Une « lettre » de Rudolf Klement ? 1er août 1938

---

Ajouter une sous-page à ce texte

Lisez l’aide pour comprendre l’utilisation.

 

Ce matin, 1^er août, j’ai reçu une lettre, apparemment de Rudolf Klement, en allemand. La lettre est datée du 14 juillet et doit être arrivée via Paris et New York. L’écriture ressemble sans aucun doute à celle de Klement mais a un caractère très inhabituel, maladif et fébrile. Elle est signée « Frédéric ». Quant à son contenu, c’est l’un des documents les plus fantastiques que j’aie jamais eu entre les mains. Pour commencer, l’en-tête. Toutes les lettres précédentes de Klement, y compris celles qui ont été écrites il y a quelques jours, commençaient par les mots « cher camarade » ou « cher L.D. ». Cette dernière lettre commence par les mots « M. Trotsky ». Du début à la fin, cette lettre présente un tas incohérent d’accusations contre la IV^e Internationale, contre moi personnellement et contre mon défunt fils.

Ces accusations sont de deux types : la première — clairement dictée par le G.P.U. —, l’inévitable « bloc » avec le fascisme et le lien avec la Gestapo ; la seconde — une série d’accusations concernant des épisodes isolés dans la vie interne de la IV^e Internationale qui semblent une tentative d’expliquer le changement brutal de la position de Klement.

Ce qui est le plus frappant dans le contenu de cette lettre, dans tous ses détails, est en contradiction directe et nette avec des centaines de lettres écrites par le même Klement jusqu’à il y a très peu de temps, à moi personnellement et des amis mutuels. La lettre est écrite comme si le passé n’existait pas du tout. Seule une personne physiquement et moralement pieds et poings liés pourrait écrire cela et encore seulement sous la dictée d’autres personnes, totalement ignorantes du passé de Klement, qui voudraient l’utiliser à leurs fins.

Théoriquement, on peut imaginer que Klement a perdu la tête. Mais en ce cas la question reste de savoir pourquoi son délire devrait contenir les éléments des « accusations » bien connues du G.P.U. Nous ne devons pas un instant oublier que Klement connaissait très bien la vie et le travail de la IV^e Internationale, qu’il était spécialement indigné de ces « accusations » et que son indignation a trouvé une expression inimitable dans des dizaines de lettres. Klement a pris une part active dans l’entreprise pour démasquer les procès de Moscou et la marque de ce travail, là encore, est conservée dans de nombreux documents et lettres.

Il est cependant très probable que la lettre a été écrite dans les griffes du G.P.U. et que Klement, par peur pour sa vie ou celle d’êtres chers, ou finalement sous l’influence de drogues, a accepté d’écrire ce qu’on lui a dicté, sans se soucier de corriger les absurdités évidentes. Il est même possible que Klement les ait incluses de son plein gré afin de discréditer d’avance le complot du G.P.U. En tout cas, cette lettre qui m’a été écrite et envoyée, atteste que cette affaire aura une suite. La disparition même de Klement demeure bien entendu le principal mystère. Où est-il? Que lui est-il arrivé? La lettre ne porte aucune indication de l'endroit où elle a été postée. La lettre, apparemment, est passée de ville à ville; l’enveloppe intérieure ne comporte que mes initiales. J’essaierai bien sûr d’obtenir les informations nécessaires sur l’itinéraire postal de cette lettre.

La lettre se termine par ces mots : « Je n’ai pas l’intention de prendre ouvertement position contre vous ». Inutile de dire que je souhaite plus que tout que le malheureux Klement puisse parler et prendre « ouvertement » position... s’il est en vie. J’envoie immédiatement une copie photo-statique de la lettre pour les autorités françaises et la commission de New York de John Dewey. Espérons qu’on trouvera la solution de cette mystérieuse affaire et que lumière complète sera faite sur elle.