Rakovski et le gouvernement roumain

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Nous avons déjà annoncé l’arrestation de Rakovski, que nous lecteurs connaissent en tant que chef révolutionnaire du prolétariat roumain, mais aussi en tant que proche collaborateur et ami de Naché Slovo depuis les premiers jours de la fondation du journal. Les dépêches d’aujourd’hui nous informent que Rakovski est libéré « sous condition » et qu’un des dirigeants qui commandèrent de fusiller les grévistes a été muté.

Rakovski, déjà avant la guerre, s’était attiré la haine de toute la classe dirigeante roumaine. Si les bandits au vernis civilisé qui gouvernent ce malheureux pays avaient paru s’intéresser superficiellement au sort général de l’Europe, il n’en est plus question dans cette tuerie baptisée « grande », « libératrice » et « juste ». Il n’y a qu’une chose qui puisse paralyser les mains des bourreaux, c’est la peur de complications provoquées par les ouvriers roumains. En dépit du peu de développement de l’industrie, le prolétariat roumain actif et comptant des guides aussi doués que Cristescu, Frimu et Marinescu, joue un grand rôle dans ce pays de masses paysannes arriérées dominées par le parasitisme des boyards.

Si le ministère « libéral » Bratianu ne se décidant pas à qui se vendre et adoptant une position attentiste de neutralité, a toléré jusqu’ici l’agitation socialiste en y voyant un contre-poids à la propagande des agents de l’Entente, il s’aperçoit maintenant que l’activité socialiste, chargée de sens révolutionnaire, constitue un danger pour l’oligarchie roumaine. L’offensive russe et la conquête de la Bukovine, faite dans le dessein d’exercer une pression sur la Roumanie, ont placé le ministère Bratianu dans une situation critique qui le pousse à avoir les mains libres pour parer à toute éventualité. L’idée de lier Rakovski et d’écraser les socialistes est venue tout naturellement, et la grève de Galatz, débouchant sur un conflit sanglant, a été un excellent prétexte. Rakovski a été arrêté. Le gouvernement a complété cette mesure en défendant les manifestations publiques. Puis la clique gouvernementale a reculé. Rakovski a été libéré « sous condition ». Ici il faut faire très attention. Il est hors de doute que l’usage par les mercenaires de Bucarest de ce « sous condition » sera d’autant plus sévère que les dirigeants roumains inclineront vers une intervention dans le sanglant conflit actuel.

Sous les traits du Parti roumain et de son chef Rakovski, nous avons devant nos yeux la grande politique de l’Internationale révolutionnaire. D’un point de vue extérieur, il semblerait que la politique de Rakovski soit celle de Branting en Suède et de Troelstra en Hollande : ceux qui prêchent la neutralité dans leur pays. Mais la ressemblance est toute superficielle : la position de Branting et de Troelstra a un caractère national et gouvernemental, nullement révolutionnaire. Ils défendent la neutralité par des mesures « raisonnables », « pacifiques », « loyales », ne créant aucune complication internationale à leurs gouvernements. Quand la Hollande et la Suède seront à la veille de la guerre – entraînées par la force des événements ou la volonté des classes bourgeoises – Branting et Troelstra déposeront leurs armes aux pieds de la bourgeoisie et se rangeront sous la bannière de la « Défense nationale ». Tout naturellement, le Pouvoir masquera cette capitulation en offrant aux socialistes une participation au gouvernement. Plus une intervention des pays neutres sera proche, et plus vite Branting sera doté d’un portefeuille, et Rakovski de la prison. Cette différence caractérise à merveille celle des deux tactiques.