Féminisme lesbien
Le terme de féminisme lesbien peut désigner :
- un féminisme cherchant à prendre en compte l'intersectionnalité avec l'oppression spécifique des lesbiennes
- un séparatisme lesbien, conçu comme un féminisme radical
1 Naissance[modifier | modifier le wikicode]
La deuxième vague du féminisme a coïncidé avec un essor des luttes des lesbiennes (et des gays) pour leur droit et pour leur auto-affirmation. De par leur situation d'oppression, les lesbiennes tendent à être plus consciente de l'oppression sexiste que la moyenne.
Des groupes de lesbiennes militantes affermirent leur dénomination dans une acception plus politique que strictement sexuelle du terme lesbienne. Le groupe féministe Radicalesbians publia en 1970 un manifeste, The Woman-Identified Woman affirmant qu'« une lesbienne est la rage de toutes les femmes condensée au point d'exploser »
2 L'oppression spécifique des lesbiennes[modifier | modifier le wikicode]
En 1975, des militantes liées au mouvement des droits civiques, au Black Nationalism ou au Black Panther Party, telles que Barbara Smith, Cheryl Clarke et Gloria Akasha Hull créent le Combahee River Collective à partir d'une section locale de la National Black Feminist Organization. Ce groupe féministe radical mentionne, dans son manifeste créateur, d'importantes figures féminines du mouvement abolitionniste, telles que Sojourner Truth, Harriet Tubman, Frances E. W. Harper, Ida B. Welles Barnett et Mary Church Terrell, présidente de la National Association of Colored Women fondée en 1896. Lee Combahee River Collective s'oppose au séparatisme lesbien, considérant que ces dernières ne s'intéressent qu'à l'oppression sexiste à l'exclusion d'autres formes de domination, fondée sur la « race », la classe, etc. Le Combahee River Collective rejetait ainsi toute essentialisation de la femme, qui en ferait une figure éternelle et universelle, toute biologisation du genre, s'intéressant de près aux analyses économiques et politiques des diverses formes de domination. Sous l'impulsion principale de Barbara Smith, le collectif publiera de nombreux essais sur le féminisme, ajoutant une nouvelle perspective aux Women's studies, qui étaient alors principalement l'œuvre critique de femmes blanches.
En France, à la fin des années 1970, le féminisme matérialiste (qui considère que les femmes sont une classe exploitée par les hommes) est pousé à son terme avec la constitution d’une sous-tendance lesbienne radicale. Le débat est vif car, avec le temps, les contradictions se sont aiguisées. Les jeunes lesbiennes, qui dénoncent leur « double oppression », ne trouvent pas de réponses dans un mouvement devenu majoritairement hétéro et sur une pente réformiste.
3 Séparatisme lesbien[modifier | modifier le wikicode]
Monique Wittig va prôner un séparatisme complet d’avec les hommes. Vecteurs, représentants et bénéficiaires du patriarcat, ils deviennent eux-mêmes l’ennemi principal ; une vision qui frôle parfois l’essentialisme. Au sein du mouvement le climat est tendu, on parle même d’un « terrorisme homosexuel ». Le conflit éclate tardivement, en janvier 1980, avec la publication d’un article de Monique Wittig dans la revue de la tendance, Questions féministes. Pour elle, l’hétéro-sexualité n’étant pas un choix mais une contrainte sociale (voire un régime politique), il faut choisir de la rejeter. En cessant ainsi de collaborer avec les hommes (« la classe ennemie »), les lesbiennes cessent aussi d’être des femmes Le lesbianisme est donc la position politique indispensable au féminisme et toute autre stratégie n’est que réformiste. Ces questionnements existaient auparavant mais se trouvent théorisés et formalisés en une période où le MLF est au plus mal. Le collectif de rédaction des Questions féministes se dissout. En juin 1980, se crée le Front radical lesbien qui se fait notamment connaître par des tags rageurs comme « hétéro-féministes = kapos du patriarcat ». Les lesbiennes radicales attaquent en justice les féministes matérialistes qui créent la revue Nouvelles questions féministes.
Un séparatisme lesbien s'est surtout développé au sein du féminisme radical, notamment parmi les groupes militants lesbiens des grandes métropoles que sont Londres ou New York.
A Leeds (Royaume-Uni) un pamphlet féministe affirma que la « définition d'une lesbienne politique est une femme qui ne baise pas avec les hommes. Cela n'implique pas qu'elle ait une activité sexuelle compulsive avec les femmes ». Ces militantes exprimèrent leur dédain « d'une société patriarcale et sexiste par nature », et en avaient conclu que le moyen le plus efficace pour l'ensemble des femmes de vaincre l'ostracisme sexuel, et d'obtenir l'égalité des droits et traitements avec les hommes, serait de leur refuser tout pouvoir ou plaisir qu'ils s'attendraient à recevoir d'elles, notamment à travers la sexualité.
L'indépendance farouche de ces femmes par rapport aux hommes-oppresseurs, fut une doctrine centrale et beaucoup de celles qui y adhéraient s'efforcèrent de faire sécession, sur le plan physique et économique.
En 1980, Adrienne Rich élargit le sens de « lesbienne ». Pour elle, toutes les relations entre femmes, telles que mère-fille ou entre collègues de travail, avaient un aspect lesbien, peu importe si les femmes impliquées se considéraient lesbiennes ou pas. Pour Rich, l'hétérosexualité a été imposée aux femmes par les hommes. Plusieurs années plus tard, Del Martin et Phyllis Lyon, les fondatrices des Daughters of Bilitis donnèrent au mot « lesbienne » le sens d'« une femme dont l'intérêt social, émotionnel, psychologique et érotique est primordialement tourné vers un membre de son propre sexe, même si cet intérêt ne s'exprime pas excessivement ».
Ainsi, Monique Wittig écrit en 1992 :
« Notre survie exige que nous contribuions de toutes nos forces à la destruction de la classe de femmes où les hommes s'approprient les femmes. Ce n'est possible que par la destruction de l'hétérosexualité en tant que système social fondé sur l'oppression des femmes par les hommes, et qui produit la doctrine de la différence entre les sexes pour justifier cette oppression. »
En 2001, dans La Pensée straight (2001) elle précise sa théorie :
« [une lesbienne] N'EST PAS une femme, ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement. En effet ce qui fait une femme, c'est une relation sociale particulière à un homme, relation que nous avons autrefois appelée de servage, relation qui implique des obligations personnelles et physiques aussi bien que des obligations économiques (« assignation à résidence », corvée domestique, devoir conjugal, production d'enfants illimitée, etc.), relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles. Nous sommes transfuges à notre classe de la même façon que les esclaves « marrons » américains l'étaient en échappant à l'esclavage et en devenant des hommes et des femmes libres, c'est-à-dire que c'est pour nous une nécessité absolue, et comme pour eux et pour elles, notre survie exige de contribuer de toutes nos forces à la destruction de la classe – les femmes – dans laquelle les hommes s'approprient les femmes et cela ne peut s'accomplir que par la destruction de l'hétérosexualité comme système social fondé sur l'oppression et l'appropriation des femmes par les hommes. »
Le séparatisme lesbien est resté très minoritaire.
4 Essentialisme ?[modifier | modifier le wikicode]
En plus du débat général avec le féminisme différentialiste, des questions supplémentaires sont posées par le lesbianisme, selon les positions de celles qui considèrent avoir été lesbiennes "dès leur naissance" et les autres.
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Lillian Faderman, Odd Girls and Twilight Lovers: A History of Lesbian Life in Twentieth Century America, Penguin Books, 1991