Une lacune !

De Marxists-fr
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Comme la presse russe n’est pas soumise à la censure républicaine qui défigure chaque jour les pages de Natchalo, nous pouvons nous faire une idée de ce qui se passe dans notre lointaine patrie en compulsant les différents journaux qu’ils soient de Moscou, de Samara et même de Tomsk. Nous n’avons pas la hardiesse de transposer les articles de ces journaux. La censure à Tomsk-la-sauvage n’a rien de commun avec le tempérament de la censure, au pays des quatre révolutions des droits de l’homme et du citoyen. Nous sommes donc obligés d’employer le matériel littéraire avec beaucoup de délicatesse et, si nous devons parler de scélératesses, le faire sur un ton sinon respectueux, du moins courtois. Que les lecteurs en tiennent compte ! Il nous faut constater que la montée du libéralisme en Russie est plus lente que ne le suppose l’Agence Havas.

Peu de temps après la nomination de Bobrinsky, on apprit celle, imminente, de… Pourichkiévitch ! Havas, en tant que spécialiste des questions étrangères, peut voir en lui du bois dont on fait les ministres. En Russie, tous savent que le député a béé de stupeur. C’était une erreur et Pourichkiévitch déclara « qu’en attendant » il avait décliné la nomination.

Une autre… soudaine… ! celle de Protopopov. Comme elle a dû encourager le zèle de Havas ! Mais le nouveau ministre s’est chargé lui-même de refroidir les enthousiasmes. « Mon programme ? En tant que membre d’un cabinet uni, je n’ai pas de programme particulier… Adressez-vous à Sturmer. » Sturmer a un programme… Ah!

Les hautes sphères du pouvoir ont fait un pas considérable sur le chemin du progrès. Elles ont créé un ministère de la Santé publique. Il y a quelques années, le professeur Rhein soupirait après un maroquin. Personne n’y prêtait attention et, au début de la guerre, on oublia le professeur. Mais lui ne s’est pas oublié. « Rhein triomphe », écrit Rietch Aucun gouvernement ne possède un ministère de la Santé publique. Mais, en Russie, il est indispensable, et le cabinet a décidé sa création, juste la mesure appropriée pour répondre à l’agression allemande. De son côté, le journal Novoe Vrémia écrit : « Ce nouveau ministère arrive comme des cheveux sur la soupe ! » Rousskoe Znamia renchérit : « Ce ne peut être qu’une chimère, mais combien de sacrifices matériels exigera-t-elle ? » Mais, en dépit de tous les grognements, le ministère existe pour montrer à Havas la voie du progrès russe.

L’article 87, ressorti à nouveau, sert non seulement la santé publique mais aussi sa moralité; pour renforcer celle-ci, Sturmer s’apprête à investir le clergé du droit de vote aux élections de la Douma municipale moscovite. Ainsi l’article 87 sera utilisé pour arracher l’autogestion de Moscou aux griffes du libéral-national Tchelnokov. Havas lui-même, si plein d’optimisme, ne verra pas en cette mesure un effort vers des objectifs meilleurs.

Simultanément le journal cité plus haut a ouvert un nouveau front et lance une offensive de polémique contre la Finlande. Chaque jour, le journal de Souvarine compare celle-ci au Canada et à l’Australie et l’accable du péché d’ingratitude.

On comprend sans difficulté ce que signifie cette attaque sur un front si peu fortifié. Novoe Vrémia est semblable au professeur Rhein qui ne gaspille pas sa poudre aux moineaux. Le journal part en guerre avec décision contre le mythe des tendances démocrato-républicaines des Alliés et de la conservation en Allemagne du culte monarchique. Sur ce point, Novoé Vrémia n’est pas d’accord avec Kropotkine. Il fournit des données historiques, suivant lesquelles les rois de Prusse ont privé du trône d’autres monarques. Le roi de Prusse a contribué à l’établissement de la République en France, non moins qu’un Jules Favre ou Gambetta.

On doit donc constater qu’en Russie un courant assez dur s’est stabilisé. Il trouve sa plus vive expression dans l’article 87 aussi bien que dans les rassurantes explications de Novoe Vrémia.

Mais il y a une lacune ! La production des biens de consommation… La carence de ceux-ci et la montée des prix ont réveillé Sturmer qui a pris l’affaire en mains. Les paysans, accablés par les réquisitions, ont le dos au mur. Bobrinsky s’est levé pour la défense de leurs intérêts. Il a déclenché contre lui de si violentes attaques que nous ne les reproduirons pas… Il suffit de savoir que Zemchine doit protéger le ministre de l’Agriculture. Le ministre de la Guerre Chouvaiev s’est prononcé pour l’abaissement du prix du blé, contrairement à Bobrinsky. Aussitôt les producteurs l’ont classé « à gauche ». Si on adoptait la proposition de faire baisser le prix du blé de 5 à 15 %, il paraîtrait que le ministre donnerait sa démission. « Bobrinsky est épuisé par ses efforts pour imposer des prix fermes et bientôt se retirera sur ses terres. » (.Rietch)

Les journaux n’arrêtent pas de parler de nouveau changement de cabinet. Tous les jours, on apprend des mises à la retraite. Le moment de la reprise des travaux de l’Assemblée approche. Dans les cercles parlementaires, « on discute ferme » sur l’opportunité d’une convocation avant-terme.

[Article totalement biffé par la censure.]