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Révolution mondiale (Pannekoek)
Auteur·e(s) | Anton Pannekoek |
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Écriture | 21 janvier 1912 |
Le bruit des armes et celui des révolutions emplissent le monde. Le capitalisme s’est mis à tenter un dernier effort pour conquérir la planète. Croissance illimitée, c’est sa condition d’existence. Mais plus il va croissant, plus il court à sa perte. Guerre et révolution accompagnent sa croissance ; guerre mondiale, révolution mondiale constituent sa ruine.
C’est le monde qu’il lui faut conquérir avant d’avoir accompli sa tâche et gagné le droit de s’en aller. Que son domaine était petit jusqu’alors ! A la vérité, dans un certain sens, il dominait déjà le monde depuis plusieurs siècles. Mais les pays lointains n’étaient pour lui que des contrées de débouchés, dépendantes et sans force : elles n’étaient ni sa patrie ni son siège. Le capitalisme les régissait, mais ils n’étaient pas eux-mêmes capitalistes. Pour patrie et pour siège, le capitalisme n’avait qu’un petit territoire sur terre : l’Europe centrale. C’est là qu’il s’est élevé, du sein de la vie primitive du moyen-âge et qu’en trois siècles de rapide évolution, il a, d’un système de production réduit au village, crée un système mondial de travail supérieurement organisé, reposant sur un grandiose développement technique et scientifique.
C’est de ce petit coin de terre que la Révolution s’est répandue sur le monde. Si limité que fût son domaine, le capitalisme avait en lui, de par sa force intérieure, de quoi subjuguer l’univers. Le régime de production naturelle, c’est le repos ; si gigantesque que soient les agglomérations d’hommes, il n’en sort pas d’énergie motrice : elles ne cherchent pas à déborder sur le monde. Le capitalisme, c’est la vie, le mouvement sans arrêt, la transformation incessante : aussi pénètre-t-il en élément perturbateur dans la masse morte des autres régions, comme une colonie de champignons envahit le terrain nourricier autour d’elle. Expansion, c’est sa nécessité fatale : il ne peut subsister sans pays auxiliaires, à la fois greniers et débouchés. Voilà ce qui l’a contraint à la conquête du monde ; son époque historique, l’âge moderne, commence avec la découverte et l’exploration du globe tout entier. Il a produit les forces indispensables pour cela : non seulement sa technique, ses armes, ses outils, ses denrées à bon marché, lui donnaient la supériorité sur les peuples lointains, mais avant tout, il avait crée une humanité nouvelle. Il affranchissait les hommes des vieux modes de penser paisibles et traditionnels de leur étroit milieu, il éveillait les énergies qui sommeillaient en eux, la hardiesse, l’esprit d’aventure, la force et l’absence de scrupules. Il envoyait au loin des pirates et des conquérants, plus téméraires que les Vikings, plus heureux qu’Alexandre, plus cruels que Gengis-Khan, piller les trésors du monde. Les Indes opulentes étaient mises sous le joug européen, l’Afrique devenait un réservoir d’esclaves, l’Amérique et l’Australie furent repeuplées, promues au rang de seconde Europe, habitées par la race blanche.
Tout cela n’était pourtant que travail préparatoire, en comparaison des bouleversements qui ont commencé il y a quelques dizaines d’années. Le régime économique des autres parties du monde n’était encore touché que superficiellement : c’étaient des colonies, ce n’étaient pas des sièges du capitalisme. Aujourd’hui, c’est le monde entier qui doit devenir son siège d’établissement. Les trésors naturels de la terre entière ont eu beau l’enrichir, il a soif de plus d’or encore. Il sait que, de toutes les mines, la plus inépuisable et la plus riche est la force de travail humaine, pourvu qu’on l’exploite par les meilleures méthodes. Comment pourrait-on laisser si follement inactive toute cette force immense de travail renfermée dans les foules d’hommes jaunes, bruns et noirs, se contentant de négocier avec elles, de les ruiner, de leur imposer tribut ? Les exploiter, on ne le peut bien qu’en exportant la production capitaliste par toute la terre. C’est ainsi que commence véritablement la révolution intérieure du monde.
En Amérique, une contrée industrielle a surgi aux Etats-Unis, qui se dresse à égal de la vieille Europe, qui passe les mers et étend de plus en plus son capitalisme par tous les continents. L’Afrique est divisée en domaines d’exploitation où le capital européen est maître absolu. Les nègres, autrefois arrachés à leur patrie comme esclaves, sont maintenant en esclavage dans leur propre pays, et toutes les scènes de la Case de l’oncle Tom paraissent d’innocents jeux d’enfants auprès des horreurs, des massacres en masse qui sévissent dans l’Afrique subjuguée par le capital. Voici maintenant que le capitalisme se met à la part de besogne la plus grosse qui lui restât à faire, la clé de voûte de son évolution, l’industrialisation de l’Asie.
En Asie florissait une civilisation vieille de milliers d’années, alors que l’Europe était encore un pays barbare. Là, dans deux ou trois vallées fertiles de l’Inde et de la Chine s’entasse la moitié du total humain. D’antiques Etats, d’antiques religions, qui se sont maintenus à travers tous les orages du temps, les hommes sont groupés en nations géantes, à un niveau élevé de civilisation, quoique pétrifiée. Car, en dépit de tous les changements politiques de surface, le régime économique est resté pareil des dizaines de siècles, production agricole intensive, dont le surproduit alimentait les personnalités changeantes des princes, des seigneurs féodaux ou des conquérants étrangers.
Enfin, le capitalisme est venu et sa dure main détruit le repos éternel. Il vient en ennemi, en exploiteur, en concurrent ; partout où il va, il éveille hostilité, haine, résistance. Et les Asiates ne sont pas sans défense comme les nègres, qui n’avaient pas dépassé le stade de la tribu. En même temps qu’ils adoptent la civilisation européenne, qu’ils contemplaient d’abord avec surprise et admiration, ils deviennent ennemis de l’Europe. Leur classe d’intellectuels s’appuie sur les anciennes traditions nationales ou religieuses, pour grouper les hommes de leur race, avec le concours d’une presse à vaste diffusion, en unités capables de résistance. Mais ils ne peuvent battre l’ennemi détesté qu’avec ses propres armes. Arrêter l’invasion du capitalisme, ils ne le peuvent pas ; ce qu’ils peuvent, c’est de l’accueillir et, par des révolutions intérieures, lui donner les coudées franches, pour barrer la route au capitalisme européen. Ce qu’on appelle le « réveil » de l’Asie, c’est le reflet dans les esprits de l’envahissement des pays civilisés de l’Asie par le capitalisme : politiquement, il prend la forme d’une lutte entre le capitalisme asiatique, jeune et en voie de progrès, contre le capitalisme européen, vieux et toujours puissant.
Une période de luttes entre peuples, de proportions gigantesques, s’ouvre pour l’Asie et les pays voisins : à la fois expéditions coloniales, révolutions, guerres. Mais c’est tout autre chose, c’est plus que les guerres, qui accompagnent toujours les commencements du capitalisme. C’est le commencement de la fin : ces luttes exercent un contre-coup violent sur les luttes de classe en Europe.
Il faut au capitalisme de grands pays auxiliaires, lui permettant de s’étendre et, par là, de vivre. Mais le monde libre échappant de plus en plus au capitalisme, se fait de jour en jour plus restreint ; la terre capitaliste, et par conséquent le nombre des participants à la concurrence, deviennent de jour en jour plus grands. La révolution politique de l’Asie, le soulèvement de l’Inde, la rébellion du monde musulman opposent à l’expansion du capitalisme d’Europe en obstacle décisif.
Pourtant, il faut qu’il continue cette expansion. Comme la Vengeance suit le Crime, il a sur ses talons la révolution prolétarienne ; cesse-t-il d’avancer, suspend-il sa course, la révolution l’atteint et l’abat. L’arrêt de l’expansion, source de toute prospérité nouvelle, c’est la crise et le chômage, la misère et le désespoir pousseront les masses à la révolte. C’est pourquoi le capitalisme tend toutes ses forces pour rompre les barrières qui l’arrêteraient ; il se précipite avec rage contre le filet de plus en plus serré qui entrave sa marche. De plus en plus resserrés les uns contre les autres sur un terrain toujours rétréci, les concurrents, les Etats capitalistes d’Europe se heurtent chaque jour plus violemment ; des collisions sanglantes deviennent de plus en plus inévitables. Aux guerres d’indépendance et de colonisation en Asie se lie la guerre générale entre les peuples européens.
Mais là, le capitalisme trouve un autre obstacle. L’ennemi auquel il espère échapper en cherchant de quelque côté à se faire une issue par la guerre, c’est justement l’armée dont il aurait besoin pour cette guerre. La grande masse du prolétariat, prête pour la Révolution, ne saurait tolérer qu’à l’heure où elle veut arriver, en supprimant les exploiteurs, à faire sa patrie une habitation d’hommes libres et heureux, les exploiteurs impuissants dévastent, dépeuplent et ruinent la terre et l’humanité. Elle leur refuse l’obéissance : à la velléité d’une guerre mondiale, elle répondra par la révolution mondiale. Si à la misère économique, à la crise et à la détresse se joignent encore les meurtres entre peuples et la guerre fratricide entre nations civilisées, l’indignation et l’énergie révolutionnaire seront montés au plus haut degré d’ébullition – ce sera l’aube de la Révolution sociale.