Une conversation avec Vladimir Ilitch

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Un vieil ouvrier du nom de Roudakov, que les affaires avaient amené de Prokopievsk, ville du bassin de Kouznetsk, est venu me voir l’autre jour. Dans les années 90, alors qu’il travaillait à Petersbourg, à la barrière de Narva, il connaissait de près le camarade Babouchkine, et c’était l’un des ouvriers les plus consciencieux, les plus actifs de son temps. C’était un de mes élèves de l’école du dimanche[1]. Il y avait 40 ans que nous ne nous étions pas revus.

De passage à Moscou, il vint donc me voir. Nous fûmes très émus tous les deux. Il se hâtait de raconter sa vie : il avait été emprisonné, puis déporté en Sibérie, où il s’était fixé après 1905. « Mon fils est ingénieur, ma fille termine ses études supérieures, nous sommes tous communistes. » Après un instant de silence, il reprit, toujours ému : « Tout ce dont nous avons parlé alors, est en train de se réaliser. »

Nous étions si bouleversés, qu’il oublia de me laisser son adresse. Oui, nous, les vieux, nous envisageons nos réalisations d’une manière différente. C’est un sentiment tout à fait particulier qui s’éveille quand on voit se matérialiser ce à quoi on avait rêvé et pour quoi on avait lutté durant des années.

La joie qu’éprouve notre génération, c’est-à-dire ceux qui avaient connu intimement Lénine et travaillé avec lui, est mêlée d’un cuisant regret à l’idée que Vladimir Ilitch n’est plus là pour le voir, qu’il s’est éteint prématurément. Or, il ne pouvait en être autrement. Son cerveau travaillait sans cesse avec intensité. Je me souviens qu’au début de la dernière maladie qui devait l’emporter, les médecins prescrivirent un régime sévère, exigeant qu’il se couchât deux heures l’après-midi. Vladimir Ilitch commença par se soumettre, mais il se montrait sceptique à l’égard des ordonnances de ses médecins :

« Ils ne peuvent tout de même pas m’empêcher de penser », dit-il un jour.

En effet, qu’il fût au lit, en promenade, ou qu’il parlât de simples faits de la vie courante, il pensait toujours à la cause à laquelle il avait consacré toute sa vie, toutes ses forces, chaque instant de son existence.

En se promenant, Vladimir Ilitch aimait à parler de ce qui occupait son esprit à ce moment-là. Au cours de notre vie, nous avions pris l’habitude, le jour de son anniversaire, de faire une longue randonnée dans les bois, et tout en marchant il parlait de ce qui l’intéressait le plus sur le moment. L’air printanier, la forêt qui commençait à se réveiller, les bourgeons prêts à éclore, tout cela créait une ambiance particulière, stimulait la pensée, incitait à jeter un coup d’œil dans l’avenir. Une de ces conversations, qui date des dernières années de sa vie, m’est restée dans la mémoire.

Personne n’ignore l’importance que Lénine attachait à la science. Tout le monde se souvient du discours qu’il prononça au IIIe Congrès des Soviets de Russie, où il disait notamment :

« Auparavant, tout l’esprit humain, tout le génie de l’homme ne créait que pour donner aux uns tous les biens de la technique et de la culture, et priver les autres de l’indispensable, de l’instruction et du progrès. Maintenant, toutes les merveilles de la technique, toutes les conquêtes de la culture vont devenir le patrimoine du peuple entier et, désormais, jamais l’esprit ni le génie humains ne seront transformés en moyens d’exploitation. »

Cela concernait notre pays des Soviets. Or, la bourgeoisie des pays capitalistes utilise de plus en plus les réalisations de la technique et de la science à des fins impérialistes. Elle cherche à exploiter chaque nouvelle invention pour rendre la prochaine guerre, qu’elle souhaite obstinément, encore plus dévastatrice que la précédente et en faire un ouragan destructeur.

Pour pouvoir résister à l’agression, nous devons préparer activement la défense du pays. Tout doit être mis en œuvre dans ce but. Notre pays le faisait déjà du vivant de Lénine et il poursuit cette tâche maintenant, sous la conduite du parti. Nous sommes prêts à toute éventualité. Seule la victoire du socialisme dans le monde entier mettra fin aux tentatives de déclencher une nouvelle guerre.

Et voilà que je me souviens d’une conversation avec Vladimir Ilitch à ce sujet, pendant une promenade le jour de son anniversaire. Ce fut d’abord une causerie à bâtons rompus ; quand nous eûmes pénétré au cœur de la forêt, il se tut, mais au bout de quelque temps, à propos d’une invention, il parla du progrès de la science et de la technique, qui rendra la défense de notre pays si puissante que toute attaque contre lui deviendra impossible. Puis il aborda la question du pouvoir et dit que lorsque le pouvoir est entre les mains de la bourgeoisie, elle en use pour opprimer les travailleurs, tandis que le prolétariat conscient et organisé s’en sert pour supprimer l’exploitation et mettre fin aux tueries. Vladimir Ilitch baissait de plus en plus la voix, il chuchotait presque, comme cela lui arrivait, en parlant de ses rêves, de quelque chose qui lui tenait à cœur.

Cette conversation reflétait bien ses opinions générales. Mais comme je regrette de ne pas avoir une bonne mémoire, pour me rappeler tous les détails.

Pendant les années qui se sont écoulées depuis cet entretien, grâce à la politique de notre parti, notre pays s’est enrichi d’une technique puissante.

Pendant ces années, les spécialistes, tous les travailleurs de notre pays ont fait du chemin ; leur conscience et leur capacité de lutte ont grandi.

Nous connaissons le rôle de Vladimir Ilitch dans le travail qui se poursuit actuellement chez nous. Il avait donné une grande impulsion pour de longues années.

  1. Dans les années 1893-1895, Kroupskaïa donnait des cours d’alphabétisation dans les faubourgs ouvriers de Saint-Pétersbourg.