Sur les évènements de Dublin (Irlande, 1916)

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Sir Roger Casement, l'ex-grand bureaucrate colonial de la Grande-Bretagne, révolutionnaire nationaliste irlandais par conviction, l'intermédiaire entre l'Allemagne et le soulèvement irlandais, a déclaré à la lecture de sa condamnation à mort: « Je préfère être assis sur le banc des accusés que sur le siège de l'accusateur ». La sentence disait, selon la formule consacrée, qu'il serait « pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive », et implorait pour son âme la pitié divine.

La sentence doit-elle être exécutée ? Cette question a dû faire passer des heures pénibles à Asquith et Lloyd George. Exécuter Casement rendrait encore plus difficile au parti irlandais, opportuniste, nationaliste et purement parlementaire, la tâche de ratifier un nouveau compromis avec le gouvernement anglais sur le sang des insurgés. Mais gracier Casement, après avoir effectivement procédé à autant d'exécutions, passerait pour une démonstration ouverte d'indulgence envers un traître de haut rang, comme le chantent démagogiquement les socio-impérialistes du type Hyndman, ces hooligans assoiffés de sang. Mais quel que soit le destin personnel de Casement, il conclura l'épisode dramatique de l'insurrection irlandaise.

Tant que l'affaire se limitait aux simples opérations militaires des insurgés, le gouvernement n'a, comme on le sait, pas eu grand-mal à se rendre maître de la situation. Quelle que soit la manière dont les rêveurs nationalistes se le représentaient, le mouvement national général n'a pas eu lieu du tout. La campagne irlandaise ne s'est pas soulevée. La bourgeoisie, ainsi que la couche supérieure la plus influente de l'intelligentsia irlandaise, sont restées en retrait. Les travailleurs des villes se sont battus et sont morts au côtés des enthousiastes révolutionnaires de l'intelligentsia petite-bourgeoise. Même dans l'Irlande arrièrée, la base historique de la révolution nationale a disparu. Les mouvements irlandais du siècle dernier ont eu un caractère populaire dans la mesure où ils se sont nourris de l'hostilité du fermier pauvre et privé de tout envers le tout-puissant propriétaire terrien anglais.

Mais si pour ce dernier l'Irlande était seulement un objet de pillage et d'exploitation, pour l'impérialisme britannique c'était un élément nécessaire de leur domination sur mer. Dans une brochure écrite à la veille de la guerre, Casement, spéculant de l'Allemagne, prouve que l'indépendance de l'Irlande signifie « la liberté des mers et un coup mortel porté à la domination navale de la Grande-Bretagne ». C'est vrai dans la mesure où une Irlande « indépendante » ne pourrait exister que comme l´avant-poste d'un impérialiste hostile à la Grande-Bretagne et comme sa base navale tournée contre la suprématie britannique sur les routes maritimes. C'était Gladstone qui avait le premier expliqué clairement la les implications militaires et impérialistes du soutien de la Grande-Bretagne des intérêts des propriétaires anglo-irlandais et a donné les bases de la législation agraire par lequel l'état a transféré la terre aux agriculteurs irlandais, bien sûr en indemnisant généreusement l´ancien propriétaire. De toute façon, après les réformes agraires de 1881-1903, les agriculteurs se sont métamorphosés en petits propriétaires fonciers conservateurs, dont le regard fixe la bannière verte de l'indépendance nationale, mais qui ne sont plus capables de rien arracher à leurs lopins de terre.

L'élite intellectuelle irlandaise, superflue, a gagné par milliers les villes de Grande-Bretagne, comme avocats, journalistes, employés de commerce, etc. Pour la majorité d'entre eux, « la question nationale » s'est ainsi bien estompée. D'autre part, la bourgeoisie commerciale et industrielle irlandaise, dans la mesure où elle s'est formée au cours des décennies passées, a immédiatement adopté une position d´antagonisme vis-à-vis du jeune prolétariat irlandais, renonçant à la lutte révolutionnaire nationale et rejoignant le camp de l´impérialisme. La jeune classe ouvrière irlandaise, se formant dans l´atmosphère saturée par les souvenirs héroïques des rébellions nationales et se confrontant à l'arrogance égoïste, bornée, impérialiste, du syndicalisme britannique, hésite naturellement entre le nationalisme et le syndicalisme, toujours prête à unir ces deux conception dans sa conscience révolutionnaire. Elle attire la jeune élite intellectuelle et d´enthousiastes personnalités nationalistes, qui, à leur tour, impose au mouvement la prépondérance du drapeau vert sur le rouge. Ainsi, « la révolution nationale », en Irlande même, est en pratique devenue un soulèvement ouvrier et le la position évidemment isolée de Casement dans le mouvement ne fait que souligner ce fait.

Seule la mollesse patriotique sourdant par tous ses pores peut pousser quelqu'un à interpréter la situation comme si les paysans irlandais avaient refusé de participer à la révolution en considérant gravement la situation internationale, sauvant ainsi « l'honneur » de l'Irlande. En fait ils n´ont été poussés que par l'égoïsme obtus de l'agriculteur et l'indifférence complète envers tout ce qui se situe au-delà des limites de son lopin de terre. C'était précisément et uniquement à cause de cela qu'ils ont fourni au gouvernement de Londres l´occasion d´une victoire si rapide sur les défenseurs héroïques des barricades de Dublin. Leur courage personnel est incontestable, mais représente les espoirs et les méthodes du passé. Mais l´arrivée du prolétariat irlandais sur la scène de l´histoire ne fait que commencer. Il a déjà injecté dans ce soulèvement - sous un drapeau archaïque - son sentiment de classe contre le militarisme et l'impérialisme. Ce sentiment ne disparaitra pas. Au contraire, il trouvera un écho partout en Grande-Bretagne. Des soldats écossais ont emporté les barricades de Dublin. Mais en Ecosse même les mineurs se regroupent autour du drapeau rouge levé par Maclean et ses amis. Ces mêmes ouvriers, qu´à l'heure actuelle Henderson essaye d'enchaîner au char sanglant de l´impérialisme, dirigeront eux-mêmes le vengeance contre le bourreau Lloyd George.