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Special pages :
Sur la mort de Léon Sedov
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 18 février 1938 |
La blessure est encore trop fraîche pour que je puisse parler de Léon Sedov comme d’un mort. Il n’était pas seulement mon fils, mais mon meilleur ami. Cependant il y a une question sur laquelle j’ai le devoir de me faire entendre immédiatement : celle des causes de sa mort. Je dois dire, dès le début, que je ne dispose d’aucun élément direct me permettant d’affirmer que la mort de Léon Sedov est l’œuvre du G.P.U.
Dans les télégrammes que ma femme et moi avons reçu des amis de Paris, il n’y a pas plus d’informations que dans les dépêches de presse. Mais j’aimerais donner quelques informations indirectes qui peuvent avoir cependant une grande signification pour l’enquête judiciaire qui se mène à Paris.
1. Il n’est pas vrai que mon fils ait souffert d’une maladie intestinale chronique. L'annonce de cette maladie a été pour sa mère et pour moi une surprise totale.
2. Il n’est pas vrai qu’il ait beaucoup souffert au cours des dernières semaines. J’ai en mains la dernière lettre que j'ai reçue de lui, datée du 4 février. Il n’y a pas dans cette lettre, très optimiste de ton, un mot sur une quelconque maladie. Elle révèle au contraire l’intense activité qu’il a déployée au cours de ces journées, particulièrement en ce qui concerne le procès imminent des meurtriers de Reiss en Suisse, et qu’il avait l’intention de la continuer.
3. La mort de L. Sedov s’est, de toute évidence, produite au cours de la nuit du 15 au 16 février. Il ne s’est donc écoulé que quinze jours entre la rédaction de cette lettre et la mort. En d’autres termes, la maladie a eu, sans conteste, un caractère fulgurant.
4. Il n’y a bien entendu aucune base pour douter de l'impartialité de l’autopsie, quelles qu’aient été ses conclusions. N’étant pas spécialiste, je me permets néanmoins de souligner une conséquence importante. Si l’on devait admettre la possibilité d’un empoisonnement, il ne faudrait pas oublier alors qu’il ne saurait s’agir d’un empoisonnement ordinaire. Le G.P.U dispose de moyens scientifiques et techniques si exceptionnels que la tâche des médecins légistes peut s’avérer plus que difficile.
5. Comment le G.P.U. a-t-il pu atteindre mon fils? Là aussi, je ne puis répondre que par des hypothèses. Au cours de la dernière période, il y a eu plusieurs cas d’agents du G.P.U. rompant avec Moscou. Naturellement, tous ceux qui ont rompu ont cherché à entrer en relations avec mon fils et lui, avec le courage qui le caractérisait dans toutes ses actions, a toujours été au-devant de tels rendez-vous. N’y avait-il pas quelque piège lié à ces ruptures ? Je ne peux qu’émettre ce postulat. C’est à d’autres de vérifier.
6. La presse communiste française accordait une attention particulière, évidemment hostile, à Léon Sedov. Cependant aucun des journaux communistes n’a imprimé une seule ligne sur sa mort (cf. les dépêches de Paris). Il en fut exactement ainsi au lendemain de l’assassinat d’Ignace Reiss à Lausanne. Une telle « prudence » revêt une grande signification si l’on considère que, dans les questions délicates pour Moscou, la presse française de l’I.C. reçoit ses instructions directement du G.P.U. par l’intermédiaire de son vieil agent, Jacques Duclos et d’autres.
Je n’affirme rien. J’énonce simplement des faits et je pose des questions.