Réponse au projet de résolution de Bordiga

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BOUKHARINE. — Dans son contre projet, Bordiga préconise sa tactique abstentionniste. Il s’abstient même de la justifier, bien que nous lui ayons proposé d’ajourner d’un jour le vote afin de lui donner le temps de rassembler des arguments.

Nous ne venons pas ici discuter contre Bordiga, nous nous contenterons de combattre le bordiganisme tel qu’il apparaît dans notre Parti italien. Bordiga dit qu’il défend le marxisme contre l’opportunisme de l’Exécutif. Mais c’est lui qui manifeste des tendances révisionnistes, bien que sous une forme peu ordinaire. Marx avait toujours en vue les masses. Bordiga et ses partisans les oublient complètement. Un des derniers numéros du Stato Operaio définit de la façon suivante le rôle du Parti : « À la minorité terroriste de la bourgeoisie, nous opposons la minorité terroriste du prolétariat ». Cette définition montre que l’auteur de l’article comprend moins les masses que Mussolini. Nous, marxistes, nous avons appris de Marx et même de Lassalle, que la classe ouvrière doit vaincre parce qu’elle met en mouvement les masses contre l’appareil de l’État bourgeois. Chez le prolétariat, c’est la masse qui compense les autres moyens de lutte qui lui manquent.

Bordiga nous reproche d’être pessimistes ; c’est plutôt sa conception à lui qui est pessimiste. Nous lisons dans ses thèses : C’est une illusion enfantine que de s’imaginer que nous pouvons conquérir les masses alors que règne le fascisme. Voilà une idée qui n’a évidemment rien de commun avec le marxisme. Bordiga et ses amis ne comprennent pas le rôle des masses, ils veulent transformer le Parti en une secte et de cette erreur découlent toutes les autres.

Nous disons : Nous devons gagner la majorité du prolétariat ; le plus sera le mieux. Le point de vue de Bordiga semble signifier : le moins sera le mieux.

De ce point de vue découle l’opposition au front unique. Bordiga pose la question de telle façon que, d’après lui, nous ne pouvons le proposer qu’aux organisations non politiques, syndicats, comités d’usines, etc., mais en aucun cas aux organisations politiques. Nous, qui ne sommes pas des pessimistes, nous sommes convaincus que l’exaspération de la lutte de classe finira par scinder les partis opportunistes et qu’une partie viendra vers nous. C’est à nous de hâter ce moment. La théorie de la minorité est capable de ruiner pour de longues années, non seulement le Parti, mais tout le mouvement ouvrier d’un pays. Nous ne devons pas le permettre. Si nous n’avons pas besoin de majorité, à quoi nous servent la fusion, la création des cellules communistes.

Nos camarades de la gauche italienne sont très braves, ils sont si braves qu’ils n’hésitent pas à nier les faits. Par exemple, il y a eu un gouvernement ouvrier en Russie, en Hongrie, également en Saxe (bien qu’en ce dernier pays il n’ait pas été excellent), mais pourtant le gouvernement ouvrier est un fait. Bordiga nie courageusement les faits lorsqu’ils ne concordent pas avec ses théories de minorité terroriste. Pour le moment, il ne nie pas encore que nous ayons eu ici une révolution prolétarienne.

J’espère qu’il ne le fera jamais. Ils disent que le mot d’ordre du gouvernement ouvrier est un mot d’ordre opportuniste et dangereux qui ne peut conduire à la révolution. Que font-ils de l’expérience de la révolution russe ? Avec notre tactique nous avons gagné la révolution. Avec leur tactique, ils ont perdu la leur. Et maintenant ils viennent nous dire que nous sommes opportunistes et qu’ils veulent nous sauver de l’opportunisme. Non, camarade Bordiga, vous voulez inconsciemment nous sauver... de la victoire.

Maintenant, quelques mots sur la discipline internationale. Nous lisons dans le journal mentionné plus haut : « La tactique fusionniste de l’Internationale n’a pas d’utilité et il est nécessaire que notre Parti s’y oppose activement et résolument. Assez parlé de discipline ! Quand l’Internationale va à droite, nous devons former une fraction de gauche »... Il n’est pas question ici d’une fraction de gauche, mais simplement d’une fraction anticommuniste. Nous voyons ici, tout au moins, une tendance vers le tranmaelisme.

Nous devons nous y opposer énergiquement. Bordiga nous accuse d’adopter des résolutions sans aucune discussion. Il parle ainsi, après que nous avons tout fait pour lui permettre d’exposer son point de vue. Il est maintenant en bonne compagnie, en compagnie de Souvarine. Et s’il veut nier qu’il soutient la droite, nous devons lui déclarer que lui-même, sans doute inconsciemment, se trouve dans le plan de la droite.

L’attitude actuelle de Bordiga date de nombreuses années. Mais il s’était soumis tant que Lénine le combattait. Aujourd’hui, il se dit : Lénine n’est plus, nous pouvons former une fraction.

Bordiga et ses partisans sont, dans un certain sens, d’excellents révolutionnaires. Mais ce qu’ils font ici ne peut avoir que de mauvaises conséquences. Nous surprenons parfois chez eux des paroles très dangereuses, particulièrement au sujet de la discipline internationale. Le point de vue de Bordiga doit être combattu énergiquement, car nous voulons en Italie la victoire et non la défaite, un parti de masse et non une secte de héros. C’est avec les masses que nous vaincrons, même en Italie. C’est pourquoi, à ces petits groupes d’opposition, nous opposons l’organisation révolutionnaire de masses qui conduira le prolétariat italien à la victoire. (Applaudissements.)