Une dénonciation (Neue Rheinische Zeitung, Février 1849)

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Cologne, le 22 février.

La Oberpostamts-Zeitung[1] avait pour ancien rédacteur un agent stipendié de Guizot (cf. la Revue rétrospective de Taschereau[2] ) et un agent non stipendié de Metternich, comme l'était d'ailleurs aussi, c'est bien connu, toute la poste des Tour et Taxis - cette institution nationale de loueurs de voitures qui pèse sur l'industrie allemande, s'épuise en vain dans sa lutte contre les chemins de fer, et dont l'existence après mars se comprend mal; sa suppression immédiate sera d'ailleurs un des premiers actes de la Constituante allemande qui doit s'ouvrir sous peu (il est notoire que l'Assemblée de l'église Saint-Paul n'a jamais été constituante) - cette institution n'a jamais été depuis Joseph II qu'un foyer autrichien d'espionnage. Dans ce journal impérial et délateur appartenant au ci-devant prince de Tour et Taxis, H. Malten, rédacteur responsable (dont l'ancienne Gazette rhénane[3] a déjà donné un portrait ressemblant) s'exprime de la façon suivante, prétendant tirer cette correspondance de Paris d'une feuille que nous ne lisons pas[4] :

« Nous devons confesser pour la honte du nom allemand que ce sont notamment des Allemands qui créent parmi nous le désordre le plus formidable, pour ne pas dire le plus éhonté. Il existe ici un bureau spécial des Rouges, d'où tous les articles incendiaires que l'on puisse trouver contre l'ordre de la société humaine, sont expédiés, avec une très grande rapidité, dans les provinces. Il ne suffit pas que des Allemands participent pour la France à cette affaire peu glorieuse. On leur doit aussi qu'une propagande désastreuse étende sans cesse ses filets sur l'Allemagne. Toute la vallée allemande du Rhin est inondée sur toute sa longueur par les papiers révolutionnaires sortis du chaudron des sorcières de cette même cuisine révolutionnaire; la Nouvelle Gazette rhénane pourrait dire bien des choses à ce sujet, si elle ne trouvait pas bon d'observer soigneusement le silence sur ce point. Dans l'Oberland badois, les classes inférieures de la population sont travaillées depuis des mois à partir de Paris. Les liaisons des démocrates locaux avec les réfugiés en Suisse sont aussi un fait. »

Nous remarquons à propos de cette misérable dénonciation. 1°) que nous n'avons jamais dissimulé nos liaisons avec les démocrates français, anglais, italiens, suisses, belges, polonais, américains et autres et, 2°) que nous avons coutume de fabriquer nous-mêmes, ici à Cologne, les « papiers révolutionnaires » dont nous inondons certes « la vallée allemande du Rhin » (et pas elle seulement). Nous n'avons pas besoin pour cela de l'aide de Paris, nous sommes habitués depuis plusieurs années à donner à nos amis parisiens plus que nous n'en recevons.

  1. La Frankfurter Oberpostamts-Zeitung parut de 1617 à 1866 à Francfort-sur-le-Main. Elle était propriété des princes de Tour et Taxis qui avaient le privilège de la poste dans une série d'États allemands. Pendant la révolution de 1848 elle fut l'organe du pouvoir central provisoire du Vicaire d'empire et du ministre impérial. Issu d'une famille italienne milanaise, chassée par les Visconti, François de Tour et Taxis fonda, en 1516, le premier service de poste entre Vienne et Bruxelles. Son descendant, Léonard de Tour et Taxis fut nommé en 1595 maître de poste général de l'empire. En 1624, Lamoral de Tour et Taxis fut créé comte d'empire. Eugène-AIexandre de Tour et Taxis fut créé prince en 1695 par l'empereur Léopold I°. La famille a été médiatisée en 1801; elle est partagée depuis en deux lignes, vivant l'une en Bavière et l'autre en Autriche.
  2. Revue rétrospective ou Archives secrètes du dernier Gouvernement , 1830-1848, éditée par J. Taschereau; elle parut mensuellement de 1833 à 1838 et irrégulièrement en 1848 à Paris. Le n° 3 de l'année 1848 contenait un relevé des fonds secrets du ministère des Affaires étrangères de la monarchie de juillet pour les années 1840-1842 et 1844-1847. La pension annuelle de Karl Peter Berly, agent secret du gouvernement Guizot et rédacteur à la Frankfurter Oberpostamts-Zeitung y était mentionnée.
  3. Rheinische Z eitung für Politik, Handel und Gewerbe, quotidien qui parut à Cologne du 1° janvier 1842 au 31 mars 1843. Le journal avait été fondé par des représentants de la bourgeoisie qui s'opposaient à l'absolutisme prussien. Quelques « Jeunes Hégéliens » y collaborèrent. À partir d'avril 1842 Karl Marx devint rédacteur de la Rheinische Zeitung et il en devint le rédacteur en chef à partir du mois d'octobre de la même année. Le journal publia aussi une série d'articles de Friedrich Engels. Sous la direction de Karl Marx la Rheinische Zeitung prit un caractère démocratique et révolutionnaire de plus en plus marqué. Cette tendance de la Rheinische Zeitung dont la popularité croissait continuellement en Allemagne, provoqua inquiétude et mécontentement dans les milieux gouvernementaux. La presse réactionnaire se déchaîna furieusement contre elle. Le 19 janvier 1843, le gouvernement prussien prit un décret qui interdisait la Rheinische Zeitung à partir du 1° avril 1843 et la soumettait jusque-là à une censure particulièrement rigoureuse et sévère.
  4. Dans le n° 44 de la Frankfurter Oberpostamts-Zeitung du 20 février 1848, fut publiée la correspondance de Paris, parue dans le journal Die deutsche Reform.