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=== Pays en ébullition ===
 
=== Pays en ébullition ===
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Août et septembre deviennent les mois d'une rapide aggravation de la situation économique. Déjà, pendant les journées korniloviennes, la ration de pain avait été réduite, à Moscou comme à Pétrograd, à une demi-livre par jour. Dans le district de Moscou, on commença à ne plus délivrer que 2 livres par semaine, et un début de famine touche même certaines zones. La Volga, le Midi, le front et l'arrière tout proche, toutes les régions du pays passent par une terrible crise d'approvisionnement.
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Août et septembre deviennent les mois d'une rapide aggravation de la situation économique. Dans le district de Moscou, on commença à ne plus délivrer que 2 livres par semaine, et un début de famine touche même certaines zones. La Volga, le Midi, le front et l'arrière tout proche, toutes les régions du pays passent par une terrible crise d'approvisionnement.
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Les journaux recensaient chaque jour de nouveaux foyers de révoltes. Les protestations venaient des ouvriers, des soldats, du petit peuple des villes. Beaucoup d’ouvriers se mettent en [[Grève|grève]], sans suivre les appels à la prudence des soviets, des syndicats, du parti. Mais les plus avancés, déjà passés par ces étapes de débrayes, de politisation, d'organisation, considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé. Ils comprenaient bien que des grèves ne pouvaient quasiment plus rien apporter dans le contexte actuel. Convaincus par le parti bolchévik, ils se rallient à l’objectif de l’insurrection. Paradoxalement, c'était Pétrograd qui restait le plus calme dans le mois qui précède l'insurrection.
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Les journaux recensaient chaque jour de nouveaux foyers de révoltes des ouvriers, des soldats, du petit peuple des villes. Beaucoup d’ouvriers se mettent en [[Grève|grève]], sans suivre les appels à la prudence des [[soviets|soviets]], des [[Syndicats_en_Russie|syndicats]], du [[Parti_bolchevik|parti]]. Mais les plus avancés, déjà passés par ces étapes de débrayes, de politisation, d'organisation, considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé. Ils comprenaient bien que des grèves ne pouvaient quasiment plus rien apporter dans le contexte actuel. Convaincus par le parti bolchévik, ils se rallient à l’objectif de l’insurrection. Paradoxalement, c'était Pétrograd qui restait le plus calme dans le mois qui précède l'insurrection.
    
En septembre, des soulèvements éclatent [[Mouvement_paysan_en_1917|dans les campagnes]]. Cela signifie que la majorité du peuple bascule côté révolutionnaire, et donc peut soutenir les bolchéviks s'ils neutralisent le gouvernement qui lui, tente de réprimer les paysans.
 
En septembre, des soulèvements éclatent [[Mouvement_paysan_en_1917|dans les campagnes]]. Cela signifie que la majorité du peuple bascule côté révolutionnaire, et donc peut soutenir les bolchéviks s'ils neutralisent le gouvernement qui lui, tente de réprimer les paysans.
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=== ''« La crise est mûre »'' ===
 
=== ''« La crise est mûre »'' ===
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Le 29 septembre (a.s), [[Lénine|Lénine]] écrit (de sa clandestinité) un article intitulé ''La crise est mûre'', qui reconnaît ce moment historique&nbsp;: ''«&nbsp;Que nous ayons maintenant avec les socialistes-révolutionnaires de gauche la majorité à la fois dans les Soviets, dans l'armée et dans le pays, cela ne fait pas l'ombre d'un doute&nbsp;»''<ref name="CriseMure">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171029.htm La crise est mûre]'', 29 septembre 1917</ref>. Il souligne que l'ensemble des couches populaires, y compris petite-bourgeoises, sont en révolte. Il ajoute que des mutineries viennent d'éclater parmi les matelots de la flotte allemande en août, et replace la Russie dans un processus mondial de transformation de la [[Première_Guerre_mondiale|guerre mondiale]] en [[Révolution_internationale|révolution internationale]]. Pour être des [[Internationalistes|internationalistes]] en acte, il faut que les révolutionnaires russes allument l'étincelle de leur côté. Il en déduit qu'il est impératif que le parti bolchévik prenne ses responsabilités et renverse le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]], sans attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] ni l'[[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], car ce serait laisser le temps au gouvernement de réprimer les paysans, de truquer les élections, de préparer une contre-offensive type Kornilov, et donc ce serait laisser se refermer la [[Situation_révolutionnaire|situation révolutionnaire]]. ''«&nbsp; Tout l'avenir de la révolution ouvrière internationale pour le socialisme est en jeu.&nbsp;»<ref name="CriseMure" />''
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Le 29 septembre (a.s), [[Lénine|Lénine]] écrit (de sa clandestinité) un article intitulé ''La crise est mûre'', qui reconnaît ce moment historique&nbsp;: ''«&nbsp;Que nous ayons maintenant avec les socialistes-révolutionnaires de gauche la majorité à la fois dans les Soviets, dans l'armée et dans le pays, cela ne fait pas l'ombre d'un doute&nbsp;»''<ref name="CriseMure">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171029.htm La crise est mûre]'', 29 septembre 1917</ref>. Il souligne que l'ensemble des couches populaires, y compris petite-bourgeoises, sont en révolte. Il ajoute que des mutineries viennent d'éclater parmi les matelots de la flotte allemande en août, et replace la Russie dans un processus mondial de transformation de la [[Première_Guerre_mondiale|guerre mondiale]] en [[Révolution_internationale|révolution internationale]]. Pour être des [[Internationalistes|internationalistes]] en acte, il faut que les révolutionnaires russes allument l'étincelle de leur côté. Il faut qu'ils renversent le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]], sans attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] ni l'[[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], car ce serait lui laisser le temps de réprimer les paysans, de truquer les élections, de préparer une contre-offensive type Kornilov, et donc ce serait laisser se refermer la [[Situation_révolutionnaire|situation révolutionnaire]]. ''«&nbsp; Tout l'avenir de la révolution ouvrière internationale pour le socialisme est en jeu.&nbsp;»<ref name="CriseMure" />''
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Paradoxalement, de sa retraite clandestine, Lénine est peut-être plus sensible à la situation intenable des masses, étant loin des cercles conciliateurs petit-bourgeois. ''«&nbsp;A quoi bon tolérer encore trois semaines de guerre&nbsp;?&nbsp;»''<ref name="Smilga" /> Il faisait venir dans son refuge divers bolcheviks, les soumettait à des interrogatoires passionnés, envoyait des lettres vers des militants plus près de la base pour susciter des pressions sur les sommets. Il s'appuie sur [[Ivar_Smilga|Smilga]], qui dirige les soviets de Finlande et qui est à l'extrême gauche du parti<ref name="Smilga">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170927.htm Lettre à  I. Smilga, président du comité régional de l'armée, de la flotte et des ouvriers de Finlande]'', 27 septembre 1917</ref>. Fin septembre, le Bureau régional de Moscou prit une résolution accusant le Comité central d'irrésolution et de confusionnisme, lui demandant de prendre ''«&nbsp;une ligne claire et déterminée vers l'insurrection&nbsp;»''.
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Paradoxalement, de sa retraite clandestine, Lénine est peut-être plus sensible à la situation intenable des masses, étant loin des cercles conciliateurs petit-bourgeois. ''«&nbsp;A quoi bon tolérer encore trois semaines de guerre&nbsp;?&nbsp;»''<ref name="Smilga" /> Il faisait venir dans son refuge divers bolcheviks, les interrogeait à fond, envoyait des lettres à des militants plus près de la base pour susciter des pressions sur les sommets. Il s'appuie sur [[Ivar_Smilga|Smilga]], qui dirige les soviets de Finlande et qui est à l'extrême gauche du parti<ref name="Smilga">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170927.htm Lettre à  I. Smilga, président du comité régional de l'armée, de la flotte et des ouvriers de Finlande]'', 27 septembre 1917</ref>. Fin septembre, le Bureau régional de Moscou prit une résolution accusant le Comité central d'irrésolution et de confusionnisme, lui demandant de prendre ''«&nbsp;une ligne claire et déterminée vers l'insurrection&nbsp;»''.
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Dans une partie privée de sa lettre du 29 destinée au Comité central, [[Lénine|Lénine]] dénonçait le courant ''«&nbsp; en faveur de l'attente du Congrès des Soviets et hostile à la prise immédiate du pouvoir, hostile à l'insurrection immédiate&nbsp;»''. Il conclut en menaçant de démissionner pour être libre de faire de la propagande dans le parti. En effet il y avait de fortes réticences dans le parti. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] renouvelaient leur opposition aux [[Thèses_d'avril|thèses d'avril]], affirmant que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était impossible. [[Trotsky|Trotsky]] lui, était pour l'insurrection mais préconisait d'attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], alors prévu le 20 octobre.
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Dans une partie privée de sa lettre du 29 destinée au Comité central, [[Lénine|Lénine]] dénonçait le courant ''«&nbsp; en faveur de l'attente du Congrès des Soviets et hostile à la prise immédiate du pouvoir, hostile à l'insurrection immédiate&nbsp;»''. Il conclut en menaçant de démissionner pour être libre de faire de la propagande dans le parti. En effet il y avait de fortes réticences. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] renouvelaient leur opposition aux [[Thèses_d'avril|thèses d'avril]], affirmant que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était impossible. [[Trotsky|Trotsky]] était pour l'insurrection mais préconisait d'attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], alors prévu le 20 octobre. Lénine répondait qu'attendre officiellement le Congrès pour décider de la question du pouvoir revenait à annoncer publiquement la date de l'insurrection. ''«&nbsp;On réunira les cosaques pour le jour sottement "fixé" (...) On peut prendre le pouvoir aujourd'hui, mais du 20 au 29 octobre, on ne vous le laissera pas prendre&nbsp;»''.
 
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Lénine répondait qu'attendre officiellement le Congrès pour décider de la question du pouvoir revenait à annoncer publiquement la date de l'insurrection. ''«&nbsp;On réunira les cosaques pour le jour sottement «&nbsp;fixé&nbsp;» (...) On peut prendre le pouvoir aujourd'hui, mais du 20 au 29 octobre, on ne vous le laissera pas prendre&nbsp;»''.
      
Le 5 octobre, le Comité central décida de quitter le préparlement lors de son ouverture, le 9. [[Trotsky|Trotsky]] y fait une déclaration de sortie qui se termine par ''«&nbsp;Vive la lutte directe et ouverte pour le pouvoir révolutionnaire dans le pays&nbsp;!&nbsp;»'' Ce jour également est lancée la création du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) de Petrograd.
 
Le 5 octobre, le Comité central décida de quitter le préparlement lors de son ouverture, le 9. [[Trotsky|Trotsky]] y fait une déclaration de sortie qui se termine par ''«&nbsp;Vive la lutte directe et ouverte pour le pouvoir révolutionnaire dans le pays&nbsp;!&nbsp;»'' Ce jour également est lancée la création du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) de Petrograd.
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Le lendemain même, le 10, le Comité central des bolcheviks tient une réunion secrète, avec Lénine (chez [[Soukhanov|Soukhanov]] et à son insu). La motion de Lénine, faisant de l'insurrection armée la tâche pratique des journées les plus prochaines, est adoptée à 10 voix contre 2 (Zinoviev et Kamenev). Il fut convenu oralement que l'insurrection devait avoir lieu avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]] (alors prévu le 20 octobre) et si possible avant le 15. A noter que certains membres du Comité central auraient sûrement voté contre s'ils avaient présents, comme [[Rykov|Rykov]] et [[Noguine|Noguine]]. Un certain nombre d'autres cadres dans le parti étaient contre ou très sceptiques&nbsp;: [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]], [[Tomsky|Tomsky]], [[Volodarsky|Volodarsky]], [[Mikhaïl_Vassilievitch_Frounze|Frounze]], [[Manouilsky|Manouilsky]]... Beaucoup de cadres de l'Organisation militaire du parti ([[Krylenko|Krylenko]], [[Lachevitch|Lachevitch]], [[Podvoïsky|Podvoïsky]]) avaient tendance à surestimer les difficultés techniques et à sous-estimer le soutien politique pour les bolchéviks.
 
Le lendemain même, le 10, le Comité central des bolcheviks tient une réunion secrète, avec Lénine (chez [[Soukhanov|Soukhanov]] et à son insu). La motion de Lénine, faisant de l'insurrection armée la tâche pratique des journées les plus prochaines, est adoptée à 10 voix contre 2 (Zinoviev et Kamenev). Il fut convenu oralement que l'insurrection devait avoir lieu avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]] (alors prévu le 20 octobre) et si possible avant le 15. A noter que certains membres du Comité central auraient sûrement voté contre s'ils avaient présents, comme [[Rykov|Rykov]] et [[Noguine|Noguine]]. Un certain nombre d'autres cadres dans le parti étaient contre ou très sceptiques&nbsp;: [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]], [[Tomsky|Tomsky]], [[Volodarsky|Volodarsky]], [[Mikhaïl_Vassilievitch_Frounze|Frounze]], [[Manouilsky|Manouilsky]]... Beaucoup de cadres de l'Organisation militaire du parti ([[Krylenko|Krylenko]], [[Lachevitch|Lachevitch]], [[Podvoïsky|Podvoïsky]]) avaient tendance à surestimer les difficultés techniques et à sous-estimer le soutien politique pour les bolchéviks.
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Le vote du 10 mit en action toute une frange du parti. Mais elle déclencha aussi un sursaut des opposants. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] diffusèrent le lendemain un appel aux membres du parti&nbsp;: ''«&nbsp;Devant l'Histoire, devant le prolétariat international, devant la révolution russe et la classe ouvrière de Russie nous n'avons pas le droit maintenant de jouer tout l'avenir sur la carte de l'insurrection armée.&nbsp;» ''Ils envisageaient la cohabitation pacifique des [[Soviets|soviets]] bolchéviks et d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Constituante]] bourgeoise, et une montée [[Gradualisme|graduelle]] de l'influence bolchévique. Enfin, beaucoup de dirigeants étaient officiellement avec la majorité, mais ne faisaient rien de concret.
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Le vote du 10 met en action toute une frange du parti. Mais elle déclenche aussi un sursaut des opposants. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] diffusent le lendemain un appel aux membres du parti&nbsp;: ''«&nbsp;Devant l'Histoire, devant le prolétariat international, devant la révolution russe et la classe ouvrière de Russie nous n'avons pas le droit maintenant de jouer tout l'avenir sur la carte de l'insurrection armée.&nbsp;» ''Ils envisageaient la cohabitation pacifique des [[Soviets|soviets]] bolchéviks et d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Constituante]] bourgeoise, et une montée [[Gradualisme|graduelle]] de l'influence bolchévique. Enfin, beaucoup de dirigeants étaient officiellement avec la majorité, mais ne faisaient rien de concret.
    
La motion du 10 fixait une tâche au parti sans mention des soviets. Pour Lénine, il ne restait plus que les aspects techniques à résoudre. Mais ils étaient importants&nbsp;: outre le choix (arbitraire&nbsp;?) d'une date, quel organe devait réaliser l'insurrection&nbsp;? Comment concilier la légitimité d'une émanation des soviets avec son pluralisme et les préparatifs nécessairement secrets&nbsp;? C'est dans ce sens que [[Ioffé|Ioffé]] (pro-insurrection), objectait à Lénine&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'est pas exact qu'à présent la question soit purement technique&nbsp;; même maintenant, la question du soulèvement doit être considérée du point de vue politique&nbsp;»''.
 
La motion du 10 fixait une tâche au parti sans mention des soviets. Pour Lénine, il ne restait plus que les aspects techniques à résoudre. Mais ils étaient importants&nbsp;: outre le choix (arbitraire&nbsp;?) d'une date, quel organe devait réaliser l'insurrection&nbsp;? Comment concilier la légitimité d'une émanation des soviets avec son pluralisme et les préparatifs nécessairement secrets&nbsp;? C'est dans ce sens que [[Ioffé|Ioffé]] (pro-insurrection), objectait à Lénine&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'est pas exact qu'à présent la question soit purement technique&nbsp;; même maintenant, la question du soulèvement doit être considérée du point de vue politique&nbsp;»''.
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Ayant l'impression d'une inaction (impression exagérée par son isolement selon Trotsky), Lénine demande une conférence du parti le 16. Contre les opposants voulant l'annuler ([[Zinoviev|Zinoviev]], [[Kamenev|Kamenev]]) ou les pessimistes ([[Milioutine|Milioutine]], [[Schotmann|Schotmann]]), Lénine réaffirme l'insurrection. Il rappelle&nbsp;: ''«''&nbsp;''ll ne s'agit pas d'une lutte contre l'armée, mais d'une lutte d'une partie de l'armée contre l'autre... Les faits prouvent que nous avons la prépondérance sur l'ennemi&nbsp;»''. Au même moment [[Trotsky|Trotsky]] et [[Krylenko|Krylenko]] faisaient adopter au [[Soviet_de_Petrograd|soviet]] le [[Comité_militaire_révolutionnaire|CMR]], l'instrument concret de l'insurrection.sur une ligne officiellement défensive. Krylenko était maintenant convaincu qu'on ne pouvait plus reculer, mais il estimait qu'on ne pouvait assumer d'attaquer en premier. ''«&nbsp;La question de l'évacuation des troupes est justement le motif qui provoquera la bataille... Le fait d'une offensive contre nous existe ainsi et l'on peut l'utiliser... Il n'est pas utile de s'inquiéter de savoir qui commencera, car c'est déjà commencé.&nbsp;»''
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Ayant l'impression d'une inaction (impression exagérée par son isolement, selon Trotsky), Lénine demande une conférence du parti le 16. Contre les opposants voulant l'annuler ([[Zinoviev|Zinoviev]], [[Kamenev|Kamenev]]) ou les pessimistes ([[Milioutine|Milioutine]], [[Schotmann|Schotmann]]), Lénine réaffirme l'insurrection. Il rappelle&nbsp;: ''«''&nbsp;''ll ne s'agit pas d'une lutte contre l'armée, mais d'une lutte d'une partie de l'armée contre l'autre... Les faits prouvent que nous avons la prépondérance sur l'ennemi&nbsp;»''. Au même moment [[Trotsky|Trotsky]] et [[Krylenko|Krylenko]] faisaient adopter au [[Soviet_de_Petrograd|soviet]] le [[Comité_militaire_révolutionnaire|CMR]], l'instrument concret de l'insurrection.sur une ligne officiellement défensive. Krylenko était maintenant convaincu qu'on ne pouvait plus reculer, mais il estimait qu'on ne pouvait assumer d'attaquer en premier. ''«&nbsp;La question de l'évacuation des troupes est justement le motif qui provoquera la bataille... Le fait d'une offensive contre nous existe ainsi et l'on peut l'utiliser... Il n'est pas utile de s'inquiéter de savoir qui commencera, car c'est déjà commencé.&nbsp;»''
    
Le 17 octobre, une déclaration de [[Kamenev|Kamenev]] paraît dans le journal [[Centriste|centriste]] de [[Gorki|Gorki]]&nbsp;:
 
Le 17 octobre, une déclaration de [[Kamenev|Kamenev]] paraît dans le journal [[Centriste|centriste]] de [[Gorki|Gorki]]&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;Non seulement moi et Zinoviev, mais un certain nombre de camarades-praticiens trouvons que prendre sur nous l'initiative d'une insurrection armée au moment présent, étant donné les rapports des forces sociales, indépendamment et quelques jours avant le Congrès des soviets, ce serait une démarche inadmissible, périlleuse pour le prolétariat et la révolution... Jouer tout sur la carte du soulèvement en ces prochaines journées, ce serait un acte de désespoir. Or, notre parti est trop fort, il a devant lui un trop grand avenir pour faire de tels pas.&nbsp;»''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Non seulement moi et Zinoviev, mais un certain nombre de camarades-praticiens trouvons que prendre sur nous l'initiative d'une insurrection armée au moment présent, étant donné les rapports des forces sociales, indépendamment et quelques jours avant le Congrès des soviets, ce serait une démarche inadmissible, périlleuse pour le prolétariat et la révolution... Jouer tout sur la carte du soulèvement en ces prochaines journées, ce serait un acte de désespoir. Or, notre parti est trop fort, il a devant lui un trop grand avenir pour faire de tels pas.&nbsp;»''</blockquote>  
Cette rupture publique du [[Centralisme_démocratique|centralisme]] en cette circonstance fit l'effet d'une bombe. [[Lénine|Lénine]] les traite de [[Jaunes|jaunes]] et réclame leur exclusion du parti (ce qui ne sera pas fait). La rédaction du journal bolchévik, dirigée par [[Staline|Staline]], publie alors des déclarations de Zinoviev et Lounatcharski sur la ligne de l'opposition, avec une note minimisant les désaccords&nbsp;:&nbsp;''«&nbsp;La violence de ton dans l'article de Lenine ne change rien à ceci que dans l'essentiel, nous restons de la même opinion&nbsp;»''. Staline propose de démissionner quand le Comité central condamne les publications de la rédaction, mais le comité refuse.
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Cette rupture publique du [[Centralisme_démocratique|centralisme]] en cette circonstance fit l'effet d'une bombe. [[Lénine|Lénine]] les traite de [[Jaunes|jaunes]] et réclame leur exclusion du parti (ce qui ne sera pas fait). La rédaction du [[Rabotchi_Pout|journal bolchévik]], dirigée par [[Staline|Staline]], publie alors des déclarations de [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Lounatcharski|Lounatcharski]] sur la ligne de la minorité, avec une note minimisant les désaccords&nbsp;:&nbsp;''«&nbsp;La violence de ton dans l'article de Lenine ne change rien à ceci que dans l'essentiel, nous restons de la même opinion&nbsp;»''. Staline propose de démissionner quand le Comité central condamne les publications de la rédaction, mais le comité refuse.
    
== Préparatifs de l'insurrection ==
 
== Préparatifs de l'insurrection ==
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=== Les agitateurs ===
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Vers octobre, un certains nombre de leaders [[Bolchéviks|bolchéviks]] manquent&nbsp;: à la fois du fait de la répression (en particulier [[Lénine|Lénine]]), et du fait des désaccords de certains d'entre eux avec l'insurrection ([[Zinoviev|Zinoviev]], [[Kamenev|Kamenev]]...). Quant à [[Staline|Staline]], il n'a eu qu'un rôle mineur dans la révolution, et il ne semble avoir presque jamais pris la parole devant les masses. Une agitation sans relâche était menée par [[Volodarsky|Volodarsky]], [[Lachévitch|Lachévitch]], [[Kollontaï|Kollontaï]], [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]], [[Iakov_Mikhaïlovitch_Sverdlov|Sverdlov]], [[Lounatcharsky|Lounatcharsky]]... et des dizaines d'agitateurs de moindre calibre. Mais de l'avis de la plupart des observateurs de l'époque (les proches comme les Blancs), c'est [[Trotsky|Trotsky]] , le président du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet de Petrograd]], qui fut le principal agitateur. [[Soukhanov|Soukhanov]] raconte&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;S'arrachant au travail de l'état-major révolutionnaire [il] volait de l'usine Oboukhovsky à l'usine Troubotchny, de l'usine Poutilov à l'usine Baltique, du manège aux casernes, et, semblait-il, parlait simultanément dans tous les endroits. Il était connu personnellement et avait été entendu de chaque ouvrier et soldat de Petrograd. Son influence, et dans les masses, et dans l'état-major, était écrasante. Il était la figure centrale de ces jours-là et le héros principal de cette page remarquable de l'histoire.&nbsp;»''</blockquote>
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Mais l'immense majorité de la diffusion des idées révolutionnaires fut faite par des bolchéviks anonymes, ouvriers, matelots, soldats... Trotsky parle ''«&nbsp;d'agitation moléculaire&nbsp;»''. Ils achevaient de convaincre les hésitants, se cotisaient pour partir convaincre dans les villes périphériques, les campagnes dont ils étaient originaires...
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<blockquote>''«&nbsp;Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique.&nbsp;»<ref name="TK41" />''</blockquote>
   
=== L'enjeu de la garnison de Petrograd ===
 
=== L'enjeu de la garnison de Petrograd ===
    
Le contrôle de la garnison de Petrograd est un des enjeux cruciaux. Les soldats de Petrograd, qui se sont révoltés en [[Insurrection_de_Février_1917|Février]], jouissent d'un grand prestige dans les [[Classes_populaires|classes populaires]]. Le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|Gouvernement provisoire]] s'était engagé en mars (auprès du [[Comité_exécutif_central_panrusse|Comité exécutif soviétique]] auquel ils étaient liés) à ne pas les envoyer au front, ce qui était le fondement du [[Double_pouvoir|double pouvoir]]. La promesse a été trahie après la répression [[Journées_de_juillet_1917|de Juillet]] où les régimes les plus radicaux ont été éloignés de la capitale. Le 8 septembre, la section des soldats du soviet réclame le retour à Petrograd des régiments évacués en Juillet. Le gouvernement et les conciliateurs cherchaient au contraire à évacuer les autres régiments, en voie de radicalisation.
 
Le contrôle de la garnison de Petrograd est un des enjeux cruciaux. Les soldats de Petrograd, qui se sont révoltés en [[Insurrection_de_Février_1917|Février]], jouissent d'un grand prestige dans les [[Classes_populaires|classes populaires]]. Le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|Gouvernement provisoire]] s'était engagé en mars (auprès du [[Comité_exécutif_central_panrusse|Comité exécutif soviétique]] auquel ils étaient liés) à ne pas les envoyer au front, ce qui était le fondement du [[Double_pouvoir|double pouvoir]]. La promesse a été trahie après la répression [[Journées_de_juillet_1917|de Juillet]] où les régimes les plus radicaux ont été éloignés de la capitale. Le 8 septembre, la section des soldats du soviet réclame le retour à Petrograd des régiments évacués en Juillet. Le gouvernement et les conciliateurs cherchaient au contraire à évacuer les autres régiments, en voie de radicalisation.
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En août les conciliateurs prédominaient encore dans la garnison. Les calmonies contre les ''«&nbsp;bolchéviks agents de l'Allemagne&nbsp;»'' ont fait beaucoup de mal. Courant septembre, la méfiance laisse place à des sympathies ou a une neutralité expectative. Mais pas encore à une sympathie active. Et il restait une minorité à peu prés irréductible hostile aux bolcheviks (de cinq à six mille junkers, 3 régiments de Cosaques, un bataillon d'automobilistes, une division d'autos blindées). L'issue du conflit n'était donc pas encore certaine, et il fallait être prudent.
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En août les conciliateurs prédominaient encore dans la garnison. Les calmonies contre les ''«&nbsp;bolchéviks agents de l'Allemagne&nbsp;»'' ont fait beaucoup de mal. Courant septembre, la méfiance laisse place à des sympathies ou a une neutralité expectative. Mais pas encore à une sympathie active. Et il restait une minorité à peu prés irréductible hostile aux bolcheviks, les&nbsp;éléments les plus qualifiés de l'armée (5000 [[junkers|junkers]], 3 régiments de [[cosaques|cosaques]], un bataillon d'automobilistes, une division d'autos blindées). L'issue du conflit n'était donc pas encore certaine, et il fallait être prudent.
    
Si les franges les plus radicales des ouvriers et soldats bolchéviks étaient impatientes, aux yeux de larges masses indécises, la légitimité dépendait largement de qui était responsable d'une agression. Par ailleurs le gouvernement et la presse réactionnaire tentait de monter le front contre ''«&nbsp;l'oisiveté&nbsp;»'' des soldats de Pétrograd qui refusaient d'y aller. Le [[Soviet_de_Pétrograd|Soviet de Pétrograd]] restait prudent, insistait sur l'attitude défensive des soviets face à la [[Contre-révolution|contre-révolution]], et affirmait qu'après l'expérience de Kornilov, il fallait que les soviets contrôlent eux-mêmes les besoins militaires. Ce fut une [[Revendication_transitoire|revendication transitoire]] extrêmement efficace vers le pouvoir des soviets.
 
Si les franges les plus radicales des ouvriers et soldats bolchéviks étaient impatientes, aux yeux de larges masses indécises, la légitimité dépendait largement de qui était responsable d'une agression. Par ailleurs le gouvernement et la presse réactionnaire tentait de monter le front contre ''«&nbsp;l'oisiveté&nbsp;»'' des soldats de Pétrograd qui refusaient d'y aller. Le [[Soviet_de_Pétrograd|Soviet de Pétrograd]] restait prudent, insistait sur l'attitude défensive des soviets face à la [[Contre-révolution|contre-révolution]], et affirmait qu'après l'expérience de Kornilov, il fallait que les soviets contrôlent eux-mêmes les besoins militaires. Ce fut une [[Revendication_transitoire|revendication transitoire]] extrêmement efficace vers le pouvoir des soviets.
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=== Le dimanche 22 octobre et le bras de fer avec l'Etat-major ===
 
=== Le dimanche 22 octobre et le bras de fer avec l'Etat-major ===
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Le Soviet fixa ouvertement, le dimanche 22, une revue pacifique de ses forces sous forme de meetings.
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Le Soviet fixa ouvertement, le dimanche 22, une revue pacifique de ses forces sous forme de meetings :''«&nbsp; Par l'unanimité de la multitude, il fallait forcer les ennemis à se cacher, à disparaître, à ne pas se montrer. (...) Il fallait arriver à ceci que les masses, se voyant elles-mêmes, se disent&nbsp;: personne et rien ne pourra plus nous résister. &nbsp;» (Trotsky)''
<blockquote>''«&nbsp; Par l'unanimité de la multitude, il fallait forcer les ennemis à se cacher, à disparaître, à ne pas se montrer. Par la démonstration de l'impuissance de la bourgeoisie devant les formations de masse des ouvriers et des soldats, il fallait effacer dans la conscience de ceux-ci les derniers souvenirs rétenteurs des Journées de Juillet. Il fallait arriver à ceci que les masses, se voyant elles-mêmes, se disent&nbsp;: personne et rien ne pourra plus nous résister. &nbsp;» Trotsky''</blockquote>
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Des religieux réactionnaires et des [[Cosaques|cosaques]] fixèrent le même jour une procession dans les rues, certains espérant sans doute créer une provocation. [[John_Reed|John Reed]] témoigne du renforcement de la sécurité au coeur de l'Etat-major de la révolution&nbsp;: ''«&nbsp;Il devint dès lors peu facile d'entrer à l'Institut Smolny, le système des laissez-passer était modifié à des intervalles de quelques heures, car des espions pénétraient constamment à l'intérieur&nbsp;»''.
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Des religieux réactionnaires et des [[Cosaques|cosaques]] fixèrent le même jour une procession dans les rues, certains espérant sans doute créer une provocation. [[John_Reed|J. Reed]] témoigne du renforcement de la sécurité : ''«&nbsp;Il devint dès lors peu facile d'entrer à l'Institut Smolny, le système des laissez-passer était modifié à des intervalles de quelques heures, car des espions pénétraient constamment à l'intérieur&nbsp;»''.
    
La Conférence de la garnison du 21 discuta de la préparation du 22 et confirma l'hégémonie des révolutionnaires. Dans la journée on apprit que la procession était annulée sur pression des autorités.
 
La Conférence de la garnison du 21 discuta de la préparation du 22 et confirma l'hégémonie des révolutionnaires. Dans la journée on apprit que la procession était annulée sur pression des autorités.
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Le chef de l'Etat-major de l'arrondissement de Petrograd refuse de voir ses ordres validés par le CMR. Celui-ci déclare alors publiquement&nbsp;: ''«&nbsp; Ayant rompu avec la garnison organisée de la capitale, l'Etat-major devient l'instrument direct des forces contre-révolutionnaires&nbsp;»''. Le CMR annonce qu'il a désormais le contrôle de la garnison pour protéger la ville de la contre-révolution.
 
Le chef de l'Etat-major de l'arrondissement de Petrograd refuse de voir ses ordres validés par le CMR. Celui-ci déclare alors publiquement&nbsp;: ''«&nbsp; Ayant rompu avec la garnison organisée de la capitale, l'Etat-major devient l'instrument direct des forces contre-révolutionnaires&nbsp;»''. Le CMR annonce qu'il a désormais le contrôle de la garnison pour protéger la ville de la contre-révolution.
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Alors qu'une nouvelle fois les bourgeois et les conciliateurs redoutent l'insurrection, la journée se déroule pacifiquement et dans un immense enthousiasme, à l'exception des bourgeois qui se calfeutrent chez eux. Partout des foules immenses écoutent les orateurs, ressentent profondément que ce n'est plus un prêche lointain mais un ferme espoir en un changement imminent.
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Alors qu'une nouvelle fois les bourgeois et les conciliateurs redoutent l'insurrection et se cachent, la journée du 22 se déroule pacifiquement et dans un immense enthousiasme. Partout des foules immenses écoutent les orateurs, ressentent profondément que ce n'est plus un prêche lointain mais un ferme espoir en un changement imminent.
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Le lendemain, 23 octobre, l'Etat-major de l'arrondissement était en telle position de faiblesse qu'il proposa d'accepter les commissaires du CMR, à condition qu'il annule sa déclaration dénonçant l'Etat-major comme contre-révolutionnaire. Il ne fut donné aucune réponse. [[Soukhanov|Soukhanov]] se demande&nbsp;: ''«&nbsp;Smolny fait-il des bêtises, ou bien joue-t-il avec le palais d'Hiver comme le chat avec la souris, provoquant une attaque&nbsp;?&nbsp;»''
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Le lendemain, 23 octobre, l'Etat-major de l'arrondissement est en telle position de faiblesse qu'il propose d'accepter les commissaires du CMR, à condition qu'il annule sa déclaration dénonçant l'Etat-major comme contre-révolutionnaire. Il ne fut donné aucune réponse.
    
Le CMR s'efforçait de convaincre le maximum de régiments. On se demandait notamment comment neutraliser la forteresse Pierre-et-Paul, et on envisagea de la prendre de force. Mais finalement, le 23, [[Trotsky|Trotsky]] s'y rend et parvient dans un discours à faire basculer les soldats, ou plutôt à les faire désavouer leurs délégués plus à droite qu'eux. La séance du soir du Soviet est particulièrement remplie et confiante. Les informations sur les troupes appelées par le gouvernement sont bonnes&nbsp;: elles refusent d'être appelées en "renfort".
 
Le CMR s'efforçait de convaincre le maximum de régiments. On se demandait notamment comment neutraliser la forteresse Pierre-et-Paul, et on envisagea de la prendre de force. Mais finalement, le 23, [[Trotsky|Trotsky]] s'y rend et parvient dans un discours à faire basculer les soldats, ou plutôt à les faire désavouer leurs délégués plus à droite qu'eux. La séance du soir du Soviet est particulièrement remplie et confiante. Les informations sur les troupes appelées par le gouvernement sont bonnes&nbsp;: elles refusent d'être appelées en "renfort".
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En ces jours-là, Kerensky est complètement illusionné sur ses forces, persuadé d'être capable de réprimer si nécessaire, sans réaliser à quel point sa chaîne de commandement était brisée et n'était plus reliée aux soldats. Mais la plupart des KD sont également dans cet état d'esprit. Ils espèrent même une offensive des bolchéviks qui permettrait de les éliminer une bonne fois pour toute. Leur journal écrit&nbsp;: ''«&nbsp; Il y a de l'orage dans l'air, mais peut-être purifiera-t-il l'atmosphère&nbsp;»''.
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En ces jours-là, Kerensky est complètement illusionné sur ses forces, persuadé d'être capable de réprimer si nécessaire, sans réaliser à quel point sa chaîne de commandement était brisée et n'était plus reliée aux soldats. Mais la plupart des KD sont également dans cet état d'esprit. Ils espèrent même une offensive des bolchéviks qui permettrait de les éliminer une bonne fois pour toute. Leur journal écrit&nbsp;: ''«&nbsp; Il y a de l'orage dans l'air, mais peut-être purifiera-t-il l'atmosphère&nbsp;»''. Peu avant l'insurrection, Kerensky demanda des renforts au général Krasnov (qui avait soutenu Kornilov).
 
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Peu avant l'insurrection, Kerensky contacta le général Krasnov (qui avait soutenu Kornilov) pour lui demander de venir vite avec ses troupes à Petrograd. A une séance du Comité exécutif panrusse des soviets, le [[Menchévik|menchévik]] [[Tsereteli|Tsereteli]], alors ministre, disait en privé à [[Adolf_Joffé|Joffé]]&nbsp;: «&nbsp;''Vous aurez la victoire&nbsp;; maintenant, cela ne saurait faire aucun doute. Mais cela n'empêche pas que, bien ou mal, nous avons tenu tout de même six mois. Si vous tenez seulement six semaines, je reconnaîtrai que vous avez raison.''&nbsp;»
      
== L'insurrection d'Octobre ==
 
== L'insurrection d'Octobre ==
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Dans la nuit du 23 au 24, le gouvernement décide de réagir&nbsp;: interdire les journaux bolcheviks qui appellent à l'insurrection, poursuivre en justice le [[Comité_militaire_révolutionnaire|CMR]], appeler des contingents sûrs de la banlieue et du front. Le bruit des décisions prises par le gouvernement se répandit immédiatement dans la ville. Cela déclenchera l'insurrection avec une légère avance.
 
Dans la nuit du 23 au 24, le gouvernement décide de réagir&nbsp;: interdire les journaux bolcheviks qui appellent à l'insurrection, poursuivre en justice le [[Comité_militaire_révolutionnaire|CMR]], appeler des contingents sûrs de la banlieue et du front. Le bruit des décisions prises par le gouvernement se répandit immédiatement dans la ville. Cela déclenchera l'insurrection avec une légère avance.
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[[Smolny|Smolny]] devient aussitôt un véritable quartier général fourmillant d'activité. Le [[VTsIK|VTsIK]] quitte Smolny pour le local de l'Etat-major. Le matin, l'Etat-major s'active et annonce que tous les commissaires du CMR sont congédiés, que les régiments doivent rester dans leurs casernes et que toute manifestation sera gravement punie. Le ministre de la justice [[Maliantovitch|Maliantovitch]] donna l'ordre d'arrêter [[Trotsky|Trotsky]] (ironie&nbsp;: il avait aussi été inculpé en 1905 pour son rôle dans le soviet, et Maliantovitch était alors son avocat). Des contingents sont demandés au front nord et d'autres appelés de la banlieue&nbsp;: un bataillon de choc de Tsarskoïe, des ''junkers'' d'Oranienbaum, de l'artillerie de Pavlovsk.
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[[Smolny|Smolny]] devient aussitôt un véritable quartier général fourmillant d'activité. Le [[VTsIK|VTsIK]] quitte Smolny pour le local de l'Etat-major. Le matin, l'Etat-major s'active et annonce que tous les commissaires du CMR sont congédiés, que les régiments doivent rester dans leurs casernes et que toute manifestation sera gravement punie. Le ministre de la justice [[Maliantovitch|Maliantovitch]] donna l'ordre d'arrêter [[Trotsky|Trotsky]] (ironie&nbsp;: il avait aussi été inculpé en 1905 pour son rôle dans le soviet, et Maliantovitch était alors son avocat). Des contingents sont demandés au front nord et d'autres appelés de la banlieue&nbsp;: un bataillon de choc de Tsarskoïe, des [[junkers|junkers]] d'Oranienbaum, de l'artillerie de Pavlovsk.
 
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A 5 h 30 du matin, un détachement de [[Junkers|junkers]] saisit l'imprimerie bolchévique et neutralise la publication du [[Rabotchi_Pout|''Rabotchi'']] et du ''Soldat''. Le CMR envoie aussitôt deux bataillons réouvrir l'imprimerie. Il est ordonné au croiseur Aurore, stationné sur la Neva, de sortir en mer. L'équipage, bolchévik, interroge le CMR qui annule l'ordre. Un téléphonogramme à tous les quartiers et régiments annonce&nbsp;: ''«&nbsp;Les ennemis du peuple ont pris l'offensive pendant la nuit... Le Comité militaire révolutionnaire dirige la résistance contre l'attaque des conspirateurs.'' ''»'' Trotsky demande à l'emetteur radio de l'Aurore de retransmettre, et d'appeler à arrêter les bataillons lancés sur Petrograd.
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Le Comité central se réunit à 11 à Smolny et se répartit les principales tâches. [[Zinoviev|Zinoviev]] se tient à l'écart, par contre [[Kamenev|Kamenev]] participe au travail d'organisation, il est affecté en particulier au lien avec les [[SR_de_gauche|SR de gauche]]. [[Sverdlov|Sverdlov]] eut un rôle majeur de coordination. Il accueillait notamment les bolchéviks arrivant des régions pour le congrès des soviets. Ils étaient déjà près de 300 le 24, et la plupart, d'une façon ou d'une autre, s'inséra dans le mécanisme de l'insurrection. Face à eux, Trotsky s'efforce encore de présenter ce qui est en train de se passer comme de la défensive, pour éviter de troubler les plus modérés et limiter les risques de fuite. ''«&nbsp;Et quoi faire alors du gouvernement provisoire&nbsp;?&nbsp;»'' lui demande-t-on. ''«&nbsp;Si Kerensky essayait de ne pas se soumettre au Congrès des soviets la résistance du gouvernement créerait une question de police et non de politique&nbsp;»''. Des représentants de la [[Douma_de_Petrograd|Douma de Petrograd]] viennent demander à [[Trotsky|Trotsky]] les intentions des bolchéviks. Ils sont renvoyés à la décision du [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]].
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A 5h30 du matin, un détachement de [[Junkers|junkers]] saisit l'imprimerie bolchévique et neutralise la publication du [[Rabotchi_Pout|''Rabotchi'']] et du ''Soldat''. Le CMR envoie aussitôt deux bataillons réouvrir l'imprimerie. Il est ordonné au [[croiseur_Aurore|croiseur Aurore]], stationné sur la Neva, de sortir en mer. L'équipage, bolchévik, interroge le CMR qui annule l'ordre. Un téléphonogramme à tous les quartiers et régiments annonce&nbsp;: ''«&nbsp;Les ennemis du peuple ont pris l'offensive pendant la nuit... Le Comité militaire révolutionnaire dirige la résistance contre l'attaque des conspirateurs.'' ''»'' Trotsky demande à l'emetteur radio de l'[[Aurore_(croiseur)|Aurore]] de retransmettre, et d'appeler à arrêter les bataillons lancés sur Petrograd.
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Les bataillons motocyclistes, moins révolutionnaires, basculent à partir du 24. Certains désertent leur poste de garde du Palais d'Hiver. La petite minorité (non gagnable politiquement) restant du côté du gouvernement se composait des éléments les plus qualifiés de l'armée&nbsp;: le corps des officiers, les ''junkers'', les bataillons de choc, peut-être aussi les cosaques. Et encore la&nbsp;plupart n'osa pas s'engager dans la lutte au moment décisif. La majorité des soldats, tout en votant pour les bolchéviks, n'étaient pas réellement en état de se battre. Ils étaient réservistes depuis longtemps, et ils voulaient plus que tout rentrer dans leur campagne et procéder au [[Partage_des_terres|partage des terres]]. Mais il y avait suffisamment de soldats et de [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] fiables pour vaincre.
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Le Comité central se réunit à 11 à Smolny et se répartit les principales tâches. [[Zinoviev|Zinoviev]] se tient à l'écart, par contre [[Kamenev|Kamenev]] participe au travail d'organisation, il est affecté en particulier au lien avec les [[SR_de_gauche|SR de gauche]]. [[Sverdlov|Sverdlov]] eut un rôle majeur de coordination. Il accueillait notamment les bolchéviks arrivant des régions pour le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]]. Ils étaient déjà près de 300 le 24, et la plupart, d'une façon ou d'une autre, s'inséra dans le mécanisme de l'insurrection. Face à eux, Trotsky s'efforce encore de présenter ce qui est en train de se passer comme de la défensive, pour éviter de troubler les plus modérés et limiter les risques de fuite. ''«&nbsp;Et quoi faire alors du gouvernement provisoire&nbsp;?&nbsp;»'' lui demande-t-on. ''«&nbsp;Si Kerensky essayait de ne pas se soumettre au Congrès des soviets la résistance du gouvernement créerait une question de police et non de politique&nbsp;»''. Des représentants de la [[Douma_de_Petrograd|Douma de Petrograd]] viennent demander à [[Trotsky|Trotsky]] les intentions des bolchéviks. Ils sont renvoyés à la décision du [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès]].
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Pendant ce temps au [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]], [[Kerensky|Kerensky]] stigmatise la '&nbsp;populace&nbsp;»'' et annonce que désormais les bolchéviks ''«&nbsp;sont sujets à une liquidation immédiate, résolue et définitive&nbsp;»''. Il demande alors le soutien de l'assemblée, mais les divers socialistes sont frileux de se solidariser du gouvernement et débattent de formules tout l'après-midi. Finalement ils reprennent hypocritement une formule de Martov qui désigne le gouvernement comme co-responsable de la situation et lui demande de remettre la terre aux comités agraires et d'engager des pourparlers de paix immédiatement. Au moment des votes, les soutiens inconditionnels du gouvernement ([[Parti_KD|KD]], leaders [[Cosaques|cosaques]], [[Coopératives|coopérateurs]]) sont en minorité, ce qui décrédibilise encore plus [[Kerensky|Kerensky]].
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Les bataillons motocyclistes, moins révolutionnaires, basculent à partir du 24. Certains désertent leur poste de garde du Palais d'Hiver. Parmi la petite minorité de l'armée non gagnable politiquement, la&nbsp;plupart n'osa pas s'engager dans la lutte au moment décisif. La majorité des soldats, tout en votant pour les bolchéviks, n'étaient pas réellement en état de se battre. Ils étaient réservistes depuis longtemps, et ils voulaient plus que tout rentrer dans leur campagne et procéder au [[Partage_des_terres|partage des terres]]. Mais il y avait suffisamment de soldats et de [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] fiables pour vaincre.
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Le soir à la réunion du Soviet, Trotsky dément encore une insurrection offensive&nbsp;:''«&nbsp;Le Comité ne permit pas à Kerensky de faire sortir de Petrograd les troupes révolutionnaires et prit la défense de la presse ouvrière. Est-ce là une insurrection&nbsp;? L'Aurore est aujourd'hui là où elle se trouvait la nuit dernière. Est-ce là une insurrection&nbsp;?&nbsp;»'' Il réaffirme que le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]] disposera de ''«&nbsp;ce demi-pouvoir [qui] attend un coup de balai historique&nbsp;»'', mais prépare toutefois les esprits à ce qui en réalité était déjà prévu pour la nuit&nbsp;: ''«&nbsp;Si, cependant, le gouvernement, dans les 24 ou 48 heures dont il dispose encore, essayait d'en profiter pour planter un poignard dans le dos de la révolution, nous le déclarons une fois de plus&nbsp;: l'avant-garde de la révolution répondra coup pour coup et au fer par de l'acier&nbsp;»''.
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Pendant ce temps au [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]], [[Kerensky|Kerensky]] stigmatise la ''«&nbsp;populace&nbsp;»'' et annonce que désormais les bolchéviks ''«&nbsp;sont sujets à une liquidation immédiate, résolue et définitive&nbsp;»''. Il demande alors le soutien de l'assemblée, mais les divers socialistes sont frileux de se solidariser du gouvernement et débattent de formules tout l'après-midi. Finalement ils reprennent hypocritement une formule de [[Martov|Martov]] qui désigne le gouvernement comme co-responsable de la situation et lui demande de remettre la terre aux comités agraires et d'engager des pourparlers de paix immédiatement. Au moment des votes, les soutiens inconditionnels du gouvernement ([[Parti_KD|KD]], leaders [[Cosaques|cosaques]], [[Coopératives|coopérateurs]]) sont en minorité, ce qui décrédibilise encore plus [[Kerensky|Kerensky]].
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Le soir à la réunion du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]], Trotsky dément encore une insurrection offensive&nbsp;: ''«&nbsp;Le Comité ne permit pas à Kerensky de faire sortir de Petrograd les troupes révolutionnaires et prit la défense de la presse ouvrière. Est-ce là une insurrection&nbsp;? L'Aurore est aujourd'hui là où elle se trouvait la nuit dernière. Est-ce là une insurrection&nbsp;?&nbsp;»'' Il réaffirme que le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès]] disposera de ''«&nbsp;ce demi-pouvoir [qui] attend un coup de balai historique&nbsp;»'', mais prépare toutefois les esprits à ce qui en réalité était déjà prévu pour la nuit&nbsp;: ''«&nbsp;Si, cependant, le gouvernement, dans les 24 ou 48 heures dont il dispose encore, essayait d'en profiter pour planter un poignard dans le dos de la révolution, nous le déclarons une fois de plus&nbsp;: l'avant-garde de la révolution répondra coup pour coup et au fer par de l'acier&nbsp;»''.
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Des [[junkers|junkers]] occupent les gares et vers 15h coupent les ponts tournants. C'est un signe fort : la monarchie avait toujours fait ça en cas de trouble dans la capitale, comme en [[Insurrection_de_Février_1917|Février]]. Une bataille s'engage pour le contrôle des ponts. Les ouvriers et soldats parvenaient à débloquer les ponts soit par la persuasion, soit par la menace. Certains ponts furent coupés et rétablis à plusieurs reprises. L'[[Aurore_(croiseur)|Aurore]] s'approche du Pont Nicolas, et les junkers s'enfuient.
    
=== Prise du palais d'Hiver (25-26) ===
 
=== Prise du palais d'Hiver (25-26) ===

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