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Special pages :
Un meeting ouvrier à Londres (1862)
Auteur·e(s) | Karl Marx |
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Écriture | février 1862 |
Publié dans Die Presse, 2 février 1862.
Comme on le sait, la classe ouvrière n'est pas représentée au Parlement, bien qu'elle représente une partie constitutive de la société si prépondérante qu'aucune paysannerie ne conserve la mémoire d'avoir occupé une telle position. Bien qu'absente du Parlement, elle n'est pas sans influence politique. Il n'est pas d'innovation importante, de mesure décisive qui ait jamais pu être introduite en Angleterre sans cette pression de l'extérieur, soit que l'opposition en ait eu besoin contre le gouvernement, soit que le gouvernement en ait eu besoin contre l'opposition. Par pression de l'extérieur, l'Anglais entend les grandes manifestations populaires extra-parlementaires, qui naturellement ne peuvent être organisées sans l'active participation de la classe ouvrière.
Dans sa guerre anti-jacobine, Pitt sut utiliser les masses contre les whigs. L'émancipation catholique, le bill de réforme, l'abolition des lois céréalières, le bill des dix heures, la guerre contre la Russie, le rejet de la loi sur la conspiration de Palmerston[1], chacune de ces mesures a été le fruit de violentes manifestations extra-parlementaires où la classe ouvrière a tantôt été artificiellement aiguillonnée, tantôt a agi spontanément, parfois a été l'acteur conscient du drame, parfois n'en était que le chœur; ici, elle a joué le rôle principal, là, les seconds rôles, suivant les circonstances. Ceci étant, l'attitude de la classe ouvrière anglaise, en ce qui concerne la guerre civile américaine est, d'autant plus frappante.
La misère, produite par l'arrêt des fabriques ou la diminution des heures de travail motivés par le blocus des États esclavagistes est affreuse et augmente de jour en jour parmi les ouvriers des régions manufacturières du nord de l'Angleterre. Les autres fractions de la classe ouvrière ne souffrent pas au même point, mais elles souffrent néanmoins beaucoup de la réaction de la crise de l'industrie cotonnière sur les autres branches d'industrie, soit parce que les exportations de leurs produits en direction du nord de l'Amérique ont diminué par suite du tarif Morrill, soit parce que les exportations vers le Sud sont ruinées par le blocus. La question de l'intervention anglaise en Amérique est donc devenue en ce moment une question de pain quotidien pour les ouvriers. Cette pression est encore renforcée du fait que leurs « supérieurs naturels » ne dédaignent aucun moyen pour exciter leur colère contre les États-Unis. Le seul journal ouvrier encore existant et largement diffusé - le Reynolds's Weekly Newspaper - a été acheté, il y a six mois, par les bourgeois, afin de renouveler chaque semaine, en de violentes diatribes, le ceterum censeo[2] de l'intervention anglaise aux États-Unis.
La classe ouvrière se rend donc parfaitement compte que le gouvernement ne guette qu'un cri du bas, la moindre pression de l'extérieur en faveur de l'intervention pour mettre fin au blocus américain et à la misère anglaise. Dans ces conditions, il faut admirer l'obstination avec laquelle la classe ouvrière se tait, ou rompt le silence pour élever sa voix contre l'intervention et pour les États-Unis. C'est là une preuve, nouvelle et brillante de l'indestructible valeur des masses ouvrières anglaises, valeur qui représente le secret de la grandeur de l'Angleterre et qui - pour parler le langage hyperbolique de Mazzini - a fait apparaître le simple soldat anglais comme un demi-dieu pendant la guerre de Crimée - et en d'autres occasions.
Pour illustrer la « politique » de la classe ouvrière, voici un compte rendu d'un grand meeting ouvrier, qui s'est tenu hier à Marylebone, l'un des districts les plus populaires de Londres :
M. Steadman, le président, ouvrit la réunion en faisant remarquer qu'il convenait de prendre une décision sur l'accueil que le peuple anglais devait réserver à MM. Mason et Slidell : « Il s'agit de considérer si ces messieurs ont fait le voyage en Angleterre pour libérer les esclaves de leurs chaînes ou pour y forger un anneau de plus. »
M. Yates : « En cette occasion, la classe ouvrière ne doit pas garder le silence. Les deux personnages qui traversent l'océan Atlantique pour venir ici, sont les agents d'États esclavagistes et tyranniques. Ils se trouvent en rébellion ouverte contre la Constitution légale de leur pays et arrivent ici pour décider notre gouvernement à reconnaître l'indépendance des États esclavagistes. Il est du devoir de la classe ouvrière d'élever à présent la voix, car le gouvernement ne doit pas croire que nous suivons sa politique extérieure avec indifférence. Nous devons montrer que l'argent dépensé par le peuple anglais pour l'émancipation des esclaves ne doit pas être gaspillé inutilement. Si notre gouvernement avait agi honnêtement, il aurait appuyé de tout cœur les États du Nord. dans sa lutte pour écraser cette terrible rébellion. »
Après avoir défendu longuement les États du Nord et fait observer que « la violente tirade de M. Lovejoy avait été provoquée par les calomnies de la presse anglaise », l'orateur proposa la motion-suivante :
« Cette assemblée décide que les agents des rebelles - Mason et Slidell - qui viennent de quitter l'Amérique pour rejoindre l'Angleterre, sont absolument indignes des sympathies morales de la classe ouvrière anglaise, étant donné que ce sont des propriétaires d'esclaves, ainsi que les agents déclarés d'une faction despotique, qui, en ce moment même, est en rébellion contre la République américaine et est l'ennemie jurée des droits sociaux et politiques de la classe ouvrière de tous les pays. »
M. Whynne soutint cette motion, mais, dit-il, il allait de soi qu'au cours de leur visite à Londres, il convenait d'éviter toute insulte personnelle à l'égard de MM. Mason et Slidell.
M. Nichols - un habitant « de l'extrême nord des États-Unis », comme il se présenta lui-même, en fait délégué comme avocat du diable à ce meeting par MM. Yancey et Mann - s'opposa, lui aussi, à la motion : « je suis ici, parce qu'il y règne la liberté de parole. Dans notre pays, le gouvernement ne permet plus à quiconque depuis trois mois d'ouvrir la bouche. La liberté n'est pas étouffée seulement au Sud, mais encore au Nord. La guerre a de nombreux adversaires au Nord, mais ils n'osent ouvrir la bouche. Rien moins que deux cents journaux sont interdits ou ont été détruits par la populace. Les États du Sud ont le même droit de faire sécession d'avec le Nord, que les États-Unis de se séparer jadis de l'Angleterre. »
Malgré la loquacité de M. Nichols, la première motion fut adoptée à l'unanimité. Mais, il reprit la parole : « Si vous reprochez à MM. Mason et Slidell d'être des esclavagistes, la même chose vaut pour Washington, Jefferson, etc. »
M. Beales réfuta Nichols en détail et déposa ensuite une seconde motion.
« Étant donné les efforts mal déguisés du Times et, d'autres journaux qui induisent en erreur l'opinion publique anglaise sur les affaires américaines, veulent nous entraîner sous divers prétextes dans une guerre avec des millions de nos frères, par le sang, et exploitent les actuelles difficultés de la République pour calomnier les institutions démocratiques, la présente assemblée considère qu'il est du devoir particulier des ouvriers qui ne sont pas représentés au sénat de la nation, d'exprimer leurs sympathies pour les États-Unis dans leur lutte gigantesque pour le maintien de l'Union; de dénoncer la scandaleuse malhonnêteté des avocats de l'esclavagisme que sont le Times et autres journaux aristocratiques apparentés; de formuler de la manière la plus nette son opposition à la politique d'intervention dans les, affaires des États-Unis, et son appui a un règlement d'éventuels litiges par des commissaires ou tribunaux d'arbitrage choisis par les deux parties; de condamner la politique de guerre de la presse des escrocs de la bourse, et de manifester notre plus chaude sympathie pour les efforts des abolitionnistes en vue de régler définitivement la question des esclaves. »
Cette motion fut adoptée à l'unanimité ainsi que la proposition finale, à savoir :
« de faire parvenir, par l'intermédiaire de K Adams, au Gouvernement américain une copie des résolutions adoptées, qui expriment les sentiments et l'opinion de la classe ouvrière d'Angleterre ».
- ↑ Le 8 février 1858, à la demande du Gouvernement français qui reprochait à l'Angleterre d'accorder le droit d'asile à des « criminels politiques », Palmerston déposa à la Chambre un projet de loi sur les conspirateurs étrangers. Le 12 février, ce projet de loi fut repoussé par les Communes.
- ↑ L'expression Ceterum censeo Carthaginem esse delendam signifie : « Au reste, j'estime que Carthage doit être détruite. » C'est par cette formule que Caton l'Ancien ponctuait systématiquement ses discours au Sénat romain, pour marquer sa volonté d'une guerre contre Carthage.