, les usines d’Ivanovo élurent 110 délégués qui constituèrent un soviet dont le bureau élabora une plate-forme de revendications sociales et politiques. Pendant six semaines, le bureau du soviet d’Ivanovo mena des discussions avec le gouverneur, avant de se résoudre à reprendre le travail et de voter sa dissolution. Malgré ses évidentes limites, l’expérience d’Ivanovo connut un grand retentissement et se diffusa dans la petite cinquantaine de villes industrielles russes qui, durant l’été et surtout l’automne 1905, se dotèrent elles aussi de soviets ouvriers, afin d’élaborer leurs revendications et les discuter avec le patronat et les autorités.<ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 2017</ref>
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<span class="mw-redirect">L'année révolutionnaire de 1905</span> fait apparaître nettement un pic du nombre de grévistes.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>
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Le [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] apparaît en octobre, au moment des grandes grèves dans la capitale. Il est d'abord présidé par un jeune juriste, [[Gueorgui Khroustalev-Nossar|Khroustalev-Nossar]].  
    
===Les miettes ne suffisent plus===
 
===Les miettes ne suffisent plus===
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En août, face à la situation, le Tsar annonce la création d’une assemblée représentative, la [[Douma_d'État_de_l'Empire_russe|Douma d'Etat]]. Il signe également la paix avec le Japon car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire&nbsp;: le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. Comme il en a plus ou moins confusément l’intuition, l’annonce de cette Douma constitue le dernier verrou protégeant l’[[Autocratie|autocratie]]. Qu’il cède, et le régime lui-même se trouverait remis en cause. Telle est l’atmosphère d’espérance révolutionnaire et de rejet de l’autocratie qui explique la [[Grève_générale|grève générale]] d’octobre. Le mouvement atteint en effet son apogée au cours de l’automne 1905. Environ un million de personnes sont en grève en octobre. «&nbsp;À bas la monarchie tsariste&nbsp;! Vive la République démocratique&nbsp;! Vive la révolte armée&nbsp;!&nbsp;» Tels sont les mots d’ordre à travers la Russie de dizaines de soviets.
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En août, face à la situation, le Tsar annonce la création d’une assemblée représentative, la [[Douma_d'État_de_l'Empire_russe|Douma d'Etat]]. Il signe également la paix avec le Japon car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire&nbsp;: le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. Comme il en a plus ou moins confusément l’intuition, l’annonce de cette Douma constitue le dernier verrou protégeant l’[[Autocratie|autocratie]]. Qu’il cède, et le régime lui-même se trouverait remis en cause.  
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Doté d’une milice et d’une influence de masse, le [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] s’engagea dans une confrontation ouverte avec le gouvernement en proclamant le 19 octobre la [[Journée_de_huit_heures|journée de huit heures]] et la fin de la [[Censure|censure]]. Le 8 décembre, le [[Soviet_de_Moscou|soviet de Moscou]] alla encore plus loin en appelant à l’[[Insurrection|insurrection]], tandis que le soviet de Novorossisk proclamait la [[République|République]] ou que celui de Tchita décidait d’organiser la socialisation de la Poste, des chemins de fer et des terres de l’Etat.
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=== Grève générale d'octobre ===
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Telle est l’atmosphère d’espérance révolutionnaire et de rejet de l’autocratie qui explique la [[Grève_générale|grève générale]] d’octobre. Le mouvement atteint en effet son apogée au cours de l’automne 1905. Environ un million de personnes sont en grève en octobre. «&nbsp;À bas la monarchie tsariste&nbsp;! Vive la République démocratique&nbsp;! Vive la révolte armée&nbsp;!&nbsp;» Tels sont les mots d’ordre à travers la Russie de dizaines de [[Soviet|soviets]]. <span class="mw-redirect">L'année révolutionnaire de 1905</span> fait apparaître  un pic très net du nombre de grévistes.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>
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Au début, une partie des patrons libéraux soutiennent le mouvement de grève, espérant que quelques sacrifices suffiraient à obtenir des gains politiques de l'action de la classe ouvrière. [[Gueorgui Khroustalev-Nossar|Khroustalev-Nossar]] témoigna :
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Pendant la grève d’octobre, les capitalistes non seulement ne mirent aucun obstacle aux meetings des ouvriers dans les usines, mais payèrent à la majorité des ouvriers la moitié des salaires pendant la période de grève ; dans certaines entreprises, ils payèrent même la totalité des salaires. Personne ne fut licencié pour fait de grève. A l’usine Poutilov et dans d’autres usines, l’administration de l’usine paya la totalité du salaire des délégués pour les journées où ils assistèrent aux réunions du soviet. L’administration de l’usine Oboukhov mit avec obligeance le bateau à vapeur de l’usine à la disposition des délégués du soviet lorsqu’ils se rendaient en ville.<ref name=":1" />
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L’éditorialiste de ''Pravo'', le principal organe de ceux qui devaient bientôt former le [[Parti constitutionnel démocratique|parti KD]], déclarait : « La première grève restera une page lumineuse dans l’histoire du mouvement de libération, un monument au grand mérite de la classe ouvrière dans la lutte pour l’émancipation politique et sociale du peuple. »
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Doté d’une milice et d’une influence de masse, le [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] s’engagea dans une confrontation ouverte avec le gouvernement en proclamant le 19 octobre la [[Journée_de_huit_heures|journée de heures]] et la fin de la [[Censure|censure]]. Le 8 décembre, le [[Soviet_de_Moscou|soviet de Moscou]] alla encore plus loin en appelant à l’[[Insurrection|insurrection]], tandis que le soviet de Novorossisk proclamait la [[République|République]] ou que celui de Tchita décidait d’organiser la socialisation de la Poste, des chemins de fer et des terres de l’Etat.
    
Les soviets s’imposaient comme la direction révolutionnaire du mouvement ouvrier, mais ils n'envisageaient pas de devenir un nouveau pouvoir, et se limitaient à réclamer l’élection d’une [[Assemblée_constituante|Assemblée constituante]] et la mise en place d’une république parlementaire. Aucun parti socialiste ne revendiquait d'ailleurs cela.
 
Les soviets s’imposaient comme la direction révolutionnaire du mouvement ouvrier, mais ils n'envisageaient pas de devenir un nouveau pouvoir, et se limitaient à réclamer l’élection d’une [[Assemblée_constituante|Assemblée constituante]] et la mise en place d’une république parlementaire. Aucun parti socialiste ne revendiquait d'ailleurs cela.
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La radicalité de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]] effraie la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]], qui préfère se jeter dans les bras du régime pour sauver ses propriétés. Les industriels généralisent les [[Lock-out|lock-out]], rendant un service inappréciable pour l'écrasement de la révolution. Le régime peut (contrairement à 1917) compter sur l'[[Armée_russe_en_1917|armée]] (et les [[Cosaques|cosaques]]) qui lui restent solidement acquise.
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=== La contre-révolution s'abat ===
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La radicalité de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]] effraie la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]]. Comprenant très vite que les ouvriers ne limitent pas leurs revendications à la démocratie libérale, mais menacent aussi leurs profits ([[Journée de huit heures|journée de 8 heures]]...), ils préfèrent se jeter dans les bras du tsarisme. Les industriels généralisent les [[Lock-out|lock-out]], rendant un service inappréciable pour l'écrasement de la révolution. En novembre, à Saint-Pétersbourg, 72 usines employant 110.000 salariés furent fermées ; à Moscou, 23 usines, avec 58.634 ouvriers.<ref>S.E. Sef, ''Буржуазия в 1905 году'', Moscow-Leningrad 1926, p. 82.</ref> Là où auparavant la grève était célébrée, elle était maintenant appelée par le dirigeant KD [[Milioukov]] ''« un crime, un crime contre la révolution. »''<ref>P. N. Milioukov, ''Год борьбы. Публицистическая хроника 1905-1906'', Saint-Pétersbourg, 1907, p. 171.</ref>.
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===La contre-révolution s'abat===
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Le régime peut (contrairement à 1917) compter sur l'[[Armée_russe_en_1917|armée]] (et les [[Cosaques|cosaques]]) qui lui restent largement acquise.
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Le 17 octobre, le Tsar publie un «&nbsp;manifeste des libertés&nbsp;» dans lequel il déclare les [[Libertés_individuelles|libertés individuelles]] et publiques, le [[Suffrage_universel|suffrage universel]] et l’association du pays au pouvoir législatif. Le lendemain, à Saint-Pétersbourg, c’est un déferlement de drapeaux rouges dans les rues de la ville qui accueillent la nouvelle. Mais ce manifeste s’accompagne également d’une volonté plus ferme de rétablir l’ordre. Ainsi commence une vague de négociations et de promesses pour calmer le jeu, accompagnée de la [[Répression|répression]] quand cela ne suffit pas&nbsp;: dans plusieurs endroits, les insurrections sont écrasées et les dirigeants systématiquement fusillés&nbsp;; des expéditions punitives sont organisées: destructions de villages, scènes collectives de fouet, exécutions sommaires… Il s’agit pour la classe dirigeante de semer la division et la terreur dans un mouvement qu’elle a d’abord espéré voir s’essouffler.
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Le 17 octobre, le Tsar publie un «&nbsp;[[Manifeste d'octobre|manifeste des libertés]]&nbsp;» dans lequel il déclare les [[Libertés_individuelles|libertés individuelles]] et publiques, le [[Suffrage_universel|suffrage universel]] et l’association du pays au pouvoir législatif. Le lendemain, à Saint-Pétersbourg, c’est un déferlement de drapeaux rouges dans les rues de la ville qui accueillent la nouvelle. Mais ce manifeste s’accompagne également d’une volonté plus ferme de rétablir l’ordre. Ainsi commence une vague de négociations et de promesses pour calmer le jeu, accompagnée de la [[Répression|répression]] quand cela ne suffit pas&nbsp;: dans plusieurs endroits, les insurrections sont écrasées et les dirigeants systématiquement fusillés&nbsp;; des expéditions punitives sont organisées: destructions de villages, scènes collectives de fouet, exécutions sommaires… Il s’agit pour la classe dirigeante de semer la division et la terreur dans un mouvement qu’elle a d’abord espéré voir s’essouffler.
    
Les forces les plus conservatrices relèvent la tête et organisent des contre-manifestations patriotiques qui déploient icônes religieuses et drapeaux tricolores. Les Juifs constituent leur cible favorite, comme sous le Tsar quelques mois auparavant pour essayer de détourner le mécontentement populaire. Les [[Pogrom|pogroms]] se multiplient, faisant des dizaines de milliers de morts, sous la complicité, au moins passive, du gouvernement. Ce climat donne une justification au Tsar pour restaurer la loi martiale. Début décembre, les 267 délégués du [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] sont arrêtés et le soviet dissous. Une insurrection a lieu à Moscou&nbsp;: 8 000 ouvriers armés résistent pendant 9 jours au gouvernement du Tsar. Mais les forces de l’ordre reprennent le dessus. La révolution est faite de courants trop disparates pour tenir tête au gouvernement tsariste.
 
Les forces les plus conservatrices relèvent la tête et organisent des contre-manifestations patriotiques qui déploient icônes religieuses et drapeaux tricolores. Les Juifs constituent leur cible favorite, comme sous le Tsar quelques mois auparavant pour essayer de détourner le mécontentement populaire. Les [[Pogrom|pogroms]] se multiplient, faisant des dizaines de milliers de morts, sous la complicité, au moins passive, du gouvernement. Ce climat donne une justification au Tsar pour restaurer la loi martiale. Début décembre, les 267 délégués du [[Soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] sont arrêtés et le soviet dissous. Une insurrection a lieu à Moscou&nbsp;: 8 000 ouvriers armés résistent pendant 9 jours au gouvernement du Tsar. Mais les forces de l’ordre reprennent le dessus. La révolution est faite de courants trop disparates pour tenir tête au gouvernement tsariste.
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===Des opportunités à ne pas manquer===
 
===Des opportunités à ne pas manquer===
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Peu avant les événements de 1905, les [[Libéralisme|libéraux]] prennent l’initiative d’une campagne pour la démocratisation du pays. Les [[Menchévisme|mencheviks]] poussent la population à y participer. En janvier 1905, quand les événements populaires surgissent, ces mêmes libéraux estiment que le changement, la révolution est impossible car le peuple n’est pas suffisamment éduqué. De leur côté, les [[Bolchévisme|bolcheviks]] et les [[Mencheviks|mencheviks]] sont, dans un premier temps, réticents face au soulèvement&nbsp;: comment soutenir une [[Manifestation|manifestation]] qui paraissait tenir autant de la procession [[Religion|religion]] que de la démonstration [[Politique|politique]], pour remettre au Tsar de toutes les Russies une requête au style révérencieux&nbsp;? Mais sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, tandis que les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg le jour du [[Dimanche_rouge|Dimanche rouge]]. Pendant des mois, [[Lénine|Lénine]] se bat contre le [[Sectarisme|sectarisme]] des militants à l’égard des événements et des formes confuses qu’ils prenaient. Il défend même la nécessité de s’intéresser aux courants progressistes qui émergent à la base de l'église orthodoxe.
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Les [[Bolchévisme|bolcheviks]] et les [[Mencheviks|mencheviks]] sont, dans un premier temps, réticents face au soulèvement&nbsp;: comment soutenir une [[Manifestation|manifestation]] qui paraissait tenir autant de la procession [[Religion|religion]] que de la démonstration [[Politique|politique]], pour remettre au Tsar de toutes les Russies une requête au style révérencieux&nbsp;? Mais sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, tandis que les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg le jour du [[Dimanche_rouge|Dimanche rouge]]. Pendant des mois, [[Lénine|Lénine]] se bat contre le [[Sectarisme|sectarisme]] des militants à l’égard des événements et des formes confuses qu’ils prenaient. Il défend même la nécessité de s’intéresser aux courants progressistes qui émergent à la base de l'église orthodoxe.
 
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L’expérience de la révolution russe, comme celle d’autres pays, démontre de manière incontestable que là où les conditions objectives d’une crise politique profonde existent, le plus petit conflit, aussi éloigné qu’il puisse paraître du véritable foyer de la révolution, peut avoir une signification extrêmement sérieuse, comme prétexte, comme goutte d’eau faisant déborder le vase, comme début du revirement dans l’état d’esprit, etc.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1908/nov/01.htm The Assessment of the Present Situation]'', 1<sup>er</sup> novembre 1908</ref>
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De fait, les cadres des partis n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905, à quelques exceptions près, comme le jeune officier menchévik [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov-Ovseïenko]] qui dirige sa propre unité dans le soulèvement de Sebastopol. Il faut attendre l’automne pour qu’au travers des [[Soviet|soviets]] se développe l’alliance entre les militants [[Socialisme|socialistes]] et le monde [[Classe_ouvrière|ouvrier]] en [[Grève|grève]].
 
De fait, les cadres des partis n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905, à quelques exceptions près, comme le jeune officier menchévik [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov-Ovseïenko]] qui dirige sa propre unité dans le soulèvement de Sebastopol. Il faut attendre l’automne pour qu’au travers des [[Soviet|soviets]] se développe l’alliance entre les militants [[Socialisme|socialistes]] et le monde [[Classe_ouvrière|ouvrier]] en [[Grève|grève]].
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*Pierre Broué, ''[http://www.marxists.org/francais/broue/works/1963/00/broue_pbolch.htm Le parti bolchevik]'', 1963
 
*Pierre Broué, ''[http://www.marxists.org/francais/broue/works/1963/00/broue_pbolch.htm Le parti bolchevik]'', 1963
*Trotsky, ''[http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905somm.htm 1905]''
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*Trotsky, ''[http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905somm.htm 1905], Ecrit en 1905-1909''
 
*Trotsky, ''[http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/bilanp/bpsomm.htm Bilan et perspectives]'', 1906
 
*Trotsky, ''[http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/bilanp/bpsomm.htm Bilan et perspectives]'', 1906
 
*François-Xavier Coquin, ''La révolution russe manquée'', 1985
 
*François-Xavier Coquin, ''La révolution russe manquée'', 1985

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