Une politique d’impuissance, d’attentisme et de déclin

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Après une longue interruption, nous avons reçu le journal viennois Arbeiter-Zeitung [le Journal des Travailleurs]. Nous avons si peu de nouvelles d’Autriche que nous jugeons indispensable d’extraire de « A-Z » le plus possible pour caractériser la mentalité de la Social-démocratie autrichienne.

D’abord, quelques remarques préliminaires, «A-Z » était, avant la guerre, un des journaux socialistes de langue allemande les plus imprégnés de nationalisme. Le rédacteur en chef était Austerlitz, un des plus talentueux journalistes allemands, mais d’une grande étroitesse de vue. C’était un socialiste au sens strict du terme, avec la tête pleine des détails de la cuisine bureaucratico-policière autrichienne, toujours prêt à favoriser les intérêts « allemands » aux dépens des « conspirateurs » tchèques. La politique étrangère était confiée à Leitner, qui, « révisionniste », considérait le national-libéralisme prussien comme le sommet de la méditation humaine. Ajoutez à ces personnages : le vieux Pernerstorfer, vieux national-démocrate, venu au socialisme par suite d’un comportement déplacé envers les Habsbourg; le critique militaire, Hugo Schulz, que son « antimilitarisme » n’empêchait pas d’admirer en secret l’officier prussien; Renner, avocat de la monarchie bicéphale. Et vous avez là tout l’État-major de Arbeiter-Zeitung.

La conduite de la Social-démocratie allemande tenait les sociaux-nationalistes de Vienne dans certaines limites. Le 4 août les libéra de toute contrainte. Arbeiter-Zeitung qualifia de « grand jour de la nation allemande » la honteuse capitulation de la Social-démocratie devant le militarisme. La première période de la guerre fut pour le journal une période de nationalisme échevelé ! Un des articles – avant la bataille de la Marne – portait en titre : « A Paris ! »… Victor Adler était supérieur de beaucoup à ses proches et s’exaspérait des manifestations chauvines d’Austerlitz et de Leitner, mais, comme toujours, il se réconciliait avec eux.

De cet enthousiasme patriotique austro-hongrois, il ne reste plus que de pâles souvenirs. Dans tout le journal règne une atmosphère de dépression et de perspectives inquiétantes. L’article de fond du 2 mai parle de l’effondrement des espérances militaires dans les deux camps. La prolongation des opérations futures ne promet aucun changement décisif : les ressources suprêmes des deux camps sont mises en jeu, le point culminant de la crise militaire est déjà loin derrière. Le journal parle du désir universel de paix. Mais il n’y a pas une ligne sur la lutte pour la paix : ce n’est pas que la Censure s’en soit mêlée, mais parce que la pensée d’une politique indépendante du prolétariat, pendant la guerre, est absolument étrangère à l’esprit du journal. Pour lui, le rétablissement de la paix est lié à l’attitude des U.S.A. Il implore Wilson de ne pas abandonner la neutralité et de prendre l’initiative d’engager des pourparlers de paix.

Il y a aussi un article économique qui dessine le processus de l’épuisement des ressources dont l’effet se fera sentir après la guerre. « En vérité, il n’y a pas lieu de pavoiser. Le Capitalisme, dont le développement a conduit à l’Impérialisme et à la Guerre, devra montrer, à la fin de celle-ci, s’il a été capable de la supporter. Seulement, après la conclusion de la paix, nous découvrirons si la guerre n’a pas entraîné des convulsions économiques telles qu’elles amèneront une nouvelle ère qui sonnera l’heure du prolétariat. » Mais cette perspective révolutionnaire n’est, pour le journal, qu’une possibilité historique n’ayant aucun lien avec la réalisation du programme révolutionnaire.

Au contraire, ce qui caractérise la Social-démocratie autrichienne, c’est le refus absolu de toute activité politique. En dépit du fait que le Premier Mai fut jusqu’à la guerre l’occasion de grèves légalisées pratiquement, particulièrement à Vienne, la Social-démocratie abandonna cette position à la bourgeoisie et se borna à des réunions, le soir; par deux fois, seulement, les commissaires jugèrent bon d’interrompre les orateurs.

On sait que le Parlement autrichien ne s’est pas réuni une seule fois pendant la guerre. Cela libéra le Parti de la nécessité de prendre position par rapport aux questions politiques. Le journal se consacra presque entièrement à des problèmes de production et de secours aux familles des mobilisés. Mais dans ce domaine, il ne poursuit aucune campagne d’agitation. Il pense devoir coopérer avec l’Administration.

1917 sera pour l’Autriche l’année des pourparlers commerciaux. Le journal est d’avis que l’Autriche peut garantir son industrie intérieure et les marchés extérieurs en renonçant au protectionnisme agraire. Mais dans cet ordre d’idées, le journal viennois fait tous ses efforts pour « rééduquer » les industriels et leurs représentants universitaires.

Dans l’attente de la médiation de Wilson, A-Z considère, cela va de soi, qu’il « faut tenir jusqu’au bout ». Son patriotisme [du journal] manque toutefois de vigueur. S’il s’est débarrassé des plus grossiers « bobards », le caractère servile et passif du social-patriotisme n’y apparaît pas moins devant nous dans tout son dépouillement. Il est bien sûr qu’on ne peut juger de l’état d’esprit du prolétariat d’après Arbeiter-Zeitung, pas plus que d’après l’Humanité. Mais on ne peut imaginer une autre politique que celle de la Social-démocratie autrichienne pour mieux endormir le peuple, étouffer toute initiative de sa part et édulcorer ses protestations.

En France, Arbeiter-Zeitung sympathise avec le journal Le Populaire du Centre et le qualifie de « magnifique journal socialiste ». En Hollande, c’est le Parti de Troelstra qui jouit des sympathies d’Austerlitz. En Hollande, d’après les insinuations de A-Z, les groupes révolutionnaires agissent en faveur de l’Entente. Une correspondance de Berlin est très instructive quant à Liebknecht. Elle raconte que Liebknecht a fait toutes les déclarations pour aggraver son cas et pour empêcher toute intercession de la part du Parlement : « Ici, comme dans tout son comportement, Liebknecht donne l’impression d’un homme qui s’en va, consciemment, au-devant de son destin… Il a donné la preuve de son courage moral…, mais son sacrifice est totalement inutile, il est même nuisible, malheureusement. » En guise de conclusion, le journal conseille aux partisans de Liebknecht de « repenser » le plus vite possible.

Une politique d’impuissance, d’attentisme et de déclin… On ne peut rien bâtir sur des fondations aussi pourries. Il ne reste qu’à souhaiter qu’il se trouvera dans l’opposition assez de courage et d’esprit d’initiative pour aider le prolétariat autrichien à se libérer de la paralysie politique dont est cause le Parti officiel.