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Unité de front
Auteur·e(s) | Amédée Dunois |
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Écriture | 14 juillet 1921 |
A mesure que, par une sorte de choc en retour de la grande guerre impérialiste, la lutte des classes s'est intensifiée, la nécessité de réaliser l'unité de front des forces militantes du prolétariat est apparue avec plus d'évidence.
Il ne m'appartient pas de divulguer les conversations substantielles qui se poursuivent actuellement au siège du Parti entre délégués du Comité directeur et délégués des C.S.R.[1] : c'est à ces délégués eux-mêmes de rendre, s'ils le jugent opportun, ces conversations publiques. Mais il m'a suffi de lire la déclaration du Comité central des C.S.R. et l'importante motion de l'Union des Syndicats de la Seine pour constater qu'un grave revirement s'est opéré dans l'esprit des camarades syndicalistes qui, il n'y a pas si longtemps, furent les plus ardents à maintenir entre syndicalisme et socialisme la vieille opposition dogmatique à laquelle, pour notre part, nous ne croyons plus. Les C.S.R. persistent bien à penser que c'est le syndicalisme qui « doit être le moteur principal de la Révolution et le facteur déterminant de la transformation sociale ». Et je m'en voudrais fort de les chicaner là-dessus, encore qu'il soit peut-être imprudent d'affirmer à l'avance aussi péremptoirement que, dans le processus révolutionnaire qui commence, c'est telle ou telle forme d'organisation et d'action, et non telle ou telle autre, qui jouera le rôle « principal et déterminant ». Ce que je veux retenir de la déclaration des C.S.R., c'est le fait qu'ils n'assignent au syndicalisme qu'un rôle « principal », au lieu, comme jadis, de le charger de tous les rôles, au lieu, comme jadis, de lui faire jouer, à lui tout seul, toute la pièce.
Les C.S.R. reconnaissent explicitement que d'autres « forces révolutionnaires » sont appelées à prendre part à cette action totale que ne peut manquer d'être le soulèvement prolétarien. Ils conviennent que « la transformation sociale doit s'opérer sous le contrôle et par les efforts combinés de toutes les forces révolutionnaires organisées, opérant dans la sphère d'action qui leur est propre ». En conséquence de quoi ne sont-ils nullement disposés à « dédaigner l'appoint que peuvent leur apporter en ce moment les partis politiques révolutionnaires dont la valeur et la force sont très appréciables actuellement ».
La motion de l'Union des Syndicats de la Seine n'est pas moins suggestive : elle invite le Congrès de Lille à dire « que le syndicalisme est par son origine, par son caractère, par son idéal, une force révolutionnaire » ; elle le presse d'affirmer « son indépendance complète vis-à-vis des groupements politiques ou philosophiques ». Mais, ajoute-t-elle, la C.G.T., tout en repoussant les influences extérieures, les pressions extra-syndicales, « estimera aussi que la révolution, dans ses premières journées comme dans son développement, ne pourrait laisser le syndicalisme indifférent ; la Révolution ne saurait être subordonnée à un principe théorique, et c'est dans ce sens que le Congrès (de Lille) repoussera toute idée de neutralité en face d'une révolution à caractère économique et qu'il estimera que le syndicalisme doit être prêt à agir avec tout parti politique qui, passant de la propagande à l'acte révolutionnaire, poursuivrait l'expropriation capitaliste ».
L'importance de ces deux textes, et surtout du second qui, à la différence du premier, émane d'une organisation de masses, ne saurait être diminuée. Nous sommes en présence d'un fait nouveau ou plus exactement d'une volonté d'agir nouvelle : pour la première fois, les syndicalistes révolutionnaires déclarent vouloir se départir de la neutralité qu'ils avaient affectée jusqu'ici à l'égard de notre Parti ; — car c'est bien de notre Parti qu'il s'agit, le communisme étant seul à poursuivre, par la voie révolutionnaire, l'expropriation capitaliste.
L'Union des Syndicats de la Seine va plus loin,— plus loin certes que je ne consentirais à aller : elle prévoit, si je sais bien lire, que la révolution pourrait surgir, pourrait se développer indépendamment du syndicalisme. En une telle hypothèse, qu'aurait à faire celui-ci ? A cette question parfaitement claire, l'Union donne une réponse décisive : loin de se tenir à l'écart, dans une sorte de neutralité maussade et boudeuse, le syndicalisme devrait entrer dans le mouvement aux côtés du parti politique qui en assumerait la direction, et cela de concert avec ce parti politique.
Eh bien, je dois le dire : je ne conçois pas, je ne puis concevoir une révolution qui, en France, serait dirigée par le Parti communiste seul, indépendamment des syndicats ouvriers. L'hypothèse prévue par l'Union des Syndicats de la Seine me paraît irréalisable. Nous ignorons quand et comment surgira la future révolution française. Sortira-t-elle d'une grève générale bu d'une insurrection, sinon des deux à la fois ? Résultera-t-elle d'un effondrement subit du capitalisme et du pouvoir de l'Etat ? Qui peut le dire ? Ce dont on doit être sur, c'est que syndicats et parti entreront ensemble dans la révolution sociale, la dirigeront ensemble, et que la dictature du prolétariat s'exercera chez nous non point par le Parti tout seul, mais par le Parti et les syndicats, librement, intimement unis.
Il y a dans l'esprit français une telle gourmandise d'idées claires, qu'il est toujours tenté de ramener à l'unité l'extrême complexité des idées et des choses. Nous ayons peine à concevoir que les syndicats ne soient pas subordonnés au Parti, ou le Parti subordonné aux syndicats. Ce qu'il nous faut, ce qui nous satisfait, c'est le « commandement unique », à cause de la clarté de sa formule. Qui commandera ? Le Parti par son Comité directeur ou les syndicats par le Comité confédéral ?
Nous répondons : ni l'un ni l'autre. Qui donc alors commandera ? Nous répondons : le prolétariat : le prolétariat dont le Parti et les syndicats ne sont que les instruments. C'est le prolétariat lui-même qui aura à établir, expérimentalement, cette coordination dans l'action qui, sans nul doute, se réalisera autrement que par la subordination autoritaire d'une organisation à l'autre organisation.
Elle se réalisera d'autant plus aisément qu'il apparaît de plus en plus que leurs principes, leur tactique et leur but sont très exactement les mêmes. Mêmes principes : et c'est la lutte de classes, l'internationalisme. Même tactique, laquelle n'utilise la légalité que pour la dépasser sans cesse en attendant de la briser. Même but : l'avènement d'une société sans classes et sans propriété de classe, ayant, pour prologue immédiat, la dictature du prolétariat.
Encore une fois, les communistes français entendent n'entreprendre rien contre l'indépendance administrative — « l'autonomie » — des syndicats ouvriers. Les mouvements proprement syndicaux, qu'ils affectent les salaires ou la durée du travail, ne peuvent dépendre que des syndicats eux-mêmes. Mais la lutte de classe est loin de tenir tout entière dans le cadre étriqué des luttes corporatives ; et c'est le propre du syndicalisme révolutionnaire d'élargir sans cesse ce que les syndicats soi-disant réformistes tendent au contraire à resserrer, de ne jamais s'en tenir aux revendications purement professionnelles, mais de prendre sa pleine part des luttes politiques, de la lutte contre l'Etat. Or sur ce terrain-là, qui donc rencontre-t-il ? Le Parti toujours, toujours le Parti.
Syndicats et Parti mènent là la même bataille, avec les mêmes armes, souvent avec les mêmes hommes. Dire qu'ils doivent s'ignorer, c'est s'exposer au démenti cinglant des faits. Dire que les syndicats ouvriers doivent se soumettre à l'autorité du parti politique, c'est faire bon marché de cette « autonomie » dont nous affirmions tout à l'heure le principe. Je dis qu'ils doivent collaborer, combiner leurs efforts, coordonner leurs mouvements, et pour y parvenir ils doivent établir un organe de liaison, soit permanent, soit temporaire, qui, si l'on peut ainsi dire, aura à tayloriser l'action prolétarienne ; c'est à quoi nous marchons avec rapidité. Le temps n'est plus en France où l'organisation économique et l'organisation politique de la même classe ouvrière se combattaient tantôt à visage découvert, tantôt avec hypocrisie. Nous entrons dans la phase historique de la coopération volontaire, sur la base de l'égalité. Nous demander d'aller plus loin, ce serait méconnaître tout ce passé, d'indépendance jalouse et de rivalités inévitables dont nous sortons à peine et qui longtemps encore pèsera sur nous. Qu'on ne nous le demande pas ! Dans l'intérêt du communisme, même, nous serions obligés de nous y refuser.
- ↑ Comités Syndicalistes Révolutionnaires.