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Plusieurs meetings, [[Manifestation|manifestations]], grèves se font l’écho de revendications [[Démocratie|démocratiques]] et d’achèvement de cette « guerre ruineuse et criminelle » dans laquelle la Russie, qui vantait alors sa supériorité militaire, s’enlise. Le 17 décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines Poutilov, industrie de la défense nationale. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en [[Grève|grève]] le 3 janvier. Plus gros complexe [[Industrie|industriel]] de Saint-Pétersbourg, ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction. Le mouvement s’étend aux entreprises voisines : le vendredi 7 janvier,100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux.
 
Plusieurs meetings, [[Manifestation|manifestations]], grèves se font l’écho de revendications [[Démocratie|démocratiques]] et d’achèvement de cette « guerre ruineuse et criminelle » dans laquelle la Russie, qui vantait alors sa supériorité militaire, s’enlise. Le 17 décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines Poutilov, industrie de la défense nationale. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en [[Grève|grève]] le 3 janvier. Plus gros complexe [[Industrie|industriel]] de Saint-Pétersbourg, ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction. Le mouvement s’étend aux entreprises voisines : le vendredi 7 janvier,100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux.
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Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le « Manchester russe »  : il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit.
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Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le «&nbsp;Manchester russe&nbsp;»&nbsp;&nbsp;: il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit. Après une manifestation imposante le 15 mai, le gouverneur de la ville demanda aux ouvriers de désigner des délégués afin d’ouvrir des négociations. Dans les jours qui suivirent, les usines d’Ivanovo élurent 110 délégués qui constituèrent un soviet dont le bureau élabora une plate-forme de revendications sociales et politiques. Pendant six semaines, le bureau du soviet d’Ivanovo mena des discussions avec le gouverneur, avant de se résoudre à reprendre le travail et de voter sa dissolution. Malgré ses évidentes limites, l’expérience d’Ivanovo connut un grand retentissement et se diffusa dans la petite cinquantaine de villes industrielles russes qui, durant l’été et surtout l’automne 1905, se dotèrent elles aussi de soviets ouvriers, afin d’élaborer leurs revendications et les discuter avec le patronat et les autorités. <ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 2017</ref>
    
=== La pétition de Gapone et le Dimanche sanglant ===
 
=== La pétition de Gapone et le Dimanche sanglant ===
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=== Les miettes ne suffisent plus ===
 
=== Les miettes ne suffisent plus ===
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En août, face à la situation, le Tsar annonce la création d’une assemblée représentative, la [[Douma_d'État_de_l'Empire_russe|Douma d'Etat]]. Il signe également la paix avec le Japon car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire&nbsp;: le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. Comme il en a plus ou moins confusément l’intuition, l’annonce de cette Douma constitue le dernier verrou protégeant l’[[Autocratie|autocratie]]. Qu’il cède, et le régime lui-même se trouverait remis en cause. Telle est l’atmosphère d’espérance révolutionnaire et de rejet de l’autocratie qui explique la grève générale d’octobre. Le mouvement atteint en effet son apogée au cours de l’automne 1905. Environ un million de personnes sont en grève en octobre. «&nbsp;À bas la monarchie tsariste&nbsp;! Vive la République démocratique&nbsp;! Vive la révolte armée&nbsp;!&nbsp;» Tels sont les mots d’ordre à travers la Russie de dizaines de soviets qui assument de plus en plus le rôle d’un gouvernement révolutionnaire provisoire. Il apparaît à un nombre croissant d’ouvriers que l’aboutissement de la révolution dépend de la lutte armée.
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En août, face à la situation, le Tsar annonce la création d’une assemblée représentative, la [[Douma_d'État_de_l'Empire_russe|Douma d'Etat]]. Il signe également la paix avec le Japon car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire&nbsp;: le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. Comme il en a plus ou moins confusément l’intuition, l’annonce de cette Douma constitue le dernier verrou protégeant l’[[Autocratie|autocratie]]. Qu’il cède, et le régime lui-même se trouverait remis en cause. Telle est l’atmosphère d’espérance révolutionnaire et de rejet de l’autocratie qui explique la [[grève_générale|grève générale]] d’octobre. Le mouvement atteint en effet son apogée au cours de l’automne 1905. Environ un million de personnes sont en grève en octobre. «&nbsp;À bas la monarchie tsariste&nbsp;! Vive la République démocratique&nbsp;! Vive la révolte armée&nbsp;!&nbsp;» Tels sont les mots d’ordre à travers la Russie de dizaines de soviets.
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Le coeur du mouvement est la [[classe_ouvrière|classe ouvrière]]. Sa radicalité effraie la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]], qui préfère se jeter dans les bras du régime pour sauver ses propriétés. Les industriels généralisent les [[Lock-out|lock-out]], rendant un service inappréciable pour l'écrasement de la révolution.
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Doté d’une milice et d’une influence de masse, le [[soviet_de_Saint-Pétersbourg|soviet de Saint-Pétersbourg]] s’engagea dans une confrontation ouverte avec le gouvernement en proclamant le 19 octobre la [[journée_de_huit_heures|journée de huit heures]] et la fin de la [[censure|censure]]. Le 8 décembre, le [[soviet_de_Moscou|soviet de Moscou]] alla encore plus loin en appelant à l’[[insurrection|insurrection]], tandis que le soviet de Novorossisk proclamait la [[République|République]] ou que celui de Tchita décidait d’organiser la socialisation de la Poste, des chemins de fer et des terres de l’Etat.
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Les soviets s’imposaient comme la direction révolutionnaire du mouvement ouvrier, mais ils n'envisageaient pas de devenir un nouveau pouvoir, et se limitaient à réclamer l’élection d’une Assemblée constituante et la mise en place d’une république parlementaire. Aucun parti socialiste ne revendiquait d'ailleurs cela.
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La radicalité de la [[classe_ouvrière|classe ouvrière]] effraie la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]], qui préfère se jeter dans les bras du régime pour sauver ses propriétés. Les industriels généralisent les [[Lock-out|lock-out]], rendant un service inappréciable pour l'écrasement de la révolution.
    
=== La contre-révolution s'abat ===
 
=== La contre-révolution s'abat ===
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== Les leçons de 1905 pour les révolutionnaires ==
 
== Les leçons de 1905 pour les révolutionnaires ==
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La Russie ne compte que quelques milliers de révolutionnaires début 1905, regroupés depuis peu dans un même parti. La révolution de 1905 va éclaircir et mettre au test les conceptions différentes à l’intérieur de leur organisation, entre les [[mencheviks|mencheviks]] et les [[bolcheviks|bolcheviks]]&nbsp;: si les deux pensent au départ, selon le schéma [[Marxisme|marxiste]] classique, que le niveau de développement en Russie ne peut conduire dans un premier temps qu’à une [[Révolution_démocratique|révolution démocratique]], les mencheviks en concluent que ce sont les libéraux (la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] naissante) qui doivent en assurer la direction (comme ce fut le cas lors des [[Révolution_française|révolutions française]] et [[Révolution_anglaise|anglaise]]), alors que les bolcheviks affirment que seule la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], en s’alliant avec les [[Paysannerie|paysans]], peut accomplir cette tâche.
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La Russie ne compte que quelques milliers de révolutionnaires début 1905, regroupés depuis peu dans un même parti. La révolution de 1905 va éclaircir et mettre au test les conceptions différentes à l’intérieur de leur organisation, entre les [[Mencheviks|mencheviks]] et les [[Bolcheviks|bolcheviks]]&nbsp;: si les deux pensent au départ, selon le schéma [[Marxisme|marxiste]] classique, que le niveau de développement en Russie ne peut conduire dans un premier temps qu’à une [[Révolution_démocratique|révolution démocratique]], les mencheviks en concluent que ce sont les libéraux (la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] naissante) qui doivent en assurer la direction (comme ce fut le cas lors des [[Révolution_française|révolutions française]] et [[Révolution_anglaise|anglaise]]), alors que les bolcheviks affirment que seule la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], en s’alliant avec les [[Paysannerie|paysans]], peut accomplir cette tâche.
    
=== Des opportunités à ne pas manquer ===
 
=== Des opportunités à ne pas manquer ===
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Peu avant les événements de 1905, les [[Libéralisme|libéraux]] prennent l’initiative d’une campagne pour la démocratisation du pays. Les [[Menchévisme|mencheviks]] poussent la population à y participer. En janvier 1905, quand les événements populaires surgissent, ces mêmes libéraux estiment que le changement, la révolution est impossible car le peuple n’est pas suffisamment éduqué. De leur côté, les [[Bolchévisme|bolcheviks]] et les [[mencheviks|mencheviks]] sont, dans un premier temps, réticents face au soulèvement&nbsp;: comment soutenir une [[Manifestation|manifestation]] qui paraissait tenir autant de la procession [[Religion|religion]] que de la démonstration [[Politique|politique]], pour remettre au Tsar de toutes les Russies une requête au style révérencieux&nbsp;? Mais sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, tandis que les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg le jour du [[Dimanche_rouge|Dimanche rouge]]. Pendant des mois, [[Lénine|Lénine]] se bat contre le [[Sectarisme|sectarisme]] des militants à l’égard des événements et des formes confuses qu’ils prenaient. Il défend même la nécessité de s'interesser aux courants progressistes qui émergent à la base de l'église orthodoxe.
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Peu avant les événements de 1905, les [[Libéralisme|libéraux]] prennent l’initiative d’une campagne pour la démocratisation du pays. Les [[Menchévisme|mencheviks]] poussent la population à y participer. En janvier 1905, quand les événements populaires surgissent, ces mêmes libéraux estiment que le changement, la révolution est impossible car le peuple n’est pas suffisamment éduqué. De leur côté, les [[Bolchévisme|bolcheviks]] et les [[Mencheviks|mencheviks]] sont, dans un premier temps, réticents face au soulèvement&nbsp;: comment soutenir une [[Manifestation|manifestation]] qui paraissait tenir autant de la procession [[Religion|religion]] que de la démonstration [[Politique|politique]], pour remettre au Tsar de toutes les Russies une requête au style révérencieux&nbsp;? Mais sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, tandis que les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg le jour du [[Dimanche_rouge|Dimanche rouge]]. Pendant des mois, [[Lénine|Lénine]] se bat contre le [[Sectarisme|sectarisme]] des militants à l’égard des événements et des formes confuses qu’ils prenaient. Il défend même la nécessité de s'interesser aux courants progressistes qui émergent à la base de l'église orthodoxe.
    
De fait, les cadres des partis n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905, à quelques exceptions près, comme le jeune officier menchévik [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov-Ovseïenko]] qui dirige sa propre unité dans le soulèvement de Sebastopol. Il faut attendre l’automne pour qu’au travers des [[Soviet|soviets]] se développe l’alliance entre les militants [[Socialisme|socialistes]] et le monde [[Classe_ouvrière|ouvrier]] en [[Grève|grève]].
 
De fait, les cadres des partis n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905, à quelques exceptions près, comme le jeune officier menchévik [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov-Ovseïenko]] qui dirige sa propre unité dans le soulèvement de Sebastopol. Il faut attendre l’automne pour qu’au travers des [[Soviet|soviets]] se développe l’alliance entre les militants [[Socialisme|socialistes]] et le monde [[Classe_ouvrière|ouvrier]] en [[Grève|grève]].
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Ce sont les menchéviks qui ont le plus soutenu la création des soviets à l'origine. Mais la plupart y voyaient seulement un moyen de créer un parti de masse ou des syndicats à l'allemande, et en aucun cas des organes de pouvoir durables. Les mencheviks de Saint-Pétersbourg sous l'influence de [[Trotsky|Trotsky]], agissent en contradiction avec la ligne des dirigeants de l'émigration.
 
Ce sont les menchéviks qui ont le plus soutenu la création des soviets à l'origine. Mais la plupart y voyaient seulement un moyen de créer un parti de masse ou des syndicats à l'allemande, et en aucun cas des organes de pouvoir durables. Les mencheviks de Saint-Pétersbourg sous l'influence de [[Trotsky|Trotsky]], agissent en contradiction avec la ligne des dirigeants de l'émigration.
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Les bolcheviks ont été beaucoup plus réticents à l'égard des soviets&nbsp; : certains y voient une tentative de dresser un organisme informe et irresponsable en rival de l'autorité du parti. Les bolcheviks de Saint-Pétersbourg commencent par refuser de participer en tant que tels au soviet des délégués ouvriers et il faudra, pour les y décider, tout le prestige et l'insistance de [[Trotsky|Trotsky]] auprès de [[Krassine|Krassine]], représentant du comité central. De manière générale, ceux qui sont les plus favorables aux soviets ne consentent à y voir, dans le meilleur des cas, que des auxiliaires du parti.
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Les bolcheviks ont été beaucoup plus réticents à l'égard des soviets&nbsp;&nbsp;: certains y voient une tentative de dresser un organisme informe et irresponsable en rival de l'autorité du parti. En témoigne un article paru le 7&nbsp;novembre 1905 dans la ''Novaïa Jizn'', le quotidien officiel du parti, qui expliquait leur défiance envers les soviets en arguant que ''«  seul un parti rigoureusement de classe est à même de diriger le mouvement politique du prolétariat et de veiller à la pureté de ses mots d’ordre et non ce fatras politique, cette organisation politique confuse et hésitante. »'' Les bolcheviks de Saint-Pétersbourg commencent par refuser de participer en tant que tels au soviet des délégués ouvriers et il faudra, pour les y décider, tout le prestige et l'insistance de [[Trotsky|Trotsky]] auprès de [[Krassine|Krassine]], représentant du comité central. De manière générale, ceux qui sont les plus favorables aux soviets ne consentent à y voir, dans le meilleur des cas, que des auxiliaires du parti.
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C'est ainsi qu'après la dissolution du soviet de Pétersbourg, Lénine approuve les [[bolcheviks|bolcheviks]] qui s'y sont opposés à l'admission des [[Anarchistes_russes|anarchistes]]&nbsp; : à ses yeux, le soviet n'est «&nbsp;ni un parlement ouvrier, ni un organe d'auto gouvernement prolétarien&nbsp;», mais seulement une «&nbsp;organisation de combat pour atteindre des buts définis&nbsp;». En 1907, il admet qu'il faudrait étudier scientifiquement la question de savoir si les soviets constituent vraiment «&nbsp;un pouvoir révolutionnaire&nbsp;». En janvier 1917, dans une conférence sur la révolution de 1905, il ne mentionne les soviets qu'en passant, les définissant comme des «&nbsp;organes de lutte&nbsp;». C'est seulement au cours des semaines suivantes qu'il modifiera son analyse, sous l'influence de [[Boukharine|Boukharine]], de [[Pannekoek|Pannekoek]], et surtout du rôle joué par les nouveaux [[soviets|soviets]] russes.
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C'est ainsi qu'après la dissolution du soviet de Pétersbourg, Lénine approuve les [[Bolcheviks|bolcheviks]] qui s'y sont opposés à l'admission des [[Anarchistes_russes|anarchistes]]&nbsp;&nbsp;: à ses yeux, le soviet n'est «&nbsp;ni un parlement ouvrier, ni un organe d'auto gouvernement prolétarien&nbsp;», mais seulement une «&nbsp;organisation de combat pour atteindre des buts définis&nbsp;». En 1907, il admet qu'il faudrait étudier scientifiquement la question de savoir si les soviets constituent vraiment «&nbsp;un pouvoir révolutionnaire&nbsp;». En janvier 1917, dans une conférence sur la révolution de 1905, il ne mentionne les soviets qu'en passant, les définissant comme des «&nbsp;organes de lutte&nbsp;». C'est seulement au cours des semaines suivantes qu'il modifiera son analyse, sous l'influence de [[Boukharine|Boukharine]], de [[Pannekoek|Pannekoek]], et surtout du rôle joué par les nouveaux [[Soviets|soviets]] russes.
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Sur cette question aussi, [[Trotsky|Trotsky]] fait figure d'isolé et de précurseur. Placé au cœur de l'expérience du soviet de Pétersbourg, il en dégage les leçons et conclut&nbsp; : ''«&nbsp;Il n'y a aucun doute qu'à la prochaine explosion révolutionnaire, de tels conseils ouvriers se formeront dans tout le pays. Un soviet pan-russe des ouvriers, organisé par un congrès national, [...] assurera la direction.&nbsp;» '' Trotsky dit haut et fort, même devant ses juges, que le soviet, ''«&nbsp;organisation-type de la révolution&nbsp;»'', parce qu' ''«&nbsp;organisation même du prolétariat&nbsp;»'' serait l'''«&nbsp;organe du pouvoir du prolétariat. »''<ref>Trotsky, ''Discours devant le tribunal'', 19 sept. 1906 », cité par Fourth International, mars 1942, p. 85. </ref>
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Sur cette question aussi, [[Trotsky|Trotsky]] fait figure d'isolé et de précurseur. Placé au cœur de l'expérience du soviet de Pétersbourg, il en dégage les leçons et conclut&nbsp;&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'y a aucun doute qu'à la prochaine explosion révolutionnaire, de tels conseils ouvriers se formeront dans tout le pays. Un soviet pan-russe des ouvriers, organisé par un congrès national, [...] assurera la direction.&nbsp;» '' Trotsky dit haut et fort, même devant ses juges, que le soviet, ''«&nbsp;organisation-type de la révolution&nbsp;»'', parce qu' ''«&nbsp;organisation même du prolétariat&nbsp;»'' serait l'''«&nbsp;organe du pouvoir du prolétariat.&nbsp;»''<ref>Trotsky, ''Discours devant le tribunal'', 19 sept. 1906 », cité par Fourth International, mars 1942, p. 85. </ref> Trotsky écrira dans son [http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905somm.htm ''1905''] que les soviets avaient constitué ''« le premier embryon d’un pouvoir révolutionnaire » ''et qu’ils pouvaient représenter une alternative à la démocratie parlementaire, en expliquant que les soviets ''«  c’est la véritable démocratie, non falsifiée, sans les deux Chambres, sans bureaucratie professionnelle, conservant aux électeurs le droit de remplacer quand ils le veulent leurs députés. »''
    
=== Donner une direction ===
 
=== Donner une direction ===
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Milioukov, dirigeant du parti bourgeois libéral, le [[parti_KD|parti KD]], affirmera alors que ''«&nbsp;la classe ouvrière avait à tel point lié son sort à celui du parti social-démocrate, que le parti KD n’y avait plus le moindre accès&nbsp;»''. Le danger que représente pour les libéraux cette situation les amène à accueillir favorablement les promesses de démocratisation que fait le Tsar en août, contre le sentiment général populaire. Et les mencheviks commencèrent à y voir un danger&nbsp;: il ne fallait pas effrayer les libéraux et les exclure de ce combat. Ainsi s’amorce entre les dirigeants des deux fractions un débat crucial&nbsp;: faut-il aller jusqu’à prendre les armes&nbsp;? Selon Plekhanov et les mencheviks, la situation ne le permet pas&nbsp;; face à la répression du gouvernement tsariste, il paraît tout aussi insensé de vouloir s’affronter. Il n’y a qu’un pas vers la conclusion qu’ils tirent peu de temps après&nbsp;: l’échec de la tentative révolutionnaire démontre la validité de la politique par étape (et donc, de la politique [[Réformisme|réformiste]]).
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Milioukov, dirigeant du parti bourgeois libéral, le [[Parti_KD|parti KD]], affirmera alors que ''«&nbsp;la classe ouvrière avait à tel point lié son sort à celui du parti social-démocrate, que le parti KD n’y avait plus le moindre accès&nbsp;»''. Le danger que représente pour les libéraux cette situation les amène à accueillir favorablement les promesses de démocratisation que fait le Tsar en août, contre le sentiment général populaire. Et les mencheviks commencèrent à y voir un danger&nbsp;: il ne fallait pas effrayer les libéraux et les exclure de ce combat. Ainsi s’amorce entre les dirigeants des deux fractions un débat crucial&nbsp;: faut-il aller jusqu’à prendre les armes&nbsp;? Selon Plekhanov et les mencheviks, la situation ne le permet pas&nbsp;; face à la répression du gouvernement tsariste, il paraît tout aussi insensé de vouloir s’affronter. Il n’y a qu’un pas vers la conclusion qu’ils tirent peu de temps après&nbsp;: l’échec de la tentative révolutionnaire démontre la validité de la politique par étape (et donc, de la politique [[Réformisme|réformiste]]).
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Pour [[Lénine|Lénine]] et les [[bolcheviks|bolcheviks]], le développement de la révolution russe conduit inéluctablement à une lutte armée entre le [[Gouvernement|gouvernement]] du Tsar et les ouvriers. Aussi soutiennent-ils le soulèvement de Moscou. Et de la défaite de la révolution ils concluront à un défaut de préparation, de coordination et d’organisation. Ce qui manquait à la révolution, ''«&nbsp;c’était d’une part, la fermeté, la résolution des masses trop sujettes à la maladie de la confiance et, d’autre part, une organisation des ouvriers social-démocrates à même d’assumer la direction du mouvement, de prendre la tête de l’armée révolutionnaire et de déclencher l’offensive contre les autorités gouvernementales&nbsp;»''. Ce fut la leçon de cette extraordinaire année pour les dirigeants révolutionnaires&nbsp;: pour Lénine, l’évolution générale du [[Capitalisme|capitalisme]] allait conduire à l’élimination de ces deux défauts. Et [[Révolution_russe_(1917)|1917]] allait lui donner raison.
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Pour [[Lénine|Lénine]] et les [[Bolcheviks|bolcheviks]], le développement de la révolution russe conduit inéluctablement à une lutte armée entre le [[Gouvernement|gouvernement]] du Tsar et les ouvriers. Aussi soutiennent-ils le soulèvement de Moscou. Et de la défaite de la révolution ils concluront à un défaut de préparation, de coordination et d’organisation. Ce qui manquait à la révolution, ''«&nbsp;c’était d’une part, la fermeté, la résolution des masses trop sujettes à la maladie de la confiance et, d’autre part, une organisation des ouvriers social-démocrates à même d’assumer la direction du mouvement, de prendre la tête de l’armée révolutionnaire et de déclencher l’offensive contre les autorités gouvernementales&nbsp;»''. Ce fut la leçon de cette extraordinaire année pour les dirigeants révolutionnaires&nbsp;: pour Lénine, l’évolution générale du [[Capitalisme|capitalisme]] allait conduire à l’élimination de ces deux défauts. Et [[Révolution_russe_(1917)|1917]] allait lui donner raison.
    
== Les libéraux et la ''«&nbsp;tourmente révolutionnaire&nbsp;»'' ==
 
== Les libéraux et la ''«&nbsp;tourmente révolutionnaire&nbsp;»'' ==
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Mais cela n'aura été qu'un moment insuffisant pour enrayer la montée de l'[[Opportunisme|opportunisme]] (politique de [[Collaboration_de_classe|collaboration de classe]] de plus en plus poussée) et du [[Révisionnisme_(années_1890)|révisionnisme croissant depuis les années 1890]]. Trotsky dira plus tard&nbsp;:
 
Mais cela n'aura été qu'un moment insuffisant pour enrayer la montée de l'[[Opportunisme|opportunisme]] (politique de [[Collaboration_de_classe|collaboration de classe]] de plus en plus poussée) et du [[Révisionnisme_(années_1890)|révisionnisme croissant depuis les années 1890]]. Trotsky dira plus tard&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;La Révolution russe de 1905 a été le premier grand événement qui, trente-cinq ans après la Commune de Paris, remua l'atmosphère stagnante d'Europe. Le «tempo» si rapide du développement de la classe ouvrière et la vigueur inattendue de son action révolutionnaire firent une énorme impression et causèrent une aggravation des heurts de classes. Cette Révolution accéléra, en Angleterre, la création d'un Parti indépendant ouvrier. En Autriche, grâce à des circonstances exceptionnelles, elle fit obtenir le droit de vote. En France, elle eut comme écho le syndicalisme qui souligna les tendances révolutionnaires jusqu'alors «en veilleuse». Enfin, en Allemagne, l'influence de la Révolution russe conduisit à la formation d'une «aile gauche» du Parti en accord avec le «centre-droit» et à l'isolation du révisionnisme. La question du droit de vote en Prusse prit un tour plus aigu, car c'était l'accès aux positions tenues par les Junkers. Une méthode générale d'action révolutionnaire fut approuvée de principe. Mais le mouvement interne fut trop faible pour pousser le Parti sur le chemin d'une offensive politique. Selon la bonne vieille tradition du Parti, l'affaire se termina en discussions et en résolutions platoniques.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1914/10/lt19141031a.htm ''La guerre et l'Internationale''], 31 octobre 1914</ref>''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;La Révolution russe de 1905 a été le premier grand événement qui, trente-cinq ans après la Commune de Paris, remua l'atmosphère stagnante d'Europe. Le «tempo» si rapide du développement de la classe ouvrière et la vigueur inattendue de son action révolutionnaire firent une énorme impression et causèrent une aggravation des heurts de classes. Cette Révolution accéléra, en Angleterre, la création d'un Parti indépendant ouvrier. En Autriche, grâce à des circonstances exceptionnelles, elle fit obtenir le droit de vote. En France, elle eut comme écho le syndicalisme qui souligna les tendances révolutionnaires jusqu'alors «en veilleuse». Enfin, en Allemagne, l'influence de la Révolution russe conduisit à la formation d'une «aile gauche» du Parti en accord avec le «centre-droit» et à l'isolation du révisionnisme. La question du droit de vote en Prusse prit un tour plus aigu, car c'était l'accès aux positions tenues par les Junkers. Une méthode générale d'action révolutionnaire fut approuvée de principe. Mais le mouvement interne fut trop faible pour pousser le Parti sur le chemin d'une offensive politique. Selon la bonne vieille tradition du Parti, l'affaire se termina en discussions et en résolutions platoniques.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1914/10/lt19141031a.htm ''La guerre et l'Internationale''], 31 octobre 1914</ref>''</blockquote>  
Toute une frange des menchéviks suit [[Plékhanov|Plékhanov]], qui juge après coup qu'il ne fallait pas prendre les armes. Pour lui le déroulement des événements confirme leur [[étapisme|étapisme]] : il faut d'abord s'allier aux libéraux pour faire une [[révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], la [[révolution_prolétarienne|révolution prolétarienne]] ne pourra venir qu'après un laps de temps plus ou moins long de développement capitaliste, quand le prolétariat sera majoritaire. Cela justifie un abandon de la construction d'un [[parti_ouvrier|parti ouvrier]] indépendant (tendance ''«&nbsp;[[Liquidationnisme|liquidatrice]]&nbsp;»'').
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Toute une frange des menchéviks suit [[Plékhanov|Plékhanov]], qui juge après coup qu'il ne fallait pas prendre les armes. Pour lui le déroulement des événements confirme leur [[Étapisme|étapisme]]&nbsp;: il faut d'abord s'allier aux libéraux pour faire une [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], la [[Révolution_prolétarienne|révolution prolétarienne]] ne pourra venir qu'après un laps de temps plus ou moins long de développement capitaliste, quand le prolétariat sera majoritaire. Cela justifie un abandon de la construction d'un [[Parti_ouvrier|parti ouvrier]] indépendant (tendance ''«&nbsp;[[Liquidationnisme|liquidatrice]]&nbsp;»'').
    
== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==

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