Une solution du problème des réparations

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Le rapport du Comité des Experts[modifier le wikicode]

Après plus de 3 mois de travaux le Comité des Experts transmettait le 9 avril dernier son rapport à la Commission des Réparations. Nous supposons nos lecteurs déjà au courant par les journaux du contenu essentiel de ce rapport sur lequel nous nous bornons à présenter nos observations.

La stabilité de la monnaie allemande — condition de paiements des réparations.

Durant les années précédentes, la Commission des Réparations avait exigé de l’Allemagne des payements au comptant (en changes étrangers) aussi bien qu’en nature (fourniture de marchandises) sans se demander si les Finances allemandes pouvaient ou non supporter ce surcroit de charges. Contrairement à cette pratique, le Comité des Experts considère que l’Allemagne ne peut faire face à ses obligations que si elle réussit à maintenir le cours de sa monnaie à un niveau stable. Dans le cas contraire, les recettes du Reich se réduiraient automatiquement, de sorte qu’il lui serait impossible d’effectuer les payements. La stabilité du change allemand doit donc être sauvegardée nonobstant les payements de réparations.

Paiements en monnaie allemande[modifier le wikicode]

Il en ressort logiquement que le Reich ne doit acquitter ses dettes de réparations — abstraction faite, naturellement, des livraisons en nature — qu’en monnaie allemande. L’Allemagne doit verser les sommes prévues en monnaie allemande aux caisses de la Banque des Réparations à fonder. En effectuant les payements prévus, l’Allemagne aura accompli ses obligations envers les Alliés. Ce sera alors à ces derniers d’obtenir l’équivalent des sommes versées par le Reich en monnaie allemande. Le rapport des experts prévoit une commission de 5 membres et un agent spécial auxquels incombera le devoir de faire parvenir sous une forme appropriée, à l’étranger, l’équivalent des sommes versées par l’Allemagne. Il s’agit là de la vieille question : Quelles fournitures en nature peut offrir l’Allemagne à l’Entente au titre de réparations ou, en d’autres termes, quelles fournitures peut accepter l’Entente sans causer de graves préjudices aux industries de la France, de l’Angleterre et des autres pays capitalistes ? Le rapport des experts ne résout pas ce problème, qui est en somme insoluble. Il prévoit des versements en argent jusqu’à la concurrence d’une somme de 2 milliards de marks-or. Les sommes dépassant ce chiffre seront converties en valeurs allemandes, jusqu’à concurrence de 5 milliards de marks-or. Si l’on n’arrivait pas, plus tard, à trouver l’équivalent en marchandises convenant à l’Entente, les payements à effectuer par l’Allemagne seraient réduits jusqu’à ce que les Alliés aient trouvé un procédé permettant d’écouler sur le marché mondial les marchandises représentant la valeur des réparations payées par l’Allemagne...

Pas de crédits pour l’Allemagne[modifier le wikicode]

Le rapport des experts détruit tous les projets qui visaient à résoudre d’un coup le problème des réparations à l’aide d’un emprunt international de plusieurs milliards de marks-or. (On se rappelle le projet du gouvernement Cuno : emprunt de 20 milliards de marks-or.) Les espoirs fondés sur l’aide américaine, les projets d’amener l’Amérique à contribuer avec ses richesses, en partie non utilisées, à résoudre le problème des réparations, et à écarter par là même une cause importante de la crise, ont dû être enterrés. Le rapport des experts ne prévoit qu’un seul emprunt de 800 millions de marks-or destiné à faciliter le payement des dettes de réparations dans la première année.

Défaite de l’impérialisme français, victoire de l’Angleterre[modifier le wikicode]

Au point de vue de la politique mondiale, la solution préconisée par les experts, signifie — supposé que le projet soit mis à exécution par les Alliés — la défaite de la France impérialiste et la victoire de l’Angleterre. La politique française qui visait à séparer du Reich les provinces du Rhin et de la Ruhr, la Bavière et l’Allemagne du sud peut être considérée comme ayant échoué. Le rapport des experts déclare expressément que l’Allemagne, si on attend d’elle qu’elle acquitte ses dettes de réparations, doit former un territoire économique unique. La solution que recommandent les experts, empêche en même temps l’accumulation entre les mains de la France des richesses minières continentales, ce qui est d’une importance capitale pour la position politique et économique de la France vis-à-vis de l’Angleterre.

L’Allemagne — colonie internationale[modifier le wikicode]

L’échec des projets de conquête de l’impérialisme français ne signifie pourtant pas que l’Allemagne redevient un Etat libre. Au contraire, le rapport des experts prévoit un contrôle sévère et méthodique de l’Allemagne par les Alliés. Par la mise en pratique des mesures recommandées la vie économique allemande se trouverait de fait placée sous le contrôle de l’Entente. Ce contrôle s’exercerait sur les chemins de fer, les finances du Reich, la Banque centrale d’Emission, à fonder et qui doit embrasser toutes les banques d’émission existant en ce moment en Allemagne. Le contrôle des Alliés s’exercerait même sur les recettes d’impôts dont ils pourraient déterminer le montant.

Que doit payer l’Allemagne?[modifier le wikicode]

Le rapport prévoit les payements suivants :

1ère année 1000 millions de marks-or
2ème année 1200 millions de marks-or
3ème année 1200 millions de marks-or
4ème année 1750 millions de marks-or
5ème année 2500 millions de marks-or

Total des cinq premières années = 7650 millions de marks-or

De cette somme 800 millions de marks-or seront mis à la disposition de l’Allemagne par la voie d’un emprunt qu’elle obtiendra à cet effet. Les payements annuels atteindront dès la cinquième année 2500 millions et pourront même éventuellement être augmentés. Les experts ont notamment prévu pour mesurer la prospérité de l’Allemagne un indice calculé à [sur] la base des chiffres du trafic ferroviaire, du mouvement de la population, du commerce extérieur, de la consommation de tabac, des dépenses budgétaires et de la consommation de charbon. Si la moyenne du pourcent de ces six facteurs accusait au bout de la cinquième année une augmentation sur les années 1926—1929, le montant des payements de l’Allemagne serait augmenté dans les mêmes proportions.

Le rapport désigne les ressources du Reich dont les recettes devront être employées par l’Allemagne à effectuer les payements qui lui sont imposés. Le rapport se base sur les principes suivants.

1. Les chemins de fer du Reich, grâce à la dépréciation de la monnaie, se sont acquittés de leurs dettes. Ils représentent un capital de 26 milliards de marks-or. Ils réalisaient, avant la guerre 600 millions de marks-or de bénéfices nets par an, somme qui équivaut actuellement à 1 milliard de marks-or. Sous ce rapport les experts ajoutent encore que les chemins de fer du Reich n’ont pas été considérés avant la guerre comme une entreprise commerciale, mais surtout comme l’instrument du développement économique de l’Allemagne. Ils sont donc d’avis qu’il est facile d’obtenir des chemins de fer allemands 660 millions de marks-or par an sous forme d’intérêts d’obligations et d’amortissement, plus 200 millions d’impôts sur le trafic ferroviaire.

2. L’industrie allemande a également profité de la dépréciation de la monnaie pour acquitter ses dettes. Aussi — pensent les experts — peut-elle se charger de verser au total 5 milliards de marks-or à titre de réparations. Cela donnerait avec 5% d’intérêts et 1% d’annuités 300 millions de marks-or par an.

3. Le traité de Versailles exige que le montant des impôts en Allemagne ne soit pas inférieur à celui des pays de l’Entente. Les experts, se basant sur ces dispositions du traité calculent que Allemagne pourra progressivement jusqu’à fin de l’année 1928—1929, prélever en vue des réparations une somme de 1250 millions de marks-or sur ses recettes budgétaires ordinaires. Pour garantir ces payements, les recettes provenant des impôts sur le tabac, la bière, l’alcool et le sucre, ainsi que les recettes douanières doivent être versées par l’administration des finances allemandes aux caisses de la nouvelle Banque d’émission, au compte des réparations. Au cas où ces recettes dépasseraient la somme prévue par les experts, le Reich pourrait disposer librement de l’excédent.

L’insoluble problème[modifier le wikicode]

Deux questions se posent à nous :

1. Les sommes prévues peuvent-elles être prélevées sur le produit annuel de la production de l’Allemagne actuelle ?

En ce qui concerne les 5 premières années, on peut y répondre affirmativement. Grâce aux économies réalisées par suite de la disparition des dettes d’Etat et de la réduction des dépense» militaires, l’Allemagne, à ce qu’il nous semble, est à même de verser les sommes exigées. (Supposé toutefois que la domination politique de la bourgeoisie s’affermisse et que le procès de production ne soit pas troublé par de graves luttes sociales.) Mais les 5 premières années écoulées, nous doutons fort que la vie économique en Allemagne puisse subir sans conséquences sérieuses le prélèvement de sommes aussi fortes. Cependant, vu le peu d’équilibre du capitalisme, ou ne peut rien prévoir à cinq années d’échéance.

2. Peut-on convertir les sommes versées par l’Allemagne en marchandises dont l’exportation ne porterait pas de préjudices à l’industrie et au commerce des pays de l’Entente ?

Nous pouvons, en ce qui concerne les cinq premières années, répondre par l’affirmative, car si nous faisons abstraction des fournitures de charbon et de coke indispensables à l’industrie française, le restant de la somme que l’Allemagne aurait à payer pendant cette période et dont l’équivalent devrait être exporté sous forme de devises ou de marchandises, est relativement minime. Si une grave crise économique ne se produit pas entre temps, l’équivalent en marchandises des payements effectués par l’Allemagne, peut facilement être écoulé sur le marché mondial. La situation sera tout autre au bout des cinq premières années où les payements annuels imposés à l’Allemagne atteindront 2,5 milliards de marks-or. Une somme aussi énorme ne peut être versée que si les exportations allemandes dépassent de beaucoup de milliards celles d’avant-guerre. Vu toutefois la capacité d’achat amoindrie du marché mondial, l’augmentation des exportations allemandes dans des proportions aussi énormes porterait de graves préjudices aux industries française et anglaise. Nous sommes par conséquent d’avis que l’Allemagne ne sera pas capable de verser les sommes entières qu’on exige d’elle et que d’ailleurs l’Entente ne saurait accepter.

Quelle est la signification du rapport des experts ?[modifier le wikicode]

Le rapport que nous venons d’examiner avait été adopté à l’unanimité par le Comité des Experts. Les experts ayant certainement agi de concert avec leurs gouvernements respectifs, nous pouvons en conclure que les gouvernements de l’Entente et les bourgeoisies qu’ils représentent, approuvent la solution recommandée de la question des réparations.

Quelle est la portée économique de cette solution ?

La bourgeoisie des pays de l’Entente reconnaît, en approuvant le rapport des experts, qu’il est impossible de tirer de l’Allemagne les sommes exigées jusqu’ici par les divers ultimatums. La bourgeoisie de l’Entente est placée devant l’alternative suivante : ou elle insistera sur ce que l’Allemagne acquitte ses dettes de réparations et dans ce cas elle pourra peut-être obtenir des réparations, mais au prix d’une aggravation de la concurrence allemande sur le marché mondial, qui entraînerait fatalement la dépréciation du mark, des troubles sociaux, la dictature contrerévolutionnaire du prolétarienne en Allemagne; ou bien elle renoncera à une partie des réparations, quitte à acquérir une influence décisive sur la vie économique allemande, en vue de combattre avec succès la concurrence industrielle de l’Allemagne En approuvant le rapport des experts, la bourgeoisie de l’Entente a adopté cette dernière solution qui dit en somme: moins de réparations, mais pas de rétablissement de la vie économique de l’Allemagne qui ferait d’elle une rivale dangereuse sur le marché mondial.

Supprimer sur le marché mondial la concurrence germanique[modifier le wikicode]

Si ce que nous venons d’avancer, est juste, nous comprendrons aisément les dispositions en partie très singulières du rapport des experts. L’hypothèque sur les chemins de fer et le contrôle des chemins de fer allemands signifie que les tarifs des chemins de fer allemands seront déterminés par l’Entente qui empêchera ainsi l’industrie allemande d’augmenter ses exportations grâce a des tarifs de transports avantageux comme c’était le cas en temps de paix.

L’hypothèque de 5 milliards sur l’industrie allemande signifie que les frais de la production industrielle augmenteront dans des proportions correspondantes.

Le contrôle exercé sur la Banque d’Emission signifie que c’est la bourgeoisie de l’Entente qui déterminera le montant des prédits à accorder à l’industrie, ainsi que les taux de l’intérêt. Tout cela dans le but d’entraver par la réduction des crédits industriels et l’augmentation du taux de l’intérêt, le développement de l’industrie allemande.

La conversion des 5 milliards de marks-or qui auront été versés à titre de réparations — somme qui pourrait éventuellement être augmentée — en valeurs allemandes signifie que la bourgeoisie de l’Entente qui c’était déjà emparée d’une quantité considérable de valeurs industrielles allemandes, se mettra par là même en possession directe des branches les plus importantes de l’industrie allemande.

Tout cela signifie que l’Allemagne sera placée sous le contrôle économique de la bourgeoisie de l’Entente, qui exercera ce contrôle de manière à se débarrasser de la concurrence industrielle de l’Allemagne et d’entrainer le développement de la vie économique allemande.

Les capitalistes anglais et français ont toujours argumenté de la façon suivante ;

« L’Angleterre a une dette de 150 milliards de marks-or à acquitter, alors que l’Allemagne a profité de la dépréciation de sa monnaie pour se débarrasser de ses dettes publiques. L’industriel anglais doit payer beaucoup plus d’impôts que l’industriel allemand et les salaires doivent être plus élevés en Angleterre qu’ils ne le sont en Allemagne. L’Angleterre et la France veulent par conséquent adopter dans la question des réparations une politique qui sauvegarde les intérêts des industries anglaise et française pour qu’elles puissent défendre leur place sur le marché mondial. Considérant désormais que l’ancien mode de payements de réparations — payements en devises étrangères sans qu’aucun compte fût tenu de l’état du change allemand — est absolument inopportun, car il obligerait l’Allemagne à augmenter ses exportations, le rapport des experts conclut : Moins de réparations, mais la domination absolue de la vie économique allemande dans le but d’écarter du marché mondial la concurrence allemande préjudiciable aux intérêts de la bourgeoisie de l’Entente.