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Special pages :
Victoire de la contre-révolution à Vienne
Auteur·e(s) | Karl Marx |
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Écriture | 6 novembre 1848 |
Neue Rheinische Zeitung
Cologne, 6 novembre.
La liberté et l'ordre croate ont vaincu et fêtent leur victoire par des incendies criminels, des viols, des pillages, des forfaits sans nom. Vienne est aux mains de Windischgrætz, de Jellachich et d'Auersperg. Des hécatombes de victimes humaines sont jetées au vieux traître Latour dans sa tombe.
Toutes les sombres prophéties de notre correspondant[1] à Vienne se sont confirmées, et peut-être en ce moment est-il déjà abattu.
Nous avons espéré un instant que Vienne serait libérée grâce à l'aide hongroise, or les mouvements de l'armée hongroise restent encore énigmatiques pour nous.
Toutes sortes de trahisons ont préparé la chute de Vienne. Toute l'histoire de la Diète et du Conseil municipal depuis le 6 octobre n'est rien d'autre que l'histoire ininterrompue de la trahison. Qui était représenté à la Diète et au Conseil municipal ?
La bourgeoisie.
Dès le début de la révolution d'octobre, une partie de la garde nationale viennoise a pris ouvertement parti pour la camarilla. Et à la fin de la révolution d'octobre, nous trouvons une autre partie de la garde nationale en lutte contre le prolétariat et la Légion académique[2], et ce, en vertu d'un accord secret avec les bandits impériaux. À qui appartiennent ces fractions de la garde nationale ?
À la bourgeoisie.
Or en France la bourgeoisie s'est placée à la tête de la contre-révolution, après avoir renversé toutes les barrières qui constituaient un obstacle à la domination de sa propre classe. En Allemagne, on la trouve dissimulée dans le sillage de la monarchie absolue et du féodalisme, avant même d'avoir assuré les conditions élémentaires de sa propre liberté et de sa propre domination bourgeoises. En France, elle s'érigea en despote et fit sa propre contre-révolution. En Allemagne, elle se pose en esclave et fait la contre-révolution de ses propres despotes. En France, elle a vaincu pour humilier le peuple. En Allemagne, elle s'humilie pour que le peuple ne soit pas victorieux. Aucune histoire ne montre une bassesse plus ignominieuse que celle de la bourgeoisie allemande.
Qui a fui Vienne en foule et abandonné à la magnanimité du peuple la garde des biens laissés derrière soi ? Qui, au cours de sa fuite a blâmé le peuple d'avoir mal rempli son office de gardien, et qui au retour assista à son massacre ?
La bourgeoisie.
Quels secrets intimes exprime le thermomètre qui descendait chaque fois que le peuple respirait et montait chaque fois qu'il laissait échapper des râles d'agonie ? Qui s'exprime dans la langue élémentaire des cours de la Bourse ?
La bourgeoisie.
L'« Assemblée nationale allemande » et son « pouvoir central » ont trahi Vienne. Qui représentaient-ils ?
Essentiellement la bourgeoisie.
La victoire de « l'ordre et de la liberté croates » était conditionnée par la victoire de l'« honnête » république de Paris. Qui a triomphé pendant les journées de juin ?
La bourgeoisie.
C'est par la victoire à Paris que la contre-révolution européenne a commencé ses orgies de triomphe.
Durant les journées de février et de mars la force armée a échoué partout. Pourquoi ? Parce qu'elle ne représentait rien d'autre que les gouvernements eux-mêmes. Après les journées de juin elle a vaincu partout parce que partout la bourgeoisie est secrètement d'accord avec elle, ayant en main par ailleurs la direction officielle du mouvement révolutionnaire et mettant en œuvre toutes les demi-mesures qui, par nature, ne peuvent qu'avorter.
Le fanatisme national des Tchèques a été l'instrument le plus puissant de la camarilla de Vienne. Et voilà que les alliés se sont déjà pris aux cheveux. Nos lecteurs trouveront dans ce numéro la protestation de la députation de Prague contre les méprisables grossièretés dont elle a été saluée à Olmutz.
C'est là le premier symptôme de la guerre qui va opposer le parti slave et son héros Jellachich au parti de la seule camarilla, dominant toutes les nationalités et son héros Windischgrätz. De son côté, la population allemande d'Autriche n'est pas encore pacifiée. Sa voix perçante parviendra jusqu'à nous malgré le charivari organisé par les peuples d'Autriche. Et d'un troisième côté, la voix du tsar, ami des peuples, se fait entendre jusqu'à Pest, ses bourreaux attendent dans les principautés danubiennes qu'il prononce le mot décisif.
Enfin, le dernier décret de l'Assemblée nationale de Francfort qui incorpore l'Autriche allemande à l'empire allemand devrait, à lui seul, mener à un gigantesque conflit si le pouvoir central allemand et l'Assemblée nationale allemande n'avaient trouvé leur vocation en montant sur les planches pour être sifflés par le public européen. Malgré leur résignation et leur soumission à la divine Providence, la lutte en Autriche prendra des dimensions gigantesques telles que l'histoire universelle n'en a jamais vues.
Le deuxième acte du drame dont le premier acte fut joué à Paris sous le titre : Les journées de juin, vient d'être représenté à Vienne. À Paris, des gardes mobiles, à Vienne, des « Croates » - dans les deux villes, des lazzaronis, ce prolétariat en guenilles, armé et acheté - contre le prolétariat qui travaille et qui pense. Nous assisterons bientôt, à Berlin, au troisième acte.
À supposer que la contre-révolution tienne dans toute l'Europe par les armes, elle mourrait dans toute l'Europe par l'argent. La fatalité qui annulerait la victoire serait la faillite européenne - la faillite de l'État. Les pointes des baïonnettes se brisent aux piques de l'« économie », comme de l'amadou qui s'effrite.
Mais l'évolution n'attend pas l'échéance de ces traites que les États européens ont tiré sur la société européenne. À Paris sera donnée la réplique décisive aux journées de juin. Grâce à la victoire de la « République rouge » à Paris, les armées seront rejetées de l'intérieur des pays, sur les frontières et au-delà et la véritable puissance des partis en lutte sera clairement mise en évidence. Alors nous nous souviendrons de juin, d'octobre, et nous aussi nous nous écrierons :
Væ victis ![3]
Les massacres sans résultats depuis les journées de juin et d'octobre, la fastidieuse fête expiatoire depuis février et mars, le cannibalisme de la contre-révolution elle-même convaincront les peuples que pour abréger, pour simplifier, pour concentrer l'agonie meurtrière de la vieille société et les souffrances sanglantes de l'enfantement de la nouvelle société, il n'existe qu'un moyen : le terrorisme révolutionnaire.