Qu’est-ce que la stabilisation du Rentenmark ?

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L’accroissement de la quantité de monnaie en circulation en Allemagne. — Le Rentenmark n’a pas de couverture réelle. — Avantage d’une monnaie non cotée dans les Bourses étrangères. — Rôle de la confiance du public

Nous n’avons jamais cessé de soutenir que, dans les conditions économiques actuelles, la stabilisation du mark pour une période tant toit peu prolongée est chose impossible. Nous avons basé nos calculs sur ce fait : le bilan économique de l’Allemagne, y compris les paiements effectués à titre de réparations, est passif. L’Allemagne consomme plus qu’elle ne produit. De là les tendances des capitalistes allemands à investir leurs capitaux à l’étranger ce qui, naturellement, a porté préjudice au bilan financier et a contribué à la dépréciation du mark. D’autre part, à mesure que le change allemand continuait sa chute, le mark-papier était remplacé sur le marché intérieur par des valutas [devises] étrangères — livres, dollars et florins hollandais — ce qui aggravait encore le déséquilibre financier, car les changes étrangers servant à l’intérieur étaient obtenus au moyen de la vente à l’étranger de valeurs réelles. Dans les années précédentes la vente de bank-notes et de devises allemandes sur les marchés étrangers et l’afflux de capitaux étrangers en Allemagne (acquisition d’immeubles, d’actions, de propriétés diverses) avaient servi de contrepoids au fâcheux bilan commercial. En outre, jusqu’à l’expropriation complète des classes moyennes et au changement qui commença à se produire en août 1923 dans le mouvement des prix de détail, les cercles capitalistes dirigeants de l’Allemagne avaient eu intérêt à la dépréciation du mark et pour cette raison n’avaient pas manqué de contrecarrer plus ou moins consciemment les actions du gouvernement en vue de protéger le change allemand.

Or, nous voici en présence d’un fait : Depuis le 15 novembre, c’est-à-dire depuis deux mois, le mark allemand est virtuellement stabilisé[1].

1. Qu’y a-t-il changé dans la situation économique de l’Allemagne ?

2. Cette stabilisation est-elle définitive ou sera-t-elle d’aussi courte durée que les tentatives de stabilisation du printemps de 1923 ?

Peut-on constater dans les conditions économiques actuelles de l’Allemagne un changement essentiel qui puisse justifier la stabilisation du mark ?

Rien de semblable ne s’est produit dans le domaine de la production allemande. Au contraire la production allemande est tombée, en novembre et décembre 1923, à son niveau le plus bas. Le nombre des chômeurs et des chômeurs partiels s’est élevé en chiffre rond à 6 millions. La cause de la stabilisation du mark ne saurait donc être recherchée dans le domaine de la production.

Par contre, un changement remarquable est survenu dans la circulation monétaire. Il peut être brièvement caractérisé par le fait que le mouvement monétaire s’est considérablement ralenti. Ce processus s’explique par la nouvelle tournure qu’a prise la situation politique et qui a changé l’état d’esprit de larges couches de la population. L’Allemagne a réalisé, au courant des derniers mois de 1923, une grande réforme financière. La Rentenbank a été fondée, l’escompte par la Reichsbank des bons de trésor du Reich supprimé. Les rentenmark-notes, mises en circulation par le Reich, ont été couvertes par les crédits obtenus à cet effet. Le cours du mark-papier a été stabilisé (un billion de marks-papier valant un mark-or ou un rentenmark). Depuis, le change allemand est resté stable pendant un certain temps et au pair de l’or ; un dollar américain ne vaut en Allemagne que sa valeur or nominale qui est de 4,20 rentenmark Au point de vue quantitatif cette stabilisation serait tout à fait incompréhensible. Alors qu’avant le lancement du rentenmark toute la circulation monétaire de l’Allemagne ne consistait qu’en 200 millions de mark-or (environ) en papier monnaie et 600 millions de marks-or en coupons de l’emprunt-or et bons du trésor type dollar, la quantité de la monnaie en circulation s’est énormément accrue par le lait même de la création de la Rentenbank[2].

en temps de paix à environ 90 mark-or
fin 1919 51 mark-or
octobre 1922 14 mark-or
juin 1923 6 mark-or
juin-octobre 1923 2,5 à 4 mark-or
commencement nov. 1923 1 mark-or

D’après les données du ministre des finances Luther, il circulait dans le Reich, à la fin 1923 :

en millions de mark-or
Banknotes du Reich 400
Rentenmarks 1200
Bons de trésor et emprunt-or (petites pièces) 300
Monnaies auxiliaires 500
Total 2400

Depuis cette époque cette somme s’est considérablement accrue. Non seulement les chemins de fer du Reich mettent en circulation de grosses quantités de monnaie à valeur fixe ou non, mais encore des Etats allemands, comme la Prusse, la Saxe, la Thuringe ou même des provinces de la Prusse ou des villes continuent à émettre du papier-monnaie absorbé par le marché sans porter pour cela préjudice à la stabilisation du change allemand !

On ne peut trouver à ce fait une autre explication que le ralentissement de la rapidité de la circulation monétaire. Cela veut dire que chaque particulier qui parvient à entrer en possession de

sommes d’argent, ne s’empresse pas de les convertir en marchandises ou en effets de bourse, mais les garde le plus longtemps possible, comme en temps de paix. Il faut encore remarquer, à ce sujet, que la quantité de marchandises jetées sur le marché est actuellement inférieure à celle d’il y a six mois, la production ayant été très réduite. L’élargissement de la sphère de circulation du papier-monnaie allemand ne saurait être expliqué que dans une mesure infime par le fait que les monnaies étrangères qui auparavant faisaient fonction de moyens de circulation ont été remplacées par du papier- monnaie allemand.

Par contre M. Hirsch, s’en référant à des calculs faits par M. Cuno sur la possibilité d’un emprunt étranger pour Allemagne, évalue à 3 milliards de marks-or le montant des changes et devises étrangères se trouvant en Allemagne. Ce qui fait en chiffre rond 50 marks-or par tête d’habitant.

Quelles sont les perspectives que fait naître ce ralentissement du mouvement monétaire ? En d’autres termes : par quoi se justifie l’espoir des possesseurs d’argent qui considèrent la monnaie allemande comme stable et non plus sujette à une dépréciation nouvelle ?

Cet espoir ne se justifie pas par la qualité de cette monnaie, c’est-à-dire par la valeur de sa couverture. Le rentenmark est un papier monnaie tout aussi dépourvu de couverture que l’ancien mark-papier. Le rentenmark ne peut être échangé contre de l’or ou, en dehors du pays, contre des valutas [devises] étrangères. Son unique couverture consiste dans la possibilité de le convertir en obligations portant 5% d’intérêts en or. Même en supposant que ces 5% d’intérêts soient pleinement couverts par les hypothèques dont l’Etat a grevé les propriétés privées, la confiance qu’on place actuellement en Allemagne sur le rentenmark et le mark-papier ne peut pas être considérée comme justifiée. Car 5% d’intérêts annuels même payés en or ne constituent par un appât suffisant au moment ou l’on demande pour des prêts à valeur fixe 5% d’intérêts et même d’avantage — par mois !

La confiance accrue dans le rentenmark s’explique, à notre sens, par le changement de situation politique qui s’est produit en Allemagne, simultanément avec l’émission du rentenmark. Dans la lutte entre le capital et le travail la classe ouvrière a subi une défaite temporaire. Cette défaite se manifeste au point de vue social par la prolongation de la journée de travail et la réduction des salaires. La presse capitaliste et social-démocrate caractérise la situation actuelle comme celle d’une « crise d’assainissement » qui, dans quelque mois, après la réduction des frais de production grâce aux succès de la réaction, réduction qui amènera celle des prix de vente, aboutira à un relèvement du capitalisme allemand. C’est cette suggestion collective, subie par le public allemand qui a rétabli la confiance dans le mark et contribué à ralentir la circulation monétaire.

Il faut y ajouter les mesures en vue d’équilibrer le budget : impôts en or, compression du budget par la réduction du personnel administratif, gestion indépendante des chemins de fer du Reich et des P. T. T., dispensant le Reich du paiement de subsides. Il faut aussi prendre en considération que l’Allemagne n’a, depuis des mois, rien versé au compte des réparations et que la cessation de la résistance dans la Ruhr a libéré le Reich de charges très lourdes.

Nous devons enfin tenir compte du fait que le rentenmark et le mark ont complètement cessé d’être un moyen d’échange international. Toutes les affaires d’importation et d’exportation de l’Allemagne se traitent en valeurs étrangères. Grâce à quoi la diminution de la capacité d’achat du mark ne s’exprimera pas par une dépréciation de sa valeur nominale, mais par l’augmentation des prix du marché intérieur, la valeur nominale or étant maintenue. En effet, il suffit à présent sur les Bourses étrangères où le change allemand est à peine négocié, d’une intervention très faible pour maintenir le cours formel du mark.

La confiance que manifeste le public allemand en la valeur stable du rentenmark ne durera qu’autant qu’elle sera légitimée par des raisons économiques. A cette égard il nous reste à examiner : 1. la possibilité de rétablir l’équilibre budgétaire ;

2. le développement du bilan commercial et financier ;

3. les stades futurs du problème des réparations ; trois questions étroitement connexes

  1. Il a subi récemment une assez forte secousse, ce qui confirme l’ensemble de la thèse soutenue dans les études de notre camarade Varga. N. D. L. R.
  2. D’après l’évaluation du secrétaire d’Etat Hirsch, la circulation monétaire en Allemagne se montait par tête d’habitant :