La propriété, c'est le vol !

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Property is Theft ! selon George Carlin

La propriété, c'est le vol ! est un dicton rendu célèbre par Proudhon dans son livre Qu'est-ce que la propriété ? (1840). Il n'est cependant pas le seul à avoir défendu cette idée.

1 Antécédents[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Jean-Jacques Rousseau[modifier | modifier le wikicode]

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau a formulé la même remarque générale lorsqu'il a écrit dans son ouvrage, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes :

« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature[1]

1.2 Jacques Pierre Brissot[modifier | modifier le wikicode]

Brissot, qui deviendra le chef du camp girondin pendant la Révolution de 1789, exprimait dans ses premiers écrits de la compréhension pour ceux qui sont poussés au vol.

« La propriété exclusive (...) est un vol dans la nature. Le propriétaire est un voleur »[2]

Cependant Brissot n'en tire qu'un timide réformisme : « Défendons, protégeons donc la propriété civile, mais ne disons pas qu’elle ait son fondement dans le droit naturel ; mais, sous le faux prétexte que c’est un droit sacré, n’outrageons pas la nature en martyrisant ceux qui violent ce droit de propriété. »

Pire, il admit plus tard dans ses Mémoires que ses petites phrases « radicales » n'étaient en fait que simple « amplification d’écolier, un de ces paradoxes que soutient pour s’exercer un jeune homme qui, débutant dans la carrière philosophique, cherche à s’écarter des sentiers battus ».

2 Pensée de Proudhon[modifier | modifier le wikicode]

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Proudhon (1809-1865) se fait une réputation de socialiste radical dans les années 1840 avec sa formule choc « la propriété, c'est le vol ».

« Si j’avais à répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’esclavage ? et que d’un seul mot je répondisse, C’est l’assassinat, ma pensée serait d’abord comprise. Je n’aurais pas besoin d’un long discours pour montrer que le pouvoir d’ôter à l’homme la pensée, la volonté, la personnalité, est un pouvoir de vie et de mort, et que faire un homme esclave, c’est l’assassiner. Pourquoi donc à cette autre demande, Qu’est-ce que la propriété ? ne puis-je répondre de même, C’est le vol, sans avoir la certitude de n’être pas entendu, bien que cette seconde proposition ne soit que la première transformée ? »[3]

— Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement

Mais assez vite, ses positions évoluent dans un sens beaucoup plus compatible avec le libéralisme bourgeois. En effet, sa critique de la propriété vise surtout les grands propriétaires terriens et industriels, mais il voit la solution dans la généralisation de la petite propriété, restant dans le cadre du marché. Il ajoute alors : « la propriété, c'est la liberté ». Et la cible principale de sa critique devient alors l'État, qui selon lui empêcherait la société d'évoluer vers une harmonieuse société de petits producteurs. Étant donné qu'il n'était pas collectiviste, sa forte critique de l'État se rapproche beaucoup de celle des libéraux.

Proudhon explique en 1849 dans son ouvrage, Les confessions d'un révolutionnaire, ce qu'il entendait par là quand il affirmait que la propriété était du vol :

« Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l’ordre établi, je disais, par exemple : La propriété, c’est le vol ! Il s’agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant de nos institutions. Je n’avais point alors à m’occuper d’autre chose. Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute conclusion communiste.

Dans le Système des contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma première définition, j’en ajoute une toute contraire, mais fondée sur des considérations d’un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la première argumentation ni être détruites par elle : La propriété, c’est la liberté. La propriété, c’est le vol ; la propriété, c’est la liberté : ces deux propositions sont également démontrées et subsistent l’une à côté de l’autre dans le Système des Contradictions. J’opère de même, sur chacune des catégories économiques, la Division du travail, la Concurrence, l’État, le Crédit, la Communauté, etc. ; montrant tour à tour comment chacune de ces idées, et par conséquent comment les institutions qu’elles engendrent ont un côté positif et un côté négatif ; comment elles donnent lieu à une double série de résultats diamétralement opposés : et toujours je conclus à la nécessité d’un accord, conciliation ou synthèse. La propriété paraissait donc ici, avec les autres catégories économiques, avec sa raison d’être et sa raison de non-être, c’est-à-dire comme élément à double face du système économique et social.

Ainsi exposé, cela a paru sophistique, contradictoire, entaché d’équivoque et de mauvaise foi. Je vais tâcher de le rendre plus intelligible, en reprenant pour exemple la propriété.

La propriété, considérée dans l’ensemble des institutions sociales, a pour ainsi dire deux comptes ouverts : l’un, est celui des biens qu’elle procure, et qui découlent directement de son essence ; l’autre est celui des inconvénients qu’elle produit, des frais qu’elle coûte, et qui résultent, comme les biens, directement aussi de sa nature.

Il en est de même pour la concurrence, le monopole, l’État, etc.

Dans la propriété, comme dans tous les éléments économiques, le mal ou l’abus est inséparable du bien, exactement comme, dans la comptabilité en partie double, le doit est inséparable de l’avoir. L’un engendre nécessairement l’autre. Vouloir supprimer les abus de la propriété, c’est la détruire elle-même ; de même que supprimer un article au débit d’un compte, c’est le détruire au crédit. Tout ce qu’il est possible de faire contre les abus ou inconvénients de la propriété, c’est de la fusionner, synthétiser, organiser ou équilibrer avec un élément contraire, qui soit vis-à-vis d’elle ce que le créancier est vis-à-vis du débiteur, l’actionnaire vis-à-vis du commandité, etc. (telle sera, par exemple, la Communauté) ; de telle sorte que, sans que les deux principes s’altèrent ou se détruisent mutuellement, le bien de l’un vienne couvrir le mal de l’autre, comme dans un bilan les parties, après s’être réciproquement soldées, conduisent à un résultat final, qui est ou tout perte ou tout bénéfice. La solution du problème de la misère consiste donc à élever à une plus haute expression la science du comptable, à monter les écritures de la société, à établir l’actif et le passif de chaque institution, en prenant pour comptes généraux ou divisions du grand-livre social, non plus les termes de la comptabilité ordinaire, Capital, Caisse, Marchandises générales, Traites et remises, etc. ; mais ceux de la philosophie, de la législation et de la politique : Concurrence et Monopole, Propriété et Communauté, Citoyen et État, Homme et Dieu, etc. — Enfin, et pour achever ma comparaison, il faut tenir les écritures à jour, c’est-à-dire déterminer avec exactitude les droits et les devoirs, de manière à pouvoir, à chaque moment, constater l’ordre ou le désordre, et présenter la balance »[4]

Ainsi pour Proudhon, la richesse produite par le travail est tout à fait légitime, et n'est pas du vol.[5]

Proudhon est à ce point compatible avec le libéralisme, que le philosophe libéral Gaspard Koenig lui a rendu hommage. Pour Koenig, Proudhon reconnaît dans la propriété un « contrepoids » à l'État, une manière pour les individus d'affirmer leur autonomie face à la machine centralisatrice. Il imagine donc que Proudhon se serait élevé contre les réquisitions, l'ISF, les droits de mutation ou les taxes foncières[6].

3 Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, J.-M. Tremblay, coll. « Classiques des sciences sociales. », (ISBN 1-55442-307-4, lire sur Wikisource, lire en ligne), « SECONDE PARTIE. »
  2. Jacques Pierre Brissot, Recherches philosophiques sur le droit de propriété et sur le vol considérés dans la nature et dans la société, 1780
  3. Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?.
  4. Pierre-Joseph Proudhon, Les Confessions d’un révolutionnaire, France, Garnier frères, (lire sur Wikisource, lire en ligne), chap. XI. (« QUI SUIS-JE ? »)
  5. (en) Daniel Guérin et Paul Sharkey, No gods, no masters, AK Press, , 500 p. (ISBN 1-904859-25-9 et 978-1-904859-25-3, OCLC 63762285, lire en ligne), p. 55-56
  6. Gaspard Koenig, « La propriété, c'est le vol, Madame Duflot ? » [archive du ], sur Le Figaro,