Premier mai (1905)

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PARTI OUVRIER SOCIAL-DÉMOCRATE DE RUSSIE

Prolétaires de tous les pays, unissez - vous !

Camarades ouvriers !

La grande fête des ouvriers du monde entier approche. Le ler Mai, ils célèbrent leur éveil à la lumière et au savoir, leur alliance en une seule union fraternelle pour lutter contre toute oppression, contre tous les abus, contre toute exploitation, pour une organisation socialiste de la société. Tous ceux qui travaillent, qui nourrissent de leur labeur les gens riches et puissants, qui passent leur vie à accomplir un travail au-dessus de leurs forces pour un salaire misérable, qui ne jouissent jamais des fruits de leur peine, qui vivent comme des bêtes de somme au milieu du luxe et de l'éclat de notre civilisation, tous se tendent les mains dans la lutte pour la libération et le bonheur des ouvriers. A bas l'inimitié entre les ouvriers de différentes nationalités ou de différentes religions! Une telle hostilité sert seulement les pillards et les tyrans qui vivent de l'ignorance et de la division du prolétariat. Juifs et chrétiens, Arméniens et Tatares, Polonais et Russes, Finlandais et Suédois, Lettons et Allemands, tous, tous marchent ensemble sous l'emblème commun du socialisme. Tous les ouvriers sont frères, et leur union solide est le seul garant du bien-être et du bonheur de toute l'humanité laborieuse et opprimée. Le premier mai, cette alliance des ouvriers de tous les pays, la social-démocratie internationale, passe en revue ses forces et serre les rangs pour une lutte nouvelle, inlassable, inflexible, pour la liberté, l'égalité et la fraternité.

Camarades ! Nous sommes maintenant à la veille de grands événements en Russie. Nous avons commencé la lutte finale et acharnée contre le gouvernement autocratique du tsar, nous devons aller jusqu'à la victoire finale. Voyez à quels malheurs ce gouvernement de bourreaux et de tyrans a mené le peuple russe tout entier, ce gouvernement de courtisans véreux et de larbins du capital ! Le gouvernement tsariste a jeté le peuple russe dans une guerre insensée contre le Japon. Des centaines de milliers de jeunes existences ont été arrachées au peuple et sacrifiées en Extrême-Orient. Il n'est pas de mots pour décrire tous les maux qu'apporte cette guerre. Et pourquoi la fait-on ? A cause de la Mandchourie que notre gouvernement de brigands a enlevée à la Chine ! A cause d'une terre étrangère coule le sang russe et notre pays se ruine. La vie de l'ouvrier et du paysan devient de plus en plus pénible ; les capitalistes et les fonctionnaires resserrent de plus en plus les mailles du filet ; quant au gouvernement tsariste, il envoie le peuple piller une terre étrangère. Les incapables généraux tsaristes et les fonctionnaires vénaux ont perdu la flotte russe, dépensé des millions et des millions qui appartiennent à la nation, sacrifié des armées entières, mais la guerre continue et entraîne de nouveaux sacrifices. Le peuple est ruiné, le commerce et l'industrie sont paralysés, la famine et le choléra planent sur le pays, mais le gouvernement autocratique absolument aveugle continue la même politique ; il est prêt à perdre la Russie pour sauver une poignée de bourreaux et de tyrans ; il commence, en plus de la guerre avec le Japon, une seconde guerre, la guerre contre le peuple russe tout entier.

La Russie n'a encore jamais connu un tel éveil, après des siècles de torpeur, d'oppression et de servitude. Toutes les classes de la société bougent, depuis les ouvriers et les paysans jusqu'aux propriétaires fonciers et les capitalistes ; des cris d'indignation ont retenti partout, à Pétersbourg et au Caucase, en Pologne et en Sibérie. Le peuple réclame partout la fin de la guerre, une administration populaire libre, la convocation de députés représentant tous les citoyens sans exception réunis en assemblée constituante, pour la nomination d'un gouvernement populaire, pour sauver le peuple du gouffre où le pousse l'autocratie. Les ouvriers de Pétersbourg, au nombre de 200000 environ, s'étaient rendus chez le tsar, avec le prêtre Gapone, le dimanche 9 janvier, pour lui présenter ces revendications du peuple. Le tsar a reçu les ouvriers comme des ennemis, a fait fusiller des milliers d'ouvriers désarmés dans les rues de Pétersbourg. La lutte fait rage maintenant à travers toute la Russie ; les ouvriers font grève, exigeant la liberté et une vie meilleure, le sang coule à Riga et en Pologne, sur la Volga et dans le Sud, les paysans se soulèvent partout. La lutte pour la liberté devient la lutte du peuple tout entier.

Le gouvernement du tsar est affolé. Il veut faire un emprunt pour poursuivre la guerre, mais on ne lui fait plus crédit. Il promet de convoquer des représentants du peuple, mais en réalité, rien de nouveau ne se passe, les persécutions continuent, les fonctionnaires commettent toujours leurs abus, il n'y a pas de rassemblements populaires libres, pas de journaux populaires autorisés, les prisons où languissent les combattants pour la cause ouvrière restent fermées. Le gouvernement tsariste s'efforce de dresser les peuples les uns contre les autres, il a organisé un massacre à Bakou, en excitant les Tatares contre les Arméniens ; en éveillant la haine du peuple abêti, il prépare maintenant un nouveau massacre de juifs.

Camarades ouvriers ! Nous ne permettrons pas qu'on insulte davantage le peuple russe. Nous défendrons la liberté, repousserons tous ceux qui veulent détourner la colère populaire de notre véritable ennemi. Nous déclencherons une insurrection armée pour renverser le gouvernement tsariste et conquérir la liberté de tout le peuple. Aux armes, ouvriers et paysans ! Organisez des rassemblements secrets, constituez des milices populaires, munissez-vous de n'importe quelle arme, mandez des hommes de confiance pour s'entendre avec le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ! Que le 1er Mai de cette année soit pour nous la fête de l'insurrection populaire, préparons-nous y, attendons le signal de l'attaque décisive contre le tyran. A bas le gouvernement tsariste ! Nous le renverserons et nommerons un gouvernement révolutionnaire provisoire pour convoquer une Assemblée constituante populaire. Que les députés du peuple soient élus au suffrage universel, direct, égal et au scrutin secret. Que les défenseurs de la liberté sortent des prisons et rentrent d'exil ; que les réunions populaires se tiennent ouvertement et que les journaux du peuple soient publiés sans la surveillance des maudits fonctionnaires. Que le peuple tout entier s'arme, qu'on donne un fusil à chaque ouvrier pour que le peuple lui-même, et non une poignée de pillards, décide de son sort. Que des comités paysans libres se forment dans les campagnes pour renverser le régime féodal des propriétaires fonciers, pour délivrer le peuple des brimades des fonctionnaires, pour rendre aux paysans les terres qu'on leur avait enlevées.

Voilà ce que désirent les social-démocrates, voilà pourquoi ils appellent à prendre les armes : pour la liberté totale, pour la république démocratique, pour la journée de 8 heures, pour les comités paysans. Préparez-vous au grand combat, camarades ouvriers, arrêtez les fabriques et les usines le 1er Mai, ou prenez les armes, suivant la directive des comités du P.O.S.D.R. L'heure de l'insurrection n'a pas encore sonné, mais elle est proche. Aujourd'hui, les ouvriers du monde entier tournent leurs regards, le cœur serré, vers l'héroïque prolétariat russe qui a consenti des sacrifices innombrables pour la cause de la liberté. Les ouvriers de Pétersbourg ont déjà proclamé le jour mémorable du 9 janvier : La liberté ou la mort ! Ouvriers de toute la Russie, nous pousserons à nouveau ce cri de combat, nous ne reculerons devant aucun sacrifice, nous irons par l'insurrection à la liberté, par la liberté au socialisme !

Vive le 1er Mai, vive la social-démocratie révolutionnaire internationale!

Vive la liberté du peuple ouvrier et paysan, vive la république démocratique, à bas l'autocratie tsariste !

1905

Le Bureau des Comités de la Majorité

La Rédaction du «Vpériod »[1]

  1. Vpériod (En avant), quotidien bolchévique illégal. 18 numéros au total ont paru à Genève, du 22 décembre 1904 (4 janvier 1905) au 5 (18) mai 1905. Lénine en fut à la fois le promoteur et le directeur. [N.E]