Sur le Manifeste bulgare

De Marxists-fr
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Chers camarades,

Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai trouvé une occasion de vous faire part d'un certain nombre de réflexions au sujet de votre Manifeste. J'apprécie beaucoup votre exposé des zigzags de la politique Staline-Boukharine en Bulgarie; vous avez révélé l'identité complète de la ligne générale en Bulgarie avec la même ligne en Russie, en Chine, etc. Dans divers pays et sous des formes différentes, l'opportunisme et l'aventurisme, se succédant et se complétant l'un l'autre, ont manifesté partout les mêmes traits essentiels. Pour ma part, votre manifeste m'a révélé deux faits importants: le bloc électoral opportuniste de 1923 et le bond en avant du mouvement syndical la même année. Il serait très utile que vous fassiez une brève analyse historique pour notre presse internationale avec une étude des détails précis et des conditions concrètes dans lesquelles se sont déroulées ces deux étapes.

Permettez-moi enfin de vous exprimer en toute franchise quelques doutes ainsi que quelques objections. Il est possible que, dans un cas ou dans l'autre, je me mette à enfoncer des portes ouvertes, c'est-à-dire que je formule des objections contre des idées et des tendances que vous ne soutenez pas du tout et que des formulations maladroites dans votre manifeste vous attribuent à tort.

Si c'est ça, tant mieux. En politique un peu de chicane d'un côté ou de l'autre est bien mieux que l'indifférence ou la négligence.

1 . Vous condamnez à juste titre la tactique de la terreur individuelle ou de masse quand elle s'exerce dans d'autres conditions que celles de la révolution des masses. Mais je pense que vous donnez à votre jugement un accent excessivement moral bien malheureux. Vous parlez de la "peu glorieuse époque des social-révolutionnaires russes". En ce qui me concerne, je ne me serais pas exprimé de cette façon. Il est vrai qu'il existait dans la tactique des social-révolutionnaires un élément d'aventurisme que nous condamnions, mais nous n'avons jamais parlé d'époque peu glorieuse, même en rapport avec les actes héroïques de la terreur individuelle, bien que nous ayons toujours mis en garde contre ce genre de politiques Le parti social-révolutionnaire est devenu peu glorieux après qu'il ait totalement abandonné la lutte révolutionnaire et conclu un bloc avec la bourgeoisie.

2 . Page 6, vous parlez de l'aventurisme du "parti communiste illégal" et page 8 de la "joie des ouvriers" qui assistent à la naissance du parti des travailleurs en tant qu'"organe politique légal du mouvement ouvrier". Ces deux citations donnent l'impression que vous condamnez toute espèce d'organisation illégale en général et que vous lui opposez une forme légale comme unique forme d'organisation qui convienne à un mouvement de masse, Il est évident que qu'une telle idée est tout à fait fausse et je ne doute pas qu'aucun d'entre vous ne la partage. Il est bien possible que vous ayez été gêné par la censure pour vous exprimer là-dessus. Il faut bien entendu tenir compte de tout cela. Mais si la censure peut nous empêcher de dire ce que nous avons en tête, elle ne peut en aucun cas nous obliger à dire ce que nous ne pensons pas, surtout quand il s'agit d'une question aussi fondamentale que celle du rapport entre légalité et illégalité dans le mouvement révolutionnaire.

3 . Pour les mêmes raisons, je considère comme suffisant, pour caractériser la tentative d'assassinat d'avril, de dire qu'il s'agissait d'un acte regrettable, mais qu'il est superflu d'ajouter par-dessus le marché qu'il était "monstrueux et criminel". Nous ne pouvons en aucun cas faire des concessions semblables à l'opinion publique bourgeoise, quelles que soient les réserves que nous ayons à faire sur l'utilité révolutionnaire de ces actes de terrorisme. Sur ce point, je vous conseillerais de lire la lettre d'Engels à Bernstein et la correspondance entre Engels et Marx (sur la question des attentats contre Bismarck, Napoléon III, etc.).

4 . Page 7, vous rejetez le blâme pour la décomposition du mouvement syndical sur Pastoukhov et Dimitrov, vous situant vous-mêmes sur un territoire neutre entre les deux. Ici aussi, il ne s'agit, je l'espère, que d'une formulation malheureuse et non d'une déviation principielle. Pastoukhov est un agent de la bourgeoisie, c'est-à-dire notre ennemi de classe. Dimitrov est un révolutionnaire confus qui combine les objectifs prolétariens avec des méthodes petites-bourgeoises. Vous dites que l'un comme l'autre cherche à être le "seul maître" du mouvement syndical. Toute tendance socialiste ou communiste veut exercer l'influence maximum dans le mouvement syndical. Quand votre organisation sera devenue une force, vous serez vous aussi accusés de revendiquer le rôle de "maître absolu" du mouvement syndical - et je vous souhaite de tout mon cœur de mériter aussi vite que possible une telle accusation. La question n'est pas qu'un groupe ou un autre essaie de gagner de l'influence dans les syndicats (car c'est inévitable), mais du contenu des idées et des méthodes que chacun d'eux apporte dans le mouvement syndical. Pastoukhov tend à subordonner le mouvement syndical aux intérêts de la bourgeoisie. Les Dimitrov s'y opposent, mais, par leur politique fausse, assurent malgré eux le succès des Pastoukhov. On ne peut pas les mettre sur le même plan.

5 . Je ne vois pas bien comment les succès du groupe liquidateur autour de Novy Pont peuvent consolider le groupe marxiste Osvobojdénié,(page 13) ?

6 . Page 14, vous écrivez que votre tâche ne consiste pas à créer "une sorte de nouveau groupe ouvrier politique" qui concurrencerait le parti des travailleurs. Vous opposez à cela la création d'un groupe marxiste avec des tâches purement idéologiques. Il est possible que cette formulation obscure soit, comme les précédentes, explicables par les considérations relatives à la censure. Toutefois un groupe marxiste qui veut influencer le parti et tout le mouvement ouvrier ne peut être autre chose qu'un "groupe politique". Ce n'est pas un parti indépendant qui entre en concurrence avec le parti officiel, c'est une fraction indépendante qui se donne pour tâche de participer à la vie du parti et de la classe ouvrière.

Voilà toutes mes objections. Je serais très heureux d'apprendre que vous avez fait des progrès dans la tâche immédiate que vous avez vous-même fixée, la création d'un hebdomadaire.

Salutations communistes.