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Special pages :
Réponses aux questions des lecteurs
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 3 mars 1917 |
Publié dans La Guerre et la Révolution. Paris 1974, pp. 260-262
A la suite de mes articles dans Novy Mir j’ai reçu quelques questions et quelques explications. Il me paraît convenable de répondre à des questions qui offrent un intérêt général.
Sur la Croix-Rouge
« En ce qui concerne les opinions socialistes et internationalistes, nous écrit Maria Ragoza, je suis entièrement d’accord avec vous, mais votre refus de la Croix-Rouge me laisse perplexe. Je vous prie de m’expliquer ce qui suit :
« De quelle façon, nous autres socialistes-internationalistes, si peu nombreux, pouvons aider les victimes de la guerre ? Autant que je sache, il n’y a que deux médecins parmi les socialistes russes américains; chez les Finlandais, il n’y en a aucun, pas même une sœur de charité.
« De quelle façon, nous qui n’avons pas la moindre idée de panser les mutilés, pourrons-nous aider le prolétariat ? Ensuite, avons-nous, chez les Internationalistes – groupés autour de Novy Mir et réclamant quotidiennement de l’aide – des pansements, des brancards et des ambulances ? Ou serons-nous obligés de tirer les blessés par les pieds comme le moujik le fait pour un veau ?
« Non, camarade Trotsky, n’est-il pas mieux de classer la Croix-Rouge parmi les organisations neutres, telles que les cliniques, les bibliothèques, les tramways, les navires, etc… ? Ce qui compte pour le blessé, c’est d’être secouru, et non les opinions politiques de celui qui l’aide. »
La camarade Maria Ragoza se figure que j’ai l’intention de remplacer la Croix-Rouge par une organisation internationale correspondante, et elle se demande avec un étonnement naturel : où avons-nous les ressources nécessaires ? Il est évident que, pour atteindre ce but, nous n’avons pas les moyens indispensables. De toute façon, le Pouvoir ne nous permettrait jamais de fonder cette institution à la place de la Croix-Rouge, pas plus qu’il ne permet à un soldat de choisir entre un médecin civil et un major. Le soldat blessé ou malade est la propriété du gouvernement au même titre que le soldat bien-portant. Il faut guérir le blessé le plus vite possible, pour l’envoyer sur le front. Une fois seulement qu’il est convaincu que l’invalide n’est plus en état de mutiler d’autres soldats, le gouvernement le libère de ses griffes, c’est-à-dire de la surveillance de la Croix-Rouge. Le médecin militaire a le devoir, non seulement de guérir le blessé, mais de veiller à ce que celui-ci ne répugne pas à retourner au front : il a le devoir de démasquer les simulateurs; et, en général, de soutenir les intérêts du Pouvoir contre ceux de ses victimes. Voilà pourquoi le médecin socialiste ne peut en aucun cas considérer comme étant de son devoir de s’engager dans une telle organisation.
Le devoir ne nous en reste pas moins, à nous autres socialistes, d’aider les victimes de la guerre par tous les moyens, mais nous devons utiliser « nos voies ». Avant-tout, nous surveillons ce qui se passe à l’armée et, en particulier, à la Croix-Rouge. Nous tenons la liste de toutes les cruautés commises, de tous les mauvais traitements infligés à la personnalité du soldat, à l’insuffisance de la nourriture, aux carences des traitements. Nous faisons ce travail, non en patriotes excités, mais en socialistes, c’est-à-dire en défenseurs des intérêts des masses laborieuses. Nous nous efforçons de garder le contact avec nos partisans, dans les tranchées, les casernes et les hôpitaux. Nous les aidons : nous leur envoyons du tabac, du linge, de l’argent, nous les fournissons en livres, en journaux, nous entretenons avec eux une correspondance, et ainsi nous cultivons en eux un esprit non belliqueux, mais socialiste. Dans ce but nous pouvons former, si les circonstances l’exigent, des comités privés, notre propre « Croix-Rouge ». Mais le but de celle-ci n’est pas de soulager le gouvernement dans son travail sanguinaire, mais, au contraire, d’entretenir l’état d’esprit révolutionnaire dans les tranchées et dans les usines. Sur tous les secteurs de notre activité concernant la guerre doit flotter le drapeau internationaliste.
Sur Plékhanov
Dans un de mes articles (« Mon journal quotidien »), j’écrivais : « En 1913, à l’occasion de mon séjour à Bucarest, Racovsky me raconta que, pendant la guerre russo-japonaise, Plékhanov lui avait confié, avec plus de sincérité qu’à nous-mêmes, que le Socialisme ne devait pas être « anti-national » et que l’état d’esprit « défaitiste » était introduit dans le Parti… par l’Intelligentsia juive ».
A ce propos, A. Goïsch m’écrit :
« Involontairement la question se pose : pourquoi vous, camarade Trotsky, n’avez-vous pas jugé utile d’arracher son masque au « camarade » Plékhanov en rendant publics ces propos ?
« Je suis convaincu que beaucoup de lecteurs ont eu la même pensée et qu’une réponse nette retiendra l’intérêt général. »
Le camarade Goïsch me pose un problème impossible à résoudre. Il s’en convaincra facilement s’il tente de se représenter les circonstances qui ont précédé la guerre. Plékhanov tenait une position ouvertement internationale pendant la guerre russo-nipponne, puis diplomatique pendant la guerre des Balkans. Sur la foi d’impressions personnelles et de conversations privées, je soupçonnais Plékhanov de fortes tendances nationalistes. Mais tant que celles-ci ne se faisaient pas jour dans l’activité politique de Plékhanov, il aurait été inintéressant, et même inepte, de les dénoncer, d’autant plus que les lecteurs auraient été en peine de les vérifier. Si je juge maintenant possible de faire appel à mes impressions personnelles, c’est qu’elles complètent les activités publiques de Plékhanov et donnent de celui-ci la clé psychologique jusqu’à un certain degré.