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Special pages :
Tiré de l'oeuvre littéraire posthume de Karl Marx
| Auteur·e(s) | Rosa Luxemburg |
|---|---|
| Écriture | 8 janvier 1905 |
Référence 366 p. 882 de JP Nettl dans sa biographie : La Vie et l'oeuvre de Rosa Luxemburg, le titre en français étant repris de cette référence.
Traduit de l'allemand par Lucie Roignant (2012).
Vorwärts numéro 7, supplément 3 pages 1-2
Un quart de se sera depuis la mort de Karl Marx, et nous n'avons toujours pas épuisé la mine de son formidable travail intellectuel. L'oeuvre scientifique que Marx a entreprise dans la première moitié du XIXe siècle nourrit encore le xx , et - il faut l'avouer - depuis les premières productions intellectuelles du jeune génie, que Mehring nous a récemment rapportées dans son « Héritage», jusqu'à la publication par Kautsky des dernières œuvres encore inédites, rien dans le domaine de l'économie politique, voire des sciences sociales, n'a encore paru qui puisse rivaliser de profondeur et d'universalité de la pensée avec ces travaux. C'est encore une fois le défunt Marx qui apporte au prolétariat mondial en lutte des impulsions nouvelles et des idées directrices fécondes, et c'est encore le défunt Marx qui, comme s'il était bien vivant, se promène avec un sourire victorieux entre les larves des sciences sociales bourgeoises. Comme nous le confie Kautsky dans son avant-propos, ce sont assurément des circonstances purement extérieures et hasardeuses qui ont empêché d'abord Engels puis Kautsky lui-même d'éditer cette œuvre de Marx, pourtant écrite au début des années 1860 et dont Engels avait déjà donné un aperçu en 1885. Mais que cette œuvre, qui est restée cachée pendant presque un demi-siècle, n'ait aujourd'hui nullement vieilli , qu'elle ne soit ni dépassée ni superflue, qu'elle puisse être fondue telle quelle dans la circulation intellectuelle de notre époque comme de l'or précieux de la frappe la plus récente - voilà qui n'est absolument pas dû au hasard. C'est une œuvre historique - une histoire de l'économie politique bourgeoise, mais c'est justement pour cela qu'elle n'a pas vieilli ; car l'économie politique bourgeoise a beau avoir eu une histoire jadis - celle que Marx dissèque rigoureusement- , elle n'en a plus eu depuis. Son histoire, comme le fil de son existence, s'éteint rapidement après les classiques, avec l'apparition de la théorie Marx. Depuis, le cercle de l'économie vulgaire n'a fait que végéter, tourner en rond, l'artère vivante et vibrante de la recherche économique est passée dans le mouvement de la réflexion prolétaire socialiste, et c'est aussi de ce monde des idées révolutionnaire que naît aujourd'hui le premier - et l'unique ouvrage d'histoire sur l'apogée et le déclin de l'économie politique bourgeoise.
Vue de l'extérieur, cette nouvelle oeuvre de Marx n'a a rien d'une histoire assurément rien d'une histoire achevée et élaborée, c'est un plutôt un simple brouillon, le premier jet d'un travail dont l'achèvement fut réservé à un moment ultérieur. Il suffit de jeter un oeil aux notes en fin de chaque chapitre, concernant les pages correspondantes dans le manuscrit, pour se faire une idée du travail de titan qu'a nécessité son achèvement . Il a fallu trouver un plan, un développement logique et historique à ce gigantesque texte fleuve dépourvu de toute structure
apparente, foisonnant de surcroît d'innombrables répétitions et digressions, à la matière inextricablement emmêlée, qui a vu le jour dans un processus d'appropriation, de première étude du sujet, et il a fallu donner à ce plan une apparence extérieure, tout en laissant à César ce qui est à César et sans remplir les lacunes en faisant des ajouts personnels ou en échafaudant des transitions. Kautsky s'est réservé la part la plus difficile et la plus ingrate des droits et des devoirs de l'éditeur en pénétrant dans le fond de la pensée de ce manuscrit embrouillé et confus, d'une main invisible pour ainsi dire, afin de le doter d'une telle organisation interne. Et malgré les libertés a prises avec le contenu, il finit par présenter aux lecteurs Marx lui-même et rien d'autre que Marx .
Manifestement, il a pleinement réussi dans sa tâche. Tout le livre est de Kautsky mais chaque pensée et chaque mot sont de Marx, et c'est un ensemble organique d'une grande maturité de forme qui nous est présenté. Celui pour qui la lisse calligraphie moderne et les formes prétentieusement ciselées et coquettement travaillées en petites fioritures n'ont pas galvaudé le goût de la forme et du style en viendra même à contempler avec un plaisir d'esthète ce gros œuvre négligemment amassé, où le marbre à gros grains de la matière des idées n'apparaît que plus resplendissant. Cette disposition dépourvue tout artifice qu'a choisie Kautsky est également très heureuse parce que plus on avance dans la lecture,plus elle nous surprend agréablement et nous captive. On ne trouve d'abord que des remarques en vrac et des bouquets de citations, comme si, d'une main négligente, on feuilletait un carnet de notes personnel à partir du milieu. Bientôt surgissent d'entre les fragments des éclairs de pensées isolés, qui jettent tout à coup une lumière crue sur des époques et des écoles dans leur ensemble et donnent au lecteur la conscience assurée d'une solide conception générale sous-jacente à ces fragments. Peu à peu, des traits et des fragments critiques isolés s'assemblent pour former une œuvre historique de grande envergure, et trois grandes digressions détaillées finissent par apparaître dans lesquelles Marx, quittant l'histoire pour rejoindre la théorie de l'économie politique, se consacre à la résolution des problèmes importants vers lesquels l'a conduit son analyse critique de l'économie bourgeoise. Sans nuire à la composition transparente et uniforme du livre, avec un soin attentionné et une compréhension intime, Kautsky a su recueillir, sauver et associer à l'ensemble la moindre petite graine de pensée de la dernière œuvre posthume de Marx
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Le livre est intitulé Théories sur la plus-value et, d'un point de vue formel, ce titre s'applique aussi à une grande part du contenu du premier tome. Mais qui connaît le rôle et l'importance de la théorie de la plus-value dans le système économique de Marx saura d'emblée qu'il ne s'agit ici ni d'un examen partiel, ni d'une monographie historique mais du coeur même de l'économie politique dans son devenir historique. Friedrich Engels écrit dans son Anti -Dühring : "En démontrant [... ] la façon dont naît la plus-value et la seule façon dont la plus-value peut naître sous l'empire des lois réglant l'échange de marchandises, Marx a mis à nu le mécanisme du mode de production capitaliste d'aujourd'hui et du mode d'appropriation qui repose sur lui ; il a découvert le noyau autour duquel s'est cristallisé tout le régime actuel. [Souligné par R. L.] ". Si l'entière signification de cette réalité, avec toutes ses conséquences pour l'économie capitaliste, ne devait cependant pas encore apparaître de façon suffisamment claire et précise dans les analyses de Marx publiées jusqu'alors - dans la Contribution à la critique [de l'économie politique], dans Le Capital-, le livre publié aujourd'hui remédie parfaitement à cela. En effet, après avoir étudié dans la première partie de l'ouvrage les différentes conceptions bourgeoises de la naissance de la plus-value, Marx effectue dans la deuxième partie une analyse critique et historique du concept de << travail productif ». C'est alors que la signification de la plus-value se dévoile peu à peu au lecteur, partant d'un phénomène isolé, fragmenté, d'un élément de l'économie, pour devenir le mobile central de tout le mécanisme social.
Qu'est-ce que le« travail productif » ? Pour l'économiste vulgaire, une simple question de définition comme pour tous les concepts de base de l'économie politique. Travailler avec les définitions étant une méthode éprouvée permettant à l'économiste, après un processus d'analyse d'un éclat hautement scientifique, de finir par repêcher avec bonheur exactement la même part de sagesse qu'il y avait clandestinement introduite au début '. À notre époque, les analyses sur les cartels, qui ont bien dû produire une bonne douzaine de définitions de diverses longueurs et pour tous les goûts - et bien peu outre cela, évidemment - , sont un exemple amusant de ce jeu inoffensif qui, sur le chemin de ses propres définitions ingénieuses, veut percer le secret d'un phénomène économique. La question de la « productivité du travail » elle aussi n'est pour l'économiste bourgeois qu'une affaire de goût. S'il faut qualifier le travail de "productif" selon qu'il fournit seulement des marchandises ou des biens matériels ou bien aussi, plus généralement, des "services utiles", si nous pouvons qualifier les métiers de cordonnier, de funambule et de chancelier du Reich d'également « productifs >> ou si nous ne devons réserver ce titre flatteur qu'à certaines catégories, voilà un point de discorde de l'économie bourgeoise qui est tout aussi vieux que cette économie elle-même, et plus « savants" ont fait preuve de sagacité à le résoudre, plus l'économie politique s'enfonçait dans le vulgaire – sans pour autant que les théoriciens bourgeois aient jamais pris conscience de l'importance absolument décisive de ce problème pour leur science.
Pour cette question comme pour toutes les autres, Marx utilise la méthode dialectique et prouve que le concept de "travail productif" n'est pas l'objet du dilettantisme privé ou de l'esprit de l'économiste isolé mais un produit historique de la société. Tout comme lorsqu'il place le problème des populations sur un nouveau terrain en prouvant qu'il n'y a pas de loi des populations universelle et absolue pour tous les temps et tous les pays, mais que chaque forme sociale historique recèle plutôt en son sein sa propre loi des populations opérant avec la force d'une loi de la nature, Marx ne traite pas le concept de << travail productif » comme une définition étymologique mais comme une catégorie historique. Chaque forme économique, suivant ses propres desseins qualifie un travail de "productif" d'un point de vue différent. Dans la société communiste primitive, orientée vers les besoins personnels et immédiats des travailleurs , tout travail servant à produire et à élargir la somme des biens de consommation de la communauté paraît manifestement productif . A l'ère de la production artisanale simple de marchandises , c'est le travail se matérialisant dans la fabrication des marchandises qui passe pour être socialement productif ». Enfin , dans l'ordre économique capitaliste, qui ne vise ni la fabrication de valeur d'usage, ni celle de marchandises- la première n'étant que la condition générale nécessaire, la seconde la forme dominante de la production capitaliste, dont le but véritable est la production de capital , dans cette société, logiquement, le seul travail apparaissant comme productif est celui qui crée la matière du capital, la plus-value. Mais cela sous-entend déjà qu'il s'agit de travail pour d'autres, de travail exploité, de travail sous une domination de classe. Ainsi , le concept de productivité du travail dans l'analyse de Marx ne réside donc pas dans le rapport entre l'homme et la matière du travail, ou plus généralement entre l'homme et la nature, là où le
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cherche depuis un siècle le vulgarus à la sueur de son front, mais entre l'homme et l'homme, c'est un rapport social qui se cache sous le concept de << travail productif », tout comme sous celui de capital. Vue le prisme de ce concept, la capitaliste se nous sans fard, dans ses couleurs et ses contours les plus précis, dans toute la folle objectivité de ses lois et toute la subjectivité perverse de ses représentations, une société dans laquelle le but inhérent au travail humain , déterminé de concert par Dieu et la Nature, se révèle être l'enrichissement d'autrui, une société dans laquelle l'exploitation a valeur de norme et le travail pour le bien propre des travailleurs a valeur d'anormalité, de superflu, d'inadéquation, une société dans laquelle les masses toujours grandissantes du peuple n'entrent dans la catégorie des « travailleurs productifs » que dans la mesure où elles produisent leur propre esclavage social.
C'est seulement sous cet éclairage qu'on comprend l'offensive générale que bourgeoise engagea avec toute son artillerie contre le vieil Adam Smith, lorsque celui-ci se heurta avec sa franchise classique aux limites de la connaissance, ici comme dans la plupart des lois principales de l'économie capitaliste, tout en ayant simultanément révélé les aspects mortels de cette forme sociale. La revue critique de la grande controverse entre l'économie classique et l'économie vulgaire sur le concept du « travail productif >> est la partie la plus profonde et la plus brillante de cette œuvre de Marx qui même si elle est en relation des plus logiques avec tout son système, nous amène à comprendre par un biais tout neuf le caractère général de l'économie capitaliste et de sa nécessité historique.
C'est aussi à la lumière de cette découverte que l'histoire critique des théories bourgeoises sur la plus-value, qui est le principal contenu de ce volume, trouve seulement sa véritable signification. En suivant le fil principal de la formation de la théorie sur la plus-value, à partir du postulat que le profit capitaliste pousse et mûrit sur la terre cultivée comme un champ de céréales ondoyant jusqu'à la découverte qu'à l'inverse la rente foncière est produite à l'usine sous le pilonnage des machines à vapeur industrielles, Marx élabore l'histoire de ce « noyau de cristal » autour duquel viennent s'agréger, dans un rapport logique, tous les autres concepts de ce courant et de cette école de l'économie politique.
Ce qui devrait surtout frapper les chercheurs en économie dans ce tableau historique, ce sont les évolutions en apparence totalement divergentes des théories de la valeur et de la plus-value, pourtant si intimement liées l'une a l'autre. Elles avancent plutôt sur deux voies séparées et apparemment indépendantes, comme chez les mercantilistes, par exemple, chez qui nous trouvons déjà des pressentiments très clairs concernant la théorie de la valeur-travail et a la fois une explication du profit des plus prosaïques parla fraude dans le commerce, pendant que, d'un autre côté, la première explication scientifique de la plus-value parles physiocrates équivaut à une théorie de la valeur très grossière, qui de façon vulgairement matérialiste conçoit la valeur comme une matière naturelle. C'est seulement par la rencontre de la théorie achevée de la valeur-travail avec l'explication de la plus-value par le processus de production que naît cette théorie parachevée qui résout tous les problèmes de |'écon0mie capitaliste. Maintenant, pourquoi le fameux point de jonction où la théorie de la valeur et l'explication de la plus-value se rencontrent scientifiquement ne pouvait plus être découvert sur le chemin de l'économie bourgeoise. pourquoi il représente plutôt le noeud vital de cette économie que seul Marx pouvait trancher, voilà qui trouve son explication dans chacun des différents cas traités dans ce livre de Marx.
Si l'un des trois ensembles théoriques indépendants de cet ouvrage historique traite ledit problème du « travail productif» les deux autres, sous des formes différentes, s'occupent de la circulation et de la reproduction du capital. Dans son avant-propos, Kautsky s'excuse presque de ne pas avoir supprimé des développements qui sont en fait des répétitions des points déjà traités par Marx dans ses autres œuvres économiques. En réalité, dans le chapitre d'économie politique de l'Anti-Dühring d'Engels révisé par Marx en personne, le même problème d'analyse du Tableau économique de Quesnay est traité avec une grande brièveté et simplicité ; de même, le problème de la division du produit total social en salaire et en revenu se trouve déjà dans le deuxième tome du Capital , et ce expliqué de façon incomparable- ment plus mûre et plus précise. Si nous sommes redevables de quelque chose a Kautsky, c'est bien notamment pour le choix et la publication consciencieuse de cette volumineuse deuxième annexe dans l'ouvrage en question.
Il ne s'agit pas du seul fait que nous puissions assister à la naissance de la partie de l'enseignement économique de Marx qui compte parmi les plus importantes et les moins honorées jusqu'a présent. Toute cette annexe, précisément parce qu'elle nous dévoile non pas Ies résultats définitifs mais l'avancement même de la recherche de Marx, est un exemple de I'analyse théorico-economique comme elle n'a jamais été menée par l'économie politique bourgeoise ni avant ni après Marx. Que l'« école historique" allemande pratique la simple description au lieu de l'analyse, voila qui est déjà un résultat logique de sa tâche "historique" dissimuler la connaissance de la loi régissant l'économie capitaliste. ll est tout aussi évident que les premiers économistes vulgaires, dont la méthode consistait a reproduire les processus sociaux du point de vue individuel non selon leurs rapports objectifs internes mais selon leur manifestation déformée par les lois de la concurrence a la surface de la société "' - n'ont produit qu'une suite de trivialités du « sain entendement humain ›› sous le couvert d'une analyse scientifique, ce pour quoi le bavard Say est demeuré un modèle devant l'éternité. Chez les classiques cependant, la méthode déductive repose plutôt sur un pressentiment génial de I'ensemble des rapports de l'économie capitaliste, sur l'intuition qui résulte de la position, dénuée de tout préjugé, de Petty, Smith et Ricardo face a la société bourgeoise, qu'ils considèrent en même temps comme une forme sociale unique et absolue. Seule la position complètement nouvelle de Marx vis-a-vis de I'objet de ses recherches, seule la position d'un socialiste qui, d'un poste plus élevé, embrasse du regard les limites de la forme économique bourgeoise, seule la méthode dialectique de Marx ont permis de mettre aussi en oeuvre une analyse des problèmes isolés de l'économie. La maîtrise et la rigueur scientifique avec les- quelles Marx appliqua à cette occasion la méthode analytique à l'économie politique sont justement mises en évidence dans la deuxième annexe de son nouvel ouvrage, où il se met à la tâche avec un soin méticuleux et infatigable où progressivement, par un questionnement, l`élimination des facteurs variables, la délimitation du véritable problème, la confrontation avec des concepts voisins, des expériences et des exposés de preuves a contrario. il pénètre pas à pas dans la matière, comme au ciseau, pour finalement parvenir à la solution qu'il nous présente sous un aspect achevé dans le deuxième livre du Capital, sous la forme d'une construction a priori, à savoir sous la forme de sa théorie originale de l'échange entre la production des denrées de luxe et celle des moyens de production . Pour ceux qui souhaitent s'atteler sérieusement à la question des crises, ce fragment se révélera être maintes fois aussi important et stimulant que les chapitres correspondants du deuxième volume du Capital.
D'un certain point de vue, l'économie politique constitue une exception parmi toutes les sciences, le seul exemple d'une discipline à qui il est défendu d'écrire sa propre histoire. Dans ce cas, en effet, la condition première de l'historiographie est la connaissance du rapport entre le processus social et son reflet théorique, dont l'absence même constitue la base scientifique de l'économie politique bourgeoise et de ses méthodes. De ce fait résulte l'étrange réalité que l'économie politique est dans l'obscurité en ce qui concerne son objet d'étude, sa matière même , alors que ses historiens érudits cherchent désespérément les débuts de ses théories à l'aube de l`histoire humaine , dans |`0rient classique, presque chez les hommes-singes, en un mot, partout où il est aussi peu probable de la trouver que de découvrir son unique et véritable objet : le mode de production capitaliste. La représentation de l'économie politique comme science absolue et éternelle en regard du passé répond logiquement à la représentation de la société bourgeoise comme forme sociale absolue et éternelle en regard de l'avenir. ll ressort de ces deux faits que l'histoire de l'économie politique ne pouvait être écrite que par un socialiste, plus exactement du seul point de vue de Marx.
Toutefois, l'arrière-plan matériel des formes de conscience sociales, de l'idéologie, ne semble nulle part si palpable, nulle part si facile à concevoir que dans les théories sur la vie économique. Mais ici, on observe justement ce qu'il advient des applications spontanées et instinctives du matérialisme historique sans la dialectique de Marx, avec lesquelles certains de ceux qui ont « surmonté» son "dogme" font tant de façons. Seule l'histoire de l'économie politique montre une bonne fois pour toutes que dans les applications non marxistes du matérialisme, c'est justement cette explication grossière oies formes idéologiques les plus abstraites qui provient en droite ligne du pot- pourri que les fervents représentants de l'éclectisme historique reprochent inlassablement d'être à la conception historique « unilatérale" de Marx.
Sans parler de l'« historicisme ›› purement chronologique qu'incarne le professeur Roscher, par exemple, qui est venu à bout de l'écriture d'un volume monumental sur l'histoire de l'économie politique allemande qui -excepté l'Allemand Karl Marx- n'a aucune histoire, volume clans lequel Roscher nous sert les pamphlets ernestins et albertiniens et les chamailleries sur la question des pratiques de billonnage des princes allemands au Moyen Âge avec la même prétention pédante que, par exemple, les découvertes de Smith et leur résonance en Allemagne. Sans parler de ceux des chroniqueurs sans esprit pour qui le moindre écrit, comme dans le jardin de Dieu la plus petite coccinelle, sert à refléter l'esprit du créateur- ici l'érudition de l'historien , certaines histoires de l'économie politique, comme celle d'Adolphe Blanqui notamment, sont riches de précisions et d'explications matérialistes. Mais le plus souvent, ce matérialisme s'épuise dans des trivialités empiriques telles que l'idée selon laquelle la théorie mercantiliste serait en rapport avec le développement des villes et du commerce international, et la théorie de Manchester quant à elle avec l'essor de la manufacture, de la production capitaliste, etc. " .A cette occasion, la destinée du premier système scientifique de l'économie, l'école physiocrate, montre bien à elle seule à quel point la théorie économique de la société bourgeoise est devenue pour cette dernière le livre des sept sceaux. Alors que le professeur Oncken de Berne, par exemple, un spécialiste de ce domaine, remue la poussière de treize bibliothèques et fait éternuer toutes les facultés de sciences politiques pour établir, vérité faisant date, qui des physiocrates a utilisé le premier la phrase << Laissez faire, laissez passer››, ce cri de guerre du capitalisme naissant des physiocrates demeure pour l'histoire bourgeoise un mystère impénétrable, avec leur contradiction criante entre l'exaltation de la paysannerie Comme seule << classe productive» et le rabaissement de la classe moyenne industrielle au rang de parasite des propriétaires fonciers. Et le spécialiste Oncken est juste capable de nous assurer, avec le plus grand sérieux, que le pivot de toute la théorie économique de Quesnay serait la théorie des prix ! L'aveu naïf qu'il n'a pas compris le b-a-ba du génial créateur du Tableau économique.
L'Anglais Ingram, un autre historien bourgeois pris très au sérieux par l'érudition corporatiste allemande, nous nourrit même d'une réflexion profonde, avançant que « la prédilection de |'Éco|e [physiocrate] pour |'agriculture ›› était une expression du goût dominant en France prérévolutionnaire pour le << naturel ›› et la la simplicité originelle ›› a la Rousseau, pour ainsi dire la traduction des "Fêtes galantes ›› de Watteau et des scènes de bergers poudrés de Boucher en économie politique. En quelques pages, Marx livre une analyse générale de la théorie des physiocrates qui est à la fois la première résolution scientifique de toutes les contradictions apparentes de ce système et l'exemple le plus brillant de l'application de la conception historique dialectique matérialiste, en prouvant que « toutes ces contradictions sont celles de la production capitaliste en train de se dégager de la société féodale et ne donnant plus de cette dernière qu`une interprétation bourgeoise sans avoir pour autant trouvé encore sa forme caractéristique, de même la philosophie commence-t-elle à s'élaborer dans la forme religieuse de la conscience, anéantissant d'une part la religion en tant que telle tandis que, d'autre part, elle ne se meut encore que dans cette sphère religieuse idéalisée, entièrement dissoute en pensée . ››
De la même façon, Marx introduit un contexte historique et donc une vive lumière dans tous les revirements de la pensée théorique de l'économie bourgeoise. Dans ce contexte, le sort particulier de la théorie de la valeur nous semble notamment mériter une attention spéciale. C'est en vérité un fait intéressant que, dès le xviie siècle, donc sous la domination de la production corporatiste de marchandises, nous observions une compréhension si profonde de la théorie de la valeur-travail, dont font preuve Petty, Locke et North, alors que depuis Ricardo, justement au même rythme que la pleine expansion du mode de production capitaliste, qui par ses révolutions des prix quotidiennes liées aux bouleversements techniques fait plus que jamais prendre clairement conscience du principe de la valeur-travail, on constate un éloignement radical de la théorie de la valeur-travail et en fin de compte une fuite vers le brouillard psychologique de l'école subjective ». Marx résout la question en un tournemain en démontrant que les premières conceptions de la théorie de la valeur-travail ne sont justement pas les observations dominicales d'<< inventeurs ,, oisifs de l'économie politique mais les armes polémiques du capital naissant contre la propriété foncière dominante, qu'elles ne sont pas les inspirations d'un « esprit chercheur ›› flottant dans l'air mais les reflets idéologiques de la lutte des classes de la bourgeoisie contre le féodalisme. Et il en ressort clairement que. dès que la théorie de la valeur-travail, à l'inverse, est devenue l'arme théorique du prolétariat grandissant contre la bourgeoisie, elle a été pour cette dernière et sa "science" officielle un point de vue dépassé - exactement comme le libéralisme et la démocratie. Dans un strict parallélisme à ses mutations politiques la bourgeoisie demeure, en économie politique également, porteuse de la recherche scientifique tant qu'elle se tourne contre la société féodale, et tombe immédiatement dans le vulgaire et l'apologétique dès qu'elle se trouve face à la classe ouvrière grandissante. sens de l'utopie vers la science, Marx nous décrit pour la première fois Et si l'histoire de l'économie bourgeoise de la science vers l'utopie - de la connaissance des lois de mouvement internes de la société bourgeoise a la théorie apologétique de l'immortalisation de cette société contre ses propres lois de mouvement. Dans le volume qui nous occupe, Marx analyse en détail la réaction vulgaire qui s'est déjà emparée d'Adam Smith. Dans les volumes suivants, Kautsky promet de nous donner à voir l'analyse de Ricardo et la dissolution de son école, par là même le déclin de l'économie politique scientifique en général, et donc, en d'autres termes, l'inauguration théorique de la lutte des classes du prolétariat.
Mais ce superbe fruit de l'esprit de Marx n'a bien évidemment pas été conçu pour la science officielle bourgeoise. Le moment ou il paraît montre l'économie politique bourgeoise à un stade de décomposition encore plus avancé qu'elle ne l'était a l'époque de la parution du Capital. Lors de la parution du premier tome de l'œuvre majeure de Marx, l'« école historique» était encore en pleine apogée, et à l'époque du deuxième tome et jusque dans les années 1890, le ,, subjectivisme ›› faisait dans les cercles bourgeois des allégations trompeuses quant à un nouvel essor de l'économie politique en tant que science. Aujourd'hui, à part un concert de lamentations pour seule retombée pratique il ne reste de l`« école historique" que la production massive par Lotz et Brentano de docteurs plein d'espoir avec un institut microscopico-anatomique au service des besoins journaliers ,, scientifiques ›› du capital d'affaires. La communauté subjective ›› de Böhm et Jévons quant à elle, après avoir déjà démontré son aride stérilité dans tous les problèmes fondamentaux de l'économie politique, est incapable de faire quoi que ce soit du véritable nouveau problème avec lequel elle a réellement quelque chose à voir - les cartels ". L'appel à revenir à la méthode déductive des vieux classiques, qui résonne çà et là, est un symptôme éloquent de cette situation désespérée.
Mais que cet appel lui-même soit ne d`une confusion sans espoir des économistes d'aujourd'hui face à leur propre sort comme face à la nature de l'économie politique classique, voila qui est prouve parle fait que, par exemple, celui qui se présente comme le dernier héraut de la xi méthode déductive >> n'est autre que le professeur Pohle de Francfort, le représentant scientifique des syndicats de propriétaires, la matière pensante de la flambée du foncier urbain, l'avocat théoricien du droit de Shylock à la livre de chair prolétarienne transpose à l'époque moderne des grandes villes . Monsieur le professeur ignore dont totalement que la << méthode déductive >> des classiques n'est pas un outil de pensée mécanique que l'on sort à sa guise du placard, comme un tire-bouchon qui peut être mis par n'importe quel garçon à la disposition de ces messieurs, mais que c'est lé regard homérique, joyeux et libre que le patriarche de l'économie, Adam, portait sur le vieux monde en badinant en costume divin dans l'éden de la société bourgeoise encore en pleine éclosion. Après que la science bourgeoise a goûté à l'arbre dela connaissance de la lutte des classes et, terrifiée par sa nudité, s'est glissée dans le frac de fonctionnaire du professeur appointé, et surtout, après que la connaissance de Marx a elle aussi pris corps dans trois millions de têtes pensantes, il est tout autant possible pour l'économie actuelle de revenir a la méthode déductive et à la compréhension des classiques, qu'il est possible pour la poésie naïve allemande actuelle du Uberbrettl de« revenir» au doux << Tandaradei ,, de Walther von der Vogel Weide ".
C'est aussi pour cela que nous ne pouvons pas adhérer aux attentes optimistes de Kautsky, qui dans son avant-propos parle d`un retour désormais proche de l'économie politique bourgeoise à une étude approfondie et féconde de l'éc0le classique. Quoi qu'il en Soit, les lumières de la sagesse de chaire peuvent toujours retenir que c'est justement ce représentant du marxisme, de l'exclusivité rigide et des chasses aux sorcières doctrinaires duquel la plupart d'entre eux se plaignent habituellement, qui va aussi loin dans l'humanisme doux et généreux, attendant même que leur buisson d'épines spirituel porte encore les fruits de la connaissance scientifique.
En un sens, il est toutefois indéniable que la science professorale s`appropriera aussi ce nouveau don de Kautsky, tout comme elle s'est nourrie jusqu'à aujourd'hui des anciennes découvertes de Marx - en démolissant notamment ce formidable contenu en petites particules isolées et en ajoutant ainsi à sa théorie scientifique quelques bribes de véritable savoir. C'est seulement dans le prolétariat en lutte que l'œuvre nouvelle de Marx peut prendre vie dans toute sa grandeur et son esprit révolutionnaire.
Bien entendu, le rapport entre une histoire critique de l'économie politique bourgeoise et le combat quotidien de la social-démocratie semble difficile à saisir au premier abord, d`autant plus que, ces derniers temps, la vivacité même du sentiment pour l'importance de la théorie n`apparait pas assez clairement dans le flot formidablement élargi du mouvement prolétarien. Sans aucun doute, tout le combat de la social-démocratie est animé par les vues de Marx sur les conditions et les visées sociales, tel un train en route sur des rails bien définis qui suit la direction prescrite parla seule loi de l`inertie. Mais le travail de fourmi de la pratique et les escarmouches économiques et politiques quotidiennes menacent de plus en plus de reléguer à l'arrière plan le processus conscient et incontournable de transformation, de réévaluation de l'ensemble de la pensée du prolétariat dans |`esprit de la conception révolutionnaire du monde chez Marx. Ces derniers jours cependant, une affaire a montré une fois de plus a quel point ce processus est une nécessité permanente et pressante, quand un social-démocrate investi d'une fonction, donc officiellement appelé à représenter le parti et l'éducation des masses, a développé la théorie d'un "sentiment religieux» métaphysique qui serait inhérent à tout coeur humain, et de la nécessité future de maintenir la religion, pour le peuple, sans la prêtraille. plus ou moins une théorie d'évidement de l`Ég|ise , en entière analogie avec la fameuse théorie de l'évidement du capitalisme , avec qui elle a en commun les racines d'un éloignement complet de la conception historique du matérialisme. Comme beaucoup d'autres, cette affaire montre clairement qu'il est non seulement de notre devoir de gagner au plus vite de larges masses à la reconnaissance formelle du programme de la social- démocratie, mais aussi de révolutionner de fond en comble le mode de pensée de ces masses, donc surtout de nos agitateurs, parla théorie de Marx. C'est uniquement de cette manière, et non parla seule arrivée de nouvelles recrues dans les masses électorales de la social-démocratie, dans les organisations de parti et de syndicat, que le prolétariat pourra se détacher intellectuellement de la domination de la bourgeoisie et de sa culture de classe.
En ce sens, le nouveau livre de Marx est une abondante source de stimulations, appelée notamment a rafraîchir et à aiguillonner les forces intellectuelles de nos importants groupes d'agitateurs qui exercent leur influence sur les grandes masses du prolétariat par le biais de la presse et de l'activité parlementaire. Se plonger avec un zèle sin-cère dans les œuvres fondamentales de Marx et trouver dans leurs moindres recoins le lien entre ses théories scientifiques et la pratique de la social-démocratie qu'elles sous-tendent, pour ainsi s'extraire soi-même et extraire les masses de la désolation et de l'abattement intellectuels qui les menacent dans le combat quotidien - voilà la tache des rédacteurs, des journalistes et des parlementaires sociaux- démocrates. C'est a eux principalement qu'est destiné le livre que nous présente Kautsky, d'autant qu'il devrait, par le grand plaisir intellectuel qu'il nous offre, devenir le point de départ d'une nouvelle étude assidue de la théorie dans les rangs du parti. Montrer un peu moins d'enthousiasme perdu dans la résistance aux attentats cléricaux contre l'art bourgeois ou à propos de la fondation de coopératives de consommation, et s'efforcer en échange, avec plus d'enthousiasme, de comprendre les racines historiques, philosophiques et économiques de la lutte des classes de la social-démocratie, se détourner des billons de cuivre usés des mots d'ordre et des solutions provisoires du quotidien pour retrouver l'or pur de la conception marxiste dans toute sa puissance universelle - voilà à quoi nous exhorte la nouvelle et dernière des œuvres de l'héritage scientifique de Marx.