Un grand succès. Sur la conférence de la IVe Internationale

De Marxists-fr
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Au moment où ces lignes paraîtront dans la presse, la conférence de la IVe Internationale aura vraisemblablement déjà terminé ses travaux. La tenue de cette conférence représente un grand succès. La tendance révolutionnaire intransigeante, soumise à des persécutions que n’a jamais enduré aucune tendance politique dans l’histoire mondiale, a de nouveau montré sa force. Ayant surmonté tous les obstacles, elle a tenu sous les coups de ses puissants ennemis, son assemblée internationale. Ce fait est le témoignage irréfutable de la profonde vitalité et de l’inébranlable obstination des bolcheviks-léninistes de tous les pays.

Le succès de la conférence a été rendu possible avant tout par l’esprit d’internationalisme révolutionnaire qui nourrit toutes nos sections. II faut, en fait, accorder un prix très élevé à la liaison internationale de l’avant-garde prolétarienne pour réunir un état-major révolutionnaire mondial, alors que l’Europe et le monde entier vivent dans l’attente de la guerre qui approche. Les fumées des haines nationales et des persécutions raciales constituent actuellement l’atmosphère de notre planète. Le fascisme et le racisme ne sont que l’expression extrême de cette bacchanale de chauvinisme qui cherche à surmonter ou à étouffer les contradictions de classes insurmontables. La renaissance du social-patriotisme en France et dans d'autres pays, plus exactement ses nouvelles manifestations ouvertes et sans vergogne, appartiennent à la même catégorie que le fascisme, adaptée seulement à l’idéologie démocratique ou à ses débris.

Dans le même ordre d’événements il y a la célébration officielle du nationalisme en U.R.S.S. dans les meetings, la presse, les écoles. Il ne s’agit nullement d’un prétendu « patriotisme socialiste », c’est-à-dire de la défense des conquêtes d’Octobre contre l’impérialisme. Non, il ne s’agit que de renouer avec les vieilles traditions patriotiques de la vieille Russie. La tâche, ici aussi, consiste à créer des valeurs supra-sociales, au- dessus des classes, pour mieux pouvoir ainsi discipliner les travailleurs et les soumettre à l’avide canaille bureaucratique. L’idéologie officielle du Kremlin actuel fait appel aux exploits du prince Alexandre Nevsky, à l’héroïsme des armées de Souvorov- Rymnikhsky ou de Koutouzov-Smolensky tout en fermant les yeux sur le fait que cet « héroïsme » reposait sur la servitude et l’ignorance des masses populaires, et que c’est précisément pour cette raison que la vieille armée russe ne l’emportait que quand elle combattait des peuples asiatiques plus arriérés encore ou des États limitrophes d’Occident, faibles et décadents. Confrontées à des pays européens décadents, les armées tsaristes étaient inexistantes. Il est évident qu’au Kremlin on a déjà enterré l’expérience de la guerre impérialiste, de même qu’on a oublié ce fait non négligeable que la révolution d’Octobre est directement issue du défaitisme. Mais qu’importe tout cela aux thermidoriens et aux bonapartistes ? Il leur faut des fétiches nationaux. Alexandre Nevsky doit venir au secours de Nicolas Ejov.

La théorie du socialisme dans un seul pays, qui liquide le programme de la lutte révolutionnaire internationale du prolétariat, ne pouvait manquer de se terminer par une vague de nationalisme en U.R.S.S. et d’engendrer une vague correspondante dans les partis « communistes » des autres pays. Il y a seulement deux ou trois ans, on affirmait que les sections de l’Internationale communiste ne devaient soutenir leur gouvernement que dans les États dits « démocratiques », qui étaient prêts à soutenir l’U.R.S.S. contre le fascisme. La tâche de la défense de l’État ouvrier devait servir de justification au social-patriotisme. Aujourd’hui, Browder, qui n’est ni plus ni moins prostitué que les autres dirigeants du Stalintern, vient de déclarer devant la commission sénatoriale d’enquête qu’en cas de guerre entre les États-Unis et l’U.R.S.S., lui, Browder, et son parti, se rangeraient du côté de leur patrie démocratique. Il est fort vraisemblable que cette réponse lui ait été soufflée par Staline. Mais cela ne change rien à l’affaire. La trahison a sa logique propre. Engagée dans la voie du social-patriotisme, la IVe Internationale est manifestement en train d’échapper aux mains de la clique du Kremlin. Les « communistes » sont devenus des social- impérialistes et ne se distinguent de leurs alliés et concurrents « social-démocrates » que par un plus grand cynisme.

La trahison a sa logique. La IIIe Internationale, après la IIe, est définitivement morte en tant qu’internationale. Elle n’est plus capable de prendre quelque initiative que ce soit dans le domaine de la politique mondiale du prolétariat. Ce n’est assurément pas un hasard si, après quinze années de démoralisation progressive, l’Internationale communiste a révélé sa putréfaction interne définitive au moment de l’approche de la guerre mondiale, c’est-à-dire précisément au moment où le prolétariat a, plus que jamais, besoin de sa cohésion révolutionnaire internationale.

L’Histoire a accumulé devant la IVe Internationale des monstrueux obstacles. La tradition morte se dresse contre la révolution vivante. Après un siècle et demi, le rayonnement de la Grande Révolution française sert toujours à la bourgeoisie et à son agence petite-bourgeoise — la IIe Internationale — pour fléchir et paralyser la volonté révolutionnaire du prolétariat. La IIIe Internationale exploite maintenant dans le même dessein les traditions incomparablement plus fraîches et plus puissantes de la révolution d’Octobre. Le souvenir du premier soulèvement victorieux du prolétariat contre la démocratie bourgeoise sert, dans les mains des usurpateurs, à préserver la démocratie bourgeoise du soulèvement du prolétariat. Devant l’approche de la nouvelle guerre impérialiste, les organisations social-patriotiques ont réuni leurs forces à celles de l’aile gauche de la bourgeoisie, sous l’étiquette de Front populaire qui ne représente rien d’autre qu’une tentative de la bourgeoisie agonisante de se subordonner de nouveau le prolétariat, comme la bourgeoisie révolutionnaire se l’était subordonné à l’aube du capitalisme. Ce qui fut autrefois un phénomène historique progressiste nous apparaît maintenant comme une ignoble farce réactionnaire. Mais si les « Fronts populaires » sont impuissants à guérir un capitalisme pourri jusqu’à la moelle et incapables même de tenir en échec l’offensive militaire du fascisme — l’exemple espagnol est lourd de signification symbolique —, ils sont malgré tout assez puissants pour semer des illusions dans les rangs des travailleurs, paralyser et dissoudre leur volonté de combat et créer par là- même les plus grandes difficultés dans la voie de la IVe Internationale.

La classe ouvrière, surtout en Europe, est encore en plein recul, ou, pour mieux dire, en attente. Les défaites sont encore trop fraîches et leur série loin d’être terminée. C’est en Espagne qu’elles ont eu la forme la plus grave. C’est dans ces conditions que se développe la IVe Internationale. Quoi d’étonnant à ce que sa croissance soit plus lente que nous ne le voudrions? Les dilettantes, les charlatans ou les imbéciles qui sont incapables de pénétrer dans la dialectique des flux et reflux historiques, ont tenté plus d’une fois de rendre leur verdict : « Les idées des bolcheviks-léninistes sont peut-être justes, mais ils ne sont pas capables de construire une organisation de masse. » Comme si l’on pouvait construire une organisation de masse dans n’importe quelles conditions ! Comme si un programme révolutionnaire ne nous obligeait pas, en période de réaction, à rester en minorité et à nager contre le courant dans une époque de réaction ! Il ne vaut rien, le révolutionnaire qui mesure à sa propre impatience les rythmes de son époque. Jamais encore la voie du mouvement révolutionnaire n’a été encombrée d’obstacles aussi monstrueux qu’actuellement, à la veille d’une nouvelle époque de secousses révolutionnaires formidables, Une appréciation marxiste exacte de la situation impose la conclusion que, malgré tout, nous avons remporté dans les dernières années d’inappréciables succès.

« L’Opposition de gauche » russe est apparue il y a quinze ans. Le véritable travail sur l’arène internationale ne dure pas encore depuis dix ans. La préhistoire de la IVe Internationale se divise naturellement en trois étapes. Durant la première, l’Opposition de gauche comptait encore sur la possibilité de régénérer l’Internationale communiste dont elle se considérait comme la fraction marxiste. La capitulation révoltante de l’Internationale communiste en Allemagne, tacitement acceptée par toutes ses sections, a posé ouvertement la question de la nécessité de la construction de la IVe Internationale. Cependant, nos organisations numériquement faibles, nées à travers une sélection individuelle dans le processus de la critique théorique, presque de l’extérieur du mouvement ouvrier réel, n’étaient pas encore prêtes à agir de façon indépendante. La deuxième période se caractérise par nos efforts pour trouver à ces groupes propagandistes isolés un milieu politique réel, même au prix de leur renoncement temporaire à leur indépendance formelle. L’entrée dans les partis socialistes a immédiatement grossi nos rangs, bien que les gains quantitatifs n’aient pas été aussi importants que l’on aurait pu s’y attendre. Mais cette entrée a signifié une étape extrêmement importante dans l’éducation politique de nos sections qui, pour la première fois, se sont mesurées, et ont vérifié leurs idées face aux réalités de la lutte politique et à ses exigences. Le résultat de l’expérience ainsi réalisée a été que nos cadres ont grandi d’une bonne tête. C’est aussi un acquis non négligeable que nous nous soyions séparés d’incorrigibles sectaires, brouillons ou petits malins, qui sont tout prêts à rejoindre tout mouvement nouveau à ses débuts pour le discréditer et le paralyser dans la mesure de leurs forces.

Les étapes de développement de nos sections dans les divers pays ne peuvent bien entendu pas coïncider chronologiquement. Mais on peut, malgré tout, considérer comme marquant la fin de la seconde période la fondation du Socialist Workers Party américain. Dès maintenant, la IVe Internationale se trouve placée devant les tâches d’un mouvement de masse. Le reflet de ce tournant considérable, c’est le Programme de Transition. Son importance n’est pas de donner un plan théorique a priori, mais de tirer le bilan de l’expérience déjà accumulée des sections nationales et d'ouvrir sur la base de cette expérience une perspective internationale plus large.

L’adoption de ce programme — préparée et assurée par une longue discussion préalable ou, plus exactement, par toute une série de discussions — constitue notre acquis le plus important. La IVe Internationale est maintenant l’unique organisation internationale qui, non seulement prenne clairement en compte les forces dirigeantes de l’époque impérialiste, mais encore qui soit armée d’un système de revendications transitoires capables de rassembler les masses dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Nous sommes loin de nous abuser nous-mêmes. La disproportion entre nos forces actuelles et nos tâches de demain nous apparaît beaucoup plus clairement qu’à nos critiques. Mais la dure et tragique dialectique de notre époque travaille pour nous. Poussées au dernier degré de l’exaspération et de la révolte, les masses ne trouveront pas d’autre direction que celle que leur propose la IVe Internationale.