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Special pages :
Questions de tactique internationale
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 24 août 1917 |
Source : « L’année 1917 », Petite collection Maspéro, 1976. Traduction de seconde main via l’anglais.
Les groupements politiques de classe sont apparus dans la révolution russe avec une clarté dans le domaine de notre idéologie est elle aussi sans précédent. Le retard du développement historique de la Russie a permis à l’intelligentsia petite-bourgeoise de s’orner des plumes de paon de la plus délicieuse théorie socialiste. Mais ce beau plumage n’a pas d’autre fonction que de couvrir sa nudité flétrie. Si les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks n’ont assumé le pouvoir ni début mars, ni le 16 mai, ni le 16 juillet[1], cela n’a absolument rien à voir avec le caractère « bourgeois » de notre révolution, ni avec l’impossibilité de l’accomplir sans la bourgeoisie. Cela est dû au fait que les « socialistes » petits-bourgeois, complètement emprisonnés dans les filets de l’impérialisme, ne sont pas encore capables de faire le dixième du travail que les Jacobins ont accompli il y a cent vingt-cinq ans. Ils bavardent sur la défense de la révolution et du pays, mais cela ne les empêchera pas de livrer leurs positions, l’une après l’autre, à la réaction bourgeoise. C’est pourquoi la lutte pour le pouvoir devient le premier et le principal problème de la classe ouvrière, et nous verrons la révolution se dépouiller simultanément et intégralement de son vêtement « national » et bourgeois.
Ou bien nous connaîtrons un formidable saut en arrière, en direction d’un régime impérialiste fort, qui finira très probablement en monarchie. Les soviets, les comités agraires, les organisations de soldats et beaucoup d’autres choses encore seront mis en pièces, et les Kérensky et Tsérételli seront mis au rebut. Ou bien le prolétariat, entraînant derrière lui les masses semi-prolétariennes et abandonnant ses leaders de la veille (et dans ce cas aussi les Kérensky et Tsérételli seront mis au rebut), établira le régime de la démocratie ouvrière. Les succès ultérieurs du prolétariat dépendront alors avant tout de la révolution allemande.
À nos yeux, l’internationalisme n’est pas une notion abstraite, qui n’existe pas que pour être trahi à chaque instant (c’est bon pour Tsérételli et Tchernov) ; c’est un principe directement dominant et profondément pratique. Des succès durables et décisifs sont inconvenables, à nos yeux, sans une révolution européenne. Nous ne pouvons donc pas acheter des succès partiels au pris de procédés et de combinaisons susceptibles de créer des obstacles sur le chemin du prolétariat européen. Ne serait-ce que pour cette raison, nous voyons dans une opposition sans compromis aux social-patriotes la condition sine qua non de tout notre travail politique.
« Camarades du monde entier, s’écria l’un des orateurs au congrès panrusse des soviets, retardez votre révolution sociale de cinquante ans encore ! » Inutile de dire que ce conseil bien intentionné fut accueilli par les applaudissements satisfaits des mencheviks et des social-révolutionnaires.
C’est précisément sur ce point, sur la question de leurs relations avec la révolution sociale, que la différence entre les diverses formes d’utopisme opportuniste petit-bourgeois et le socialisme prolétarien devient importante. Il y a un bon nombre d’« internationalistes » qui expliquent la crise de l’Internationale comme une intoxication chauvine passagère due à la guerre, et qui pensent que tôt ou tard elle retrouvera sa position antérieure, que les anciens partis politiques prendront à nouveau l’ancienne voie de la lutte de classe qu’ils ont pour le moment perdue de vue. Espoirs enfantins et dérisoires ! La guerre n’est pas une catastrophe extérieure ; elle détruit l’équilibre de la société capitaliste par le soulèvement des forces productives en développement dans cette société, contre les limites imposées par les frontières nationales et les formes de la propriété privée. Ou bien nous verrons des convulsions continues des forces productives, sous la forme de guerres impérialistes répétées, ou bien nous verrons une organisation socialiste de la production : telle est la question que l’histoire pose devant nous.
De la même façon, la crise de l’Internationale n’est pas un phénomène extérieur ou dû au hasard.
Les partis socialistes d’Europe se sont constitués à une époque d’équilibre capitaliste relatif et d’adaptation réformiste du prolétariat au parlementarisme national et au marché national. « Même dans le parti social-démocrate, écrivait Engels en 1877, le socialisme petit-bourgeois trouve ses défenseurs. Même des membres du parti social-démocrate qui reconnaissent les concepts fondamentaux du socialisme scientifique et la nature pratique du mot d’ordre de socialisation de tous les moyens de production déclarent que la réalisation de ce mot d’ordre n’est possible que dans un lointain futur, dont il est pratiquement impossible de déterminer la date précise[2]. » Grâce à la durée considérable de la période « pacifique », ce socialisme petit-bourgeois est devenu réellement dominant dans l’ancienne organisation du prolétariat. Ses limites et sa faillite ont pris les formes les plus choquantes dès que l’accumulation pacifique des contradictions a cédé la place à un formidable cataclysme impérialiste. Non seulement les vieux gouvernements nationaux, mais aussi les partis socialistes bureaucratisés qui avaient grandi avec eux, ont montré qu’ils n’étaient pas à la hauteur des exigences du progrès. Et on aurait pu prévoir plus ou moins tout cela.
« La tâche du parti socialiste, écrivions-nous il y a douze ans, consistait et consiste toujours à révolutionner la conscience de la classe ouvrière comme le développement du capitalisme a révolutionné les relations sociales. Mais ce travail d’agitation et d’organisation se heurte à des difficultés internes. Les partis socialistes européens (et surtout le plus puissant d’entre eux, le parti allemand) sont déjà parvenus à un certain conservatisme, qui est d’autant plus fort que les masses ont plus largement adopté le socialisme et que l’organisation et la discipline de ces masses sont plus complètes. C’est pourquoi la social-démocratie, en tant qu’organisation exprimant l’expérience politique du prolétariat, peut à un moment donné constituer un obstacle immédiat sur la réaction bourgeoise. Autrement dit, le conservatisme propagandiste socialiste du parti prolétarien peut, à un moment donné, empêcher la lutte directe du prolétariat pour le pouvoir » (Nasha Revolutsia 1906, p. 285)[3]. Mais, si les marxistes révolutionnaires étaient loin de fétichiser les partis de la IIe Internationale, personne ne pouvait prévoir que la destruction de ces gigantesques organisations serait aussi cruelle et aussi catastrophique.
À temps nouveaux, nouvelles organisations. Sous le baptême du feu, des partis révolutionnaires se créent maintenant partout. Les nombreux descendants idéologico-politiques de la IIe Internationale n’ont pas existé en vain. Mais ils passent par une purification interne : des générations entières de philistins « réalistes » sont mises au rancart, et les tendances révolutionnaires du marxiste sont pour la première fois reconnues dans leur pleine signification politique.
Dans chaque pays, la tâche n’est pas de maintenir une organisation qui s’est survécu à elle-même, mais de rassembler les éléments révolutionnaires réellement offensifs du prolétariat qui sont déjà, dans la lutte contre l’impérialisme, attirés vers les premiers rangs. Sur le plan international, la tâche n’est pas de réunir et « réconcilier » les socialistes gouvernementaux dans des conférences diplomatiques (comme à Stockholm ![4]), mais d’assurer l’union des internationalistes révolutionnaires de tous les pays et de rechercher une ligne de conduite commune pour la révolution sociale dans chaque pays.
À vrai dire, les internationalistes révolutionnaires qui sont à la tête de la classe ouvrière ne sont aujourd’hui, à travers l’Europe, qu’une insignifiante minorité. Mais nous autres Russes devrions être les derniers à nous effrayer de cet état de choses. Nous savons avec quelle rapidité, au cours des crises révolutionnaires la minorité peut devenir majorité. Dès que l’accumulation du mécontentement de la classe ouvrière finira par faire éclater la carapace de la discipline gouvernementale, le groupe de Liebknecht, Luxemburg, Mehring et leurs adhérents[5] prendra immédiatement un rôle dirigeant à la tête de la classe ouvrière allemande. Seule une politique révolutionnaire socialiste peut justifier une scission dans l’organisation : mais en même temps elle rend une telle scission inévitable.
Les mencheviks internationalistes, ceux qui s’apparentent au camarade Martov, refusent de reconnaître, contrairement à nous, le caractère révolutionnaire socialiste de notre tâche politique. La Russie, déclarent-ils dans leur programme, n’est pas encore prête pour le socialisme, et notre rôle est nécessairement limité à la fondation d’une république démocratique bourgeoise Toute leur attitude est fondée sur le rejet total des problèmes internationaux du prolétariat. Si la Russie était seule au monde, le raisonnement de Martov serait correct. Mais nous sommes engagés dans l’accomplissement d’une révolution mondiale, dans une lutte contre l’impérialisme mondial, avec les tâches du prolétariat mondial qui inclut le prolétariat russe. Au lieu d’expliquer aux travailleurs que les destinées de la Russie sont aujourd’hui indissolublement liées à celles de l’Europe, que le succès du prolétariat européen nous assurera une réalisation plus rapide de la société socialiste, qu’en revanche une défaite du prolétariat européen nous rejettera sous la dictature impérialiste et la monarchie, et finira par nous réduire à l’état de simple colonie de l’Angleterre et des États-Unis, au lieu de subordonner toute notre tactique aux buts généraux et aux objectifs du prolétariat européen, le camarade Martov considère la révolution russe d’un point de vue nationaliste étroit et réduit la tâche de la révolution à la création d’une république démocratique bourgeoise. Cette façon de poser le problème est fondamentalement fausse, car sur elle plane la menace du nationalisme étriqué qui a mené à sa chute la IIe Internationale.
En se limitant, dans la pratique, à une perspective nationale, le camarade Martov se réserve la possibilité de vivre dans le même camp que les social-patriotes. Il espère, avec Dan et Tsérételli, traverser indemne l’« épidémie » de nationalisme, car celle-ci finira avec la guerre, et il a l’intention de revenir alors, en même temps qu’eux, sur les chemins « normaux » de la lutte de classe. Martov est lié aux social-patriotes non par une simple et vide tradition de parti, mais par une attitude profondément i-opportuniste sur la révolution sociale, qui ne devrait selon eux jouer aucun rôle dans la formulation des problèmes d’aujourd’hui. Et c’est là ce qui les sépare de nous.
La lutte pour prendre le pouvoir ne constitue pas simplement, à nos yeux, la prochaine étape d’une révolution nationale démocratique. Non, c’est l’accomplissement de notre devoir international ; la conquête de l’une des positions les plus importantes sur l’ensemble du front de lutte contre l’impérialisme. Et c’est ce point de vue qui détermine notre position sur la prétendue question de la défense de la patrie. Un déplacement temporaire du front d’un côté ou de l’autre ne peut ni arrêter ni détourner notre lutte, car elle est dirigée contre les fondements mêmes du capitalisme, qui semble s’appliquer à la destruction impérialiste mutuelle des peuples de tous les pays.
Révolution permanente ou massacre permanent ! Telle est la lutte dont l’enjeu est le sort de l’humanité !
- ↑ La révolution commença le 8 mars à Petrograd. Le 11, le soviet de Petrograd entra en fonction. Le 12 fut formé le comité exécutif provisoire de la Douma. Il eut en mai une crise ministérielle causée par la démission de Milioukov le 15, et qui aboutit à la formation du premier gouvernement de coalition. Nouvelle crise le 16 juillet, et deuxième gouvernement de coalition.
- ↑ Cf. Engels, Préface à La Question du logement, Éditions sociales, Paris ; 1957, p. 13 (N.d.T.)
- ↑ Cf. Trotsky, Bilan et Perspectives, Op. Cité. p. 463. (N.d.T.)
- ↑ La conférence de Stockholm, proposée par les socialistes scandinaves pour faire pression en faveur de la paix sur les nations belligérantes, n’eut pas lieu. En avril 1917, le Danois Borbjerg étendit l’invitation aux soviets de Petrograd. Les mencheviks refusèrent. Cf. la note 5 de L. C. Fraina, Ire partie, chap. 1.
- ↑ Les éléments de gauche, opposés à la guerre, de la social-démocratie allemande, sous la direction de Liebknecht, Rosa Luxemburg et Mehring, constituèrent le 1er janvier 1916 le « groupe international ». Il fut connu par la suite sous le nom de « Ligue Spartacus » et, le 1er janvier 1919, devint le Parti communiste allemand.