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Sur la situation en Autriche
Cher ami,
Je suis obligé de dicter cette lettre, parce que la consommation énergique de plasmochine influence tellement les nerfs que je ne suis pas capable de manier pour l'instant la plume.
Je veux vous entretenir un peu sur la question autrichienne. L'Autriche, c'est le seul pays où les organisations oppositionnelles restent aujourd'hui plus ou moins intactes. L'expérience nous a montré que les groupements "historiques" de l'Opposition se sont totalement usés pendant 1924-28. Nous avons dû recommencer en France en écartant les vieux groupes conservateurs, passifs, et surtout habitués à leur propre misère. Les groupes d'Amérique, d'une origine récente se démontraient beaucoup plus viables que le "vieux" groupe en Belgique. Nous avons perdu pas mal de temps dans ce pays-ci en essayant d'aider le vieux groupe de se développer normalement. Cette perte de temps fut plus ou moins inévitable, mais la leçon est claire; pour faire des progrès en Belgique, on a besoin d'une nouvelle sélection. Nous voyons plus ou moins le même phénomène en Italie. Le vieux groupe bordiguiste est extrêmement conservatif, et on ne sait qu'est ce qu'il va devenir. Je ne crois pas pour ma part que ce groupe pourra sortir de l'impasse sans des crises intérieures et, peut-être, des scissions. De l'autre côté, la Nouvelle Opposition Italienne, d'origine toute récente, nous est beaucoup plus proche et beaucoup plus capable de collaborer avec nous efficcacement. En Allemagne, nous avons du aider la minorité du Leninbund d'en sortir et de s'unir avec le reste regroupé de l'Opposition de Wedding pour faire le premier pas en avant. L'Opposition allemande, d'ailleurs, n'a pas encore trouvé ni son organisation, ni sa direction. Mais c'est une grande question dont on devra s'occuper ultérieurement.
A l'instant, je ne veux parler que de l'Autriche, où les deux groupes "Arbeiterstimme" et "Mahnruf" (le troisième n'existe plus, heureusement) restent encore plus ou moins intacts. Nous les connaissons. Vous, par le contact personnel. Moi, par la lecture de leurs organes et par la correspondance abondante. Le groupe de Frey est un peu plus solide comme organisation, qui a à peu près une centaine d'ouvriers. Ce groupe est purement autrichien, ne s'intéresse que de l'histoire de ses propres luttes, n'a aucune éducation internationale, n'a jamais cherché de liaisons internationales. Vous le savez par votre conversation avec Frey. Il n'a pas changé depuis. Il se couvert (sic) tout de suite, avec une certaine sincérité, du nom de l'Opposition russe, pour avoir quelque point d'appui dans son activité intérieure. Pas plus que cela. Il insistait même sur la nécessité du rôle dirigeant de l'Opposition russe. Il a voulu enfin introduire ce credo dans la plate-forme (ce qui est presque incroyable), - mais à cette condition non inscrite: qu'on le déclare représentant authentique de l'Opposition internationale, qu'on le protège et qu'on ne s'immisce pas dans ses affaires intérieures. Pendant ces deux années, il a trois ou quatre fois changé son attitude envers l'Opposition russe, et puis internationale, en prenant chaque fois comme prétexte quelques opinions que je lui avais exprimées dans ma lettre ou quelques propositions que je lui ai faites. Pour l'entraîner sur le terrain international, je lui proposais maintes fois d'écrire tel ou tel article pour la presse internationale. Il n'a jamais réagi sur cette proposition.
L'autre groupe, "Mahnruf" se distingue du premier par la plus grande faiblesse. A peu près 7 cdes à Vienne et une vingtaine à Graz. C'est toute l'organisation comme résultat de l'activité de (illisible - NDE) dernières années. Le groupe de Graz paraît un groupe purement local, sans aucun intérêt pour l'Opposition internationale. Cela se reflète distinctement dans le journal. Il est composé de deux parties absolument différentes, des articles politiques dans le sens de l'Opposition de gauche, qui peuvent être écrits à (illisible - NDE), Berlin ou n'importe où; et puis la correspondance ouvrière est tout à fait terre à terre. Le journal ne peut pas se nommer "journal communiste de l'Opposition de gauche", il s'appelle: "organe du peuple travailleur". Mahnruf, lui aussi a changé pendant la dernière année son attitude envers l'Opposition internationale. Il prêchait pendant quelque temps le bloc avec l'opposition de droite. Puis on nous a expliqué que ce changement de 180° est intervenu comme résultat du fait qu'un camarade est parti et l'autre venu. Cela caractérise suffisamment la faiblesse absolue du groupe, dont la petite base à Graz a un intérêt pour son journal local, mais aucun intérêt pour l'Opposition internationale.
Vous connaissez la récente histoire avec Keramayer, qui travaillait jusqu'au septembre (sic) avec le groupe "Mahnruf" et puis passa chez Frey. Au moment de cette rupture le groupe "Mahnruf" l'a déclaré agent et mouchard des fascistes, en accusant en même temps le groupe Frey de protéger ce mouchard en pleine connaissance des choses. On peut facilement s'imaginer quelle impression doit produire une accusation pareille chez les ouvriers, étant donné que les deux groupes en cause se déclaraient en même temps appartenant à l'Opposition internationale de gauche. Pour démontrer son accusation, le groupe "Mahnruf" n'avait rien sauf sa "conviction". Au lieu de chercher des preuves, au lieu de prévenir de ses soupçons le groupe de Frey ou le Bureau International, le groupe "Mahnruf" a lancé ses accusations dans la presse avec une légèreté absolument criminelle envers les règles élémentaires d'une organisation révolutionnaire, et envers les intérêts de l'Opposition internationale. Dans les luttes entre les bolcheviks, mencheviks et S.R., des choses pareilles auraient été absolument impossibles, et les auteurs des manœuvres pareilles auraient été exclus impitoyablement par l'initiative de l'organisation à laquelle ils appartenaient.
L'accusé propose une commission de contrôle. Une proposition tout à fait naturelle. "Mahnruf" refuse, ce qui double et triple ses fautes. Alors, on s'adresse au tribunal bourgeois. Si l'Opposition internationale n'existait pas, cet appel serait compréhensible, après le refus de "Mahnruf" de régler la question normalement. Mais Frey oublie l'existence de l'Opposition internationale. Cet incident caractérise les deux groupes comme politiquement et moralement très loin de nous, sans aucun intérêt pour l'Internationale et sans l'éducation révolutionnaire la plus élémentaire.
J'ai proposé d'unifier les deux groupes sur une plate-forme sommaire non parce qu'on a pu espérer par ce procédé aboutir à une organisation solide, mais on a pu espérer que la lutte pitoyable et indigne entre ces deux groupes va cesser et que la sélection nécessaire va se produire successivement sur la base de l'activité soutenue et contrôlée par l'Internationale. J'ai voulu de ma part proposer au Bureau International de poser, même à l'organisation unifiée des conditions assez précises concernant le régime intérieur et aussi le rapport avec l'Internationale. Maintenant, cette proposition est devenue inopérante. Sans attendre même la décision du bureau, Frey a déclaré mon attitude et celle du cde Naville comme partiale en faveur de ses adversaires et a carrément rompu avec l'Internationale.
"Mahnruf", de son côté, m'accuse de partialité en faveur de Frey et emploie tous les efforts pour créer une plate-forme qui, sans refléter la vraie activité de "Mahnruf" doit avoir le seul avantage d'être inacceptable pour l'autre groupe. Pour que la place laissée par le troisième groupe ne soit pas vide, un nouveau groupe s'est détaché de Frey, l'attaque avec la même vigueur, avec laquelle les mêmes camarades le défendaient hier et traitent l'organisation internationale comme un instrument secondaire, qui n'est bon que comme arme dans ces luttes mesquines et dégoûtantes.
La misère du communisme en Autriche se reproduit dans la soi-disant Opposition de gauche. Les deux groupes ne sont point capables de se développer, "Mahnruf" moins encore que "Arbeiterstimme". La longue série des tentatives de notre part, la correspondance qui dure presque deux années, les visites des camarades étrangers, les récents efforts de notre part - tout cela n'a abouti à rien, la situation reste plus misérable que jamais et tous ces éléments ne font que nous compromettre devant les ouvriers autrichiens. Ce serait absolument dangereux d'admettre un de ces groupes dans nos rangs et de porter la moindre responsabilité pour leur activité stérile. La politique la pire, c'est de soutenir des fictions et opérer avec des valeurs inexistantes. Pour trouver dans l'avenir une saine base en Autriche, il faut reconnaître ce qui est: nous ne pouvons rien faire en Autriche avec ces éléments rompus dans les petites intrigues, usés et démoralisés, qui essayent même de transporter leurs mœurs sur l'organisation internationale. Je ne vois d'autre décision pour nous que renoncer à toute responsabilité pour les groupes dits oppositionnels en Autriche, c. à d. reconnaître le fait qu'ils n'appartiennent pas à notre organisation internationale. Cette décision pourra être reprise, mettons au mois de juillet 1931, dans six mois, si la situation y change, c. à d. si les groupes en question peuvent apprendre quelque chose.
Nous avons perdu en Belgique la direction officielle de l'Opposition, mais nous avons gagné un groupe des ouvriers qui se combattaient non seulement contre Van Overstraten mais aussi contre nous (sic). Le groupe de Charleroi nous récompense totalement pour la perte des intellectuels de Bruxelles. Je ne sais pas si nous trouverons pendant les six mois un groupe "Charleroi" en Autriche. C'est bien possible, car les deux groupes officiels ne font qu'écœurer les ouvriers révolutionnaires.
D'ailleurs la question autrichienne ne peut être résolue seulement dans le cadre de l'Autriche. Il s'agit de l'Opposition de langue allemande en général. Il s'agit de créer un mensuel théorique en langue allemande, de développer la partie allemande du Bulletin International, et d'aider les camarades allemands de créer un hebdomadaire politique. C'est dans ces conditions que la question autrichienne sera résolue comme "Anschluss" à la question allemande.
En somme, je propose d'ajourner la question "Arbeiterstimme" - "Mahnruf" pour six mois en laissant les deux groupes en dehors de notre organisation et nous débarrassant ouvertement de toute leur activité néfaste. C'est une mesure d'autodéfense et de rétablissement révolutionnaire. Je fais cette proposition non officiellement pour m'entendre bien préalablement avec vous, mais je vous prie de donner votre réponse aussitôt que possible.