Parlons de la femme, de la famille, des enfants

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Le couple Thorez-Vermeersch s'est embarqué dans une nouvelle campagne pour le « droit à la maternité » et « ses joies » contre le « néo-malthusianisme réactionnaire » qui réclame le birth control. La campagne a commencé par la lettre de M. Thorez « au camarade Derogy » (l'Humanité, 2 mai 1956) et a continué avec diverses interventions de Vermeersch et d'autres lettres de Thorez[1]. Un des points des thèses élaborées pour le prochain congrès du P.C. est même consacré à cette question. Les apports plus « théoriques » passés et récents de Jean Fréville étoffent cette campagne.

En réalité il s'agit d'un retour offensif de toute l'idéologie petite bourgeoise édifiée par le stalinisme sur des questions aussi capitales que celles concernant la position du marxisme révolutionnaire sur la femme, la famille, les enfants. Le conservatisme bureaucratique, petit bourgeois, caractéristique des années 30 qui marquèrent la consolidation relative du stalinisme en U.R.S.S. submergea alors tout. Au nom. bien entendu, de Marx et de Lénine il théorisa la famille ancien type, « petite entreprise fermée », les « mères héroïnes » procréant annuellement, le mariage monogamique dont les liens « indissolubles » sont garantis par la justice et les gendarmes.

La Révolution d'Octobre. écrit Léon Trotsky[2], « tenta héroïquement de détruire l'ancien « foyer familial » croupissant, institution archaïque routinière, étouffante, dans laquelle la femme des classes laborieuses est vouée aux travaux forcés de l'enfance à la mort. A la famille, considérée comme une petite entreprise fermée, devait se substituer, dans l'intention des révolutionnaires, un système achevé de services sociaux : maternités, crèches, jardins d'enfants, restaurants, blanchisseries, dispensaires, hôpitaux, sanatoria, organisations sportives, cinémas, théâtres, etc. L'absorption complète des fonctions économiques de la famille par la société socialiste, liant toute une génération par la solidarité et l'assistance mutuelle, devait apporter à la femme, et dès lors au couple, une véritable émancipation du joug séculaire.

« Tant que cette œuvre n'aura pas été accomplie, quarante millions de familles soviétiques demeureront, dans leur grande majorité, en proie aux mœurs médiévales, à l'asservissement et à l'hystérie de la femme, aux humiliations quotidiennes de l'enfant, aux superstitions de l'une et de l'autre. A ce sujet, aucune illusion n'est permise. »

Faute de ressources suffisantes pour que l'Etat soviétique accomplisse une telle tâche, on dût vite reculer et maintenir la famille ancien type. L'erreur fut d'avoir théorisé cette retraite et même de l'avoir idéalisée.

Ce n'est pas « la victoire complète et sans retour du socialisme en U.R.S.S. » qui il causé la régression de toutes les conceptions et lois élaborées au lendemain de la Révolution d'Octobre en U.R.S.S. concernant la femme, la famille, les enfants, mais au contraire le caractère encore très limité de cette victoire.

« La législation soviétique sur la famille — écrit sans vergogne Jean Fréville dans sa fameuse préface à La Femme et le Communisme, où les textes des classiques du marxisme sont interprétés scandaleusement à travers les lunettes du bureaucrate néo-petit bourgeois — inspirée par les idées du marxisme-léninisme obéit dans l'évolution qu'elle suit depuis trente ans à la préoccupation constante de libérer et de défendre la femme. Cette préoccupation a conduit le législateur soviétique du divorce libre au divorce réglementé, de l'avortement légal à l'interdiction de l'avortement. » (Souligné par nous.)

Il n'est pas étonnant que ce même Fréville se soit indigné contre les « quelques théoriciens », tels A. Kollontaï, le juriste Hoichbarg (préfaçant le Code bolchevik du mariage de 1919) qui avaient critiqué la famille monogamique ancien type et prévu sa transformation profonde lors d'une évolution vraiment socialiste de la société. Fréville, au nom d'Engels, affirmait le contraire : le socialisme la consolidera !

Dans son ardeur à défendre coûte que coûte la mentalité, les institutions, les mœurs néo-petites bourgeoises introduites en U.R.S.S. et dans les Partis communistes par le stalinisme « arrivé » des années 30, le malheureux attribue à Engels, tout en citant par ailleurs son texte, l'idée de vouloir donner comme idéal pour l'éternité la famille monogamique du type actuel.

Engels, penseur profond, audacieux, lucide ne reculant devant aucun « tabou », en réalité, veut tout d'abord établir le caractère « exclusif » de l'amour sexuel, d'où il dégage « sa nature » « monogamique » aussi longtemps, bien entendu, que dure cet amour sexuel[3].

Engels n'a rien à voir avec le mariage consacré par la loi et ses liens « indissolubles » sous la garde de la justice et des gendarmes. Il écrit : « Si le mariage fondé sur l'amour est seul moral, celui-là seul peut l'être où l'amour persiste. Mais la durée de l'accès de l'amour sexuel est fort variable suivant les individus, notamment chez les hommes, et une disparition de l'inclinaison ou son éviction par un amour passionnel nouveau fait de la séparation un bienfait pour les deux parties comme pour la société. On épargnera seulement aux gens de patauger dans la boue inutile d'un procès en divorce. ». (Souligné par nous.)

Il se peut que ce qu'Engels appelle « la durée de l'accès de l'amour sexuel », sur lequel exclusivement il veut baser un lien monogamique, soit déterminé par toute une série de facteurs d'ordre culturel, psychologique, etc., par toute une série d'affinités qui entretiennent, stimulent et amplifient l'élément strictement sexuel, et par là également la durée de « l'accès de l'amour sexuel ». Des considérations semblables jouent forcément davantage dans les cas d'individus culturellement développés et au sein d'une société d'une haute civilisation.

C'est dans un tel cadre par exemple que des liens monogamiques pour une période plus ou moins longue pourraient s'établir sans considération stricte ou prépondérante d'âge ou d'aspect physique (et ceci bien entendu y compris pour les femmes). En tout cas, Engels, loin de vouloir hypothéquer l'avenir des rapports sexuels entre hommes et femmes par le « mariage » monogamique administrativement « consolidé », ajoute à ces considérations déjà citées ces réflexions parmi les plus caractéristiques de son esprit profond et affranchi :

« Ce que nous pouvons donc augurer de l'organisation des rapports sexuels, après l'imminent coup de balai donné à la production capitaliste, est surtout d'ordre négatif et se borne principalement à ce qui disparaîtra. Mais qu'arrivera-t-il ensuite ? Cela se décidera quand une nouvelle génération aura grandi : génération d'hommes qui jamais de leur vie n'auront été dans le cas d'acheter à prix d'argent, ou à l'aide de tout autre ressort social, l'abandon d'une femme ; génération de femmes qui n'auront jamais été dans le cas ni de se livrer à un homme pour d'autres considérations qu'un amour réel, ni de se refuser à l'aimé par crainte des suites économiques de cet abandon. Quand ces gens-là existeront, du diable s'ils se soucieront de ce qu'on croit aujourd'hui qu'ils devraient faire ; ils se créeront eux-mêmes leurs coutumes et une opinion publique appropriée pour juger la manière d'agir de chacun. Un point, c'est tout. »


(Les origines de la famille, de la propriété et de l'Etat)

* * *

Voyons maintenant dans quel cadre se place en réalité le « droit à la maternité » et ses « joies » pour la femme.

Il est évident tout d'abord qu'il faut faire une distinction entre la manière de poser cette question en régime socialiste et en régime capitaliste[4]. C'est ce qu'oublie ou confond délibérément le couple Thorez-Vermeersch.

Ensuite il n'est pas moins évident que le « droit à la maternité » signifie le « droit à la maternité volontaire ». Autrement, cela va sans dire, il ne s'agit nullement d'un droit mais d'un devoir que les femmes doivent accomplir sous la pression morale de la société, et sous la peur de la loi et de la « justice » (capitaliste ou « socialiste »).

En régime capitaliste, ainsi qu'en tout régime qui n'est pas encore parvenu à faire absorber par l'Etat les corvées économiques de la famille « petite entreprise fermée » (comme c'est encore le cas de l'U.R.S.S), « la naissance d'un enfant est pour beaucoup de femmes une menace sérieuse »[5]. A partir d'un certain nombre de naissances il ne s'agit plus d'une menace, mais d'une véritable catastrophe physique, morale, affective, non seulement pour la mère, mais pour le couple et les enfants.

Le milieu de la famille type actuel. « petite entreprise fermée », conservateur et égoïste, est déjà néfaste pour le développement libre des enfants si on désire qu'ils deviennent des êtres courageux, équilibrés, vibrant d'abnégation et de fraternité universelle. Avec ses interdits multiples, son horizon borné, l'incompétence. en matière d'éducation des parents, la famille actuelle brise l'élan des enfants et leur inflige sans le vouloir des traumatismes divers et durables. Ces conditions, déjà défavorables pour l'éducation des enfants, sont singulièrement aggravées dans le cas des familles pléthoriques des classes laborieuses, entassées dans les taudis que leur offre le capitalisme.

En confiant, l'éducation des jeunes générations à l'Etat, la révolution prolétarienne, « loin de se soucier de soutenir l'autorité des aînés, du père et de la mère en particulier » s'efforcera « au contraire de détacher les enfants de la famille pour les prémunir contre les vieilles mœurs »[6] et les élever dans un cadre de beauté, d'héroïsme et de fraternité humaine.

Il est pénible d'avoir à insister sur des constatations si générales et évidentes auprès de soi-disant représentants des classes laborieuses qu'on suppose a priori connaissant à fond dans quelles tristes conditions matérielles et autres procréent les familles de ces classes. Pour cette raison justement, le pouvoir révolutionnaire en U.R.S.S. au lendemain de la Révolution, « a apporté à la femme le droit à l'avortement, un de ces droits civiques, politiques, culturels, essentiels tant que dure la misère et l'oppression familiales, quoi qu'en puissent dire les eunuques et les vieilles filles des deux sexes »[7].

Mais même ce « droit à l'avortement » exige des ressources de la part de l'Etat ouvrier qui dépassaient les capacités de l'Union soviétique des années 30. « Ayant démontré son incapacité à fournir aux femmes obligées de recourir à l'avortement le secours médical nécessaire et les installations hygiéniques. l'Etat s'engage dans la voie des prohibitions. Et comme en d'autres cas, la bureaucratie fait de pauvreté vertu »[8].

La loi interdisant l'avortement en U.R.S.S. fut adoptée en 1936 en considérant, que la « société socialiste » n'ayant pas de chômage, etc., et la femme jouissant des mêmes droits que l'homme, cela « ne l'affranchit pas du grand et honorable devoir qui lui est dévolu par la nature : elle est mère, elle donne la vie. Et ceci n'est certainement pas une affaire privée mais une affaire d'une haute importance sociale »[9].

« Nous avons besoin d'hommes », ajoutait Soltz, membre de la Cour suprême soviétique. « Des milliers de travailleurs pourraient, si la bureaucratie n'avait mis sur leurs lèvres le sceau du silence, lui répondre : « Faites donc vous-même des enfants ! »[10].

Car le cri de Soltz est en réalité, n'en déplaise au couple Thorez-Vermeersch, aussi bien celui de la bourgeoisie que de la bureaucratie à l'adresse des travailleurs, elles-mêmes ne remplissant ce « grand et honorable devoir » que dans la mesure stricte de leurs possibilités matérielles, de leur confort et d'une toute autre conception des « joies de la maternité » subordonnées aux autres « joies de vivre ».

Quand le couple Thorez-Vermeersch attribue à la bourgeoisie en théorie ou en pratique des conceptions « néo-malthusianistes » entravant soi-disant la procréation naturelle des masses laborieuses, il commet à la fois une gaffe théorique de premier ordre et une déformation criante de la pratique, de la réalité. Thorez, « théoricien » spécialiste de la « paupérisation » aurait dû savoir que l'arme de la « surpopulation relative », « l'armée de réserve industrielle », est le moyen le plus efficace aux mains des capitalistes pour agir sur la rémunération de la force du travail et « discipliner » le salariat. Il aurait dû savoir que la production capitaliste, qui, selon Marx[11] « ne saurait se contenter de la quantité de force de travail disponible fournie par l'accroissement naturel de la population » (souligné par nous), crée « l'armée de réserve industrielle » afin de pouvoir « fonctionner à son aise », indépendamment de la limitation naturelle de la population.

Une stricte politique « malthusianiste » de la part du prolétariat — hypothèse toute théorique car elle est contrecarrée par tout un ensemble de facteurs — aurait entre autre comme conséquence d'imposer au capital le maintien du plein emploi et de surévaluer de toute manière le prix de la force du travail.

Mais voyons de plus près les véritables opinions de Marx sur Malthus ainsi que sur les rapports qui existent entre la production capitaliste et la natalité des classes laborieuses. On a l'impression que Thorez ne connaît Malthus que de deuxième main. Car en réalité Malthus. tout en ayant été pour la limitation des naissances « chez les pauvres », fixait à six enfants la moyenne normale pour chaque famille, chiffre rarement atteint actuellement. Il n'était d'autre part nullement contre le mariage des ouvriers et leur procréation.

« Malthus lui-même, écrit à ce propos Marx[12], malgré son esprit borné, reconnait que la surpopulation, qu'il interprète cependant comme un excédent absolu et non pas comme un excédent relatif de la population ouvrière, est une nécessité de l'industrie moderne. » (Souligné par nous.)

Marx a étudié à fond les formes diverses de la surpopulation encouragée et créée par le fonctionnement naturel de la production capitaliste. C'est à propos de cette étude qu'il a eu l'occasion d'expliquer et de souligner plusieurs aspects de la question comme par exemple la tendance du capital dans son évolution à avoir besoin « de plus d'ouvriers jeunes que d'ouvriers âgés ».

Quelles en sont les conséquences ? « Les générations ouvrières doivent se succéder rapidement... Ce besoin social trouve satisfaction par les mariages précoces, conséquence inévitable des conditions où vivent les ouvriers de la grande industrie, et par les primes allouées a la procréation par l'exploitation des enfants d'ouvriers. » (Souligné par nous.)

La paupérisation de la classe ouvrière favorise, selon Marx, la procréation, ainsi que le pensait déjà Adam Smith. « En réalité, la masse des naissances et des décès, comme aussi la grandeur absolue des familles, est en raison inverse du montant du salaire et par suite de la somme des moyens de subsistance dont disposent les diverses catégories de travailleurs.

« Cette loi de la société capitaliste serait considérée comme une insanité chez les sauvages ou les colons civilisés. Elle rappelle la reproduction en masse de certaines espèces animales individuellement faibles et sans cesse pourchassées par l'homme. » (Souligné par nous.)

La production capitaliste avec toutes ses implications joue ainsi, selon Marx, non pas à rencontre de l'accroissement naturel de la population, mais comme un puissant stimulant supplémentaire ; d'où, d'après lui, « l'insanité » de la « sagesse » de certains économistes et sociologues, peu avertis de la vraie nature de la production capitaliste, qui demandent que les ouvriers adaptent « leur nombre aux besoins de mise en valeur du capital ».

« Le mécanisme de la production capitaliste, répond Marx, et de l'accumulation opère constamment cette adaptation. » Dans quel sens ? « Le début de celte adaptation, c'est la création d'une surpopulation relative, la fin en est constituée par la misère de couches sans cesse grandissantes de l'armée active et le poids mort du paupérisme. »

En réalité, il n'y a pas de « théoriciens » bourgeois qui ne se soient penchés sur les nécessités de la production capitaliste sans avoir insisté sur le besoin d'une procréation libre de la classe ouvrière et sans l'avoir encouragée. Quant à l'attitude pratique de la bourgeoisie sur cette question, on la voit bien par la position, en la matière, de l'Eglise catholique et de porte-parole aussi éminents que Mussolini, Hitler, Pétain, de Gaulle — tous propagandistes outranciers de la prolifération sans entrave des classes laborieuses et de lois répressives contre les femmes s'efforçant d'échapper à leur « droit à la maternité » et à ses « joies ». Le couple Thorez-Vermeersch, à la pointe de la lutte contre les « néo-malthusianistes réactionnaires », se trouve il faut bien le dire — en étrange compagnie !

La lutte des marxistes contre le « malthusianisme » ou le « néo-malthusianisme »[13] a été depuis toujours (aussi bien chez Marx que chez Lénine) centrée sur le caractère effectivement réactionnaire de ses considérants « théoriques » justifiant la limitation des naissances et sa position, à cause précisément de ses considérants faux envers le socialisme[14].

Mais le contrôle et la limitation des naissances en régime capitaliste et en régime socialiste — aussi longtemps que les ressources de l'Etat prolétarien ne permettent pas une véritable libération de la famille « petite entreprise privée » — n'ont jamais été combattus par les marxistes, sauf par Staline et les staliniens depuis 1936[15].

Voilà qui devait être clair.

Le « droit de la femme à la maternité », avons-nous déjà écrit, ne peut être interprété par les marxistes que comme le « droit à la maternité volontaire ». C'est à la femme seule de décider si elle veut avoir un enfant, si elle veut éviter la conception, si elle veut recourir à l'avortement. La question n'est pas de déclencher une campagne pour la « dénatalité », mais d'admettre pour la femme le « droit à la maternité volontaire » et de lui procurer les moyens de le satisfaire. Y a-t-il du reste une autre manière de manifester à l'égard de la femme le respect de sa personne, de sa maturité, de sa responsabilité, que de la laisser libre de ses décisions ?[16]

Dans les conditions concrètes du capitalisme, de salaires de misère (selon l'avis même de Thorez), de logements sordides, composés souvent d'une seule pièce, de la position à beaucoup d'égards encore si inférieure de la femme par rapport à l'homme, il est du devoir élémentaire d'un parti qui se dit révolutionnaire de prendre l'initiative de lutter pour l'abolition des lois répressives de l'avortement, pour l'avortement légal dans les meilleures conditions hygiéniques possibles, pour l'emploi libre et généralisé de l'éducation et des moyens anticonceptionnels.

Ce dernier mot d'ordre acquiert toute son importance quand on tient compte :

  1. qu'effectivement la pratique des avortements (surtout répétés et faits dans de mauvaises conditions) est dangereuse et nuit à la santé de la femme ;
  2. que la science peut, et surtout pourra effectivement faire éviter des conceptions non désirées.

L'acharnement que met le couple Thorez-Vermeersch à combattre la pratique du birth control est à première vue incompréhensible et enveloppé dans les « arguments » les plus confus, les plus hétéroclites, qui frisent — nous nous en excusons — l'imbécilité toute simple.

Le birth control « n'assure pas un logement aux jeunes ménages », écrit avec beaucoup d'aplomb M. Thorez[17]. Certes, mais il peut assurer un peu plus de place dans les logements actuels, les « meublés » d'une pièce à Paris et ailleurs, que le camarade Thorez, espérons-le, connaît bien. Le birth control peut éviter que la vie ne devienne un véritable enfer dans les conditions matérielles actuelles qu'impose le capitalisme aux ménages ouvriers et à leurs enfants.

Le birth control « ne donne pas à la mère de famille les moyens d'élever convenablement ses enfants », écrit encore Thorez. Certes, mais il lui donne plus de moyens d'élever mieux quelques enfants, en en évitant d'autres.

Thorez brandit le spectre de voir les « allocations familiales supprimées » comme « au Japon » où le birth control s'accompagne « de mesures fiscales anti-natalistes ». On ne voit pas vraiment le rapport de cause à effet strict dans cet exemple. On peut bien être pour le birth control et contre ces mesures fiscales.

Le birth control est « un leurre pour les masses populaires », écrit de son côté J. Vermeersch dans France Nouvelle. Que son parti lutte donc pratiquement pour qu'il devienne dans une certaine mesure déjà « une réalité ».

Le Parti communiste français pratique en fait une politique réformiste sur des questions politiques capitales, celles du pouvoir, par exemple, ou de son attitude envers les luttes émancipatrices des peuples coloniaux. (Voir actuellement l'Algérie.) Il ne garde sa phraséologie soi-disant « gauchiste » que pour s'opposer à des campagnes, de caractère limité certes sur le plan pratique mais non moins révolutionnaire en réalité sur le plan culturel, comme ce serait le cas avec une vraie campagne pour le « droit à la maternité volontaire » de la femme.

Le fond de la politique stalinienne est conservateur, réformiste et petit bourgeois malgré les apparences verbales de « bolchevisme ». Il se manifeste clairement non seulement en matière de politique pure, mais également en matière de questions d'ordre social et culturel.

Une dernière question se pose cependant encore :

Il est déjà honteux que le P.C.F. dirigé toujours par le couple Thorez-Vermeersch ait laissé à d'autres courants et personnalités d'opinion libérale l'initiative d'une telle campagne. Qu'il continue à freiner cette campagne, sinon à s'y opposer au nom d'une argumentation « théorique » des plus confuses, ne saurait que soulever des suspicions légitimes quant à ses véritables motifs. Car on comprend mal l'importance donnée en ce moment par le couple Thorez-Vermeersch à cette campagne, menée d'une telle manière confuse, sauf si on émet l'hypothèse qu'il s'agit là délibérément d'une opération de diversion pour ne pas centrer la discussion sur les questions de la « déstalinisalion » et de l'Algérie par exemple.

Honni soit qui mal y pense, mais force nous est donné de supposer que telle est peut-être l'explication de cette opération. Elle polariserait d'autre part toute l'opinion stalinienne et conservatrice sur ces questions du P.C.F. autour du couple Thorez-Vermeersch, actuellement engagé dans une lutte pour sa survie politique.

Mai 1956

  1. Écrites toutes ex cathedra, dans un style axiomatique, rappelant les fâcheux souvenirs d'un homme nommé Staline. C'est là une manière d'éviter une analyse plus profonde en la remplaçant par des postulats.
  2. La révolution trahie.
  3. Cette conception d'Engels rejoint en réalité celle de Lénine que Thorez cite à profusion pour sa position contre « l'amour libre ». Comme Engels, Lénine s'élève contre des rapports éphémères et simultanés, sans considérations pour leurs conséquences sociales (enfants) et les nécessités de la lutte politique pour la Révolution et le Socialisme en une période comme celle que traversait la Russie au lendemain de la Révolution. Comme Engels, Lénine croit au caractère monogamique, excluant d'autres rapports simultanés, du lien basé sur l'amour sexuel. Il demande d'autre pari aux jeunes surtout d'exercer sur eux-mêmes une certaine discipline eu période révolutionnaire, afin que le principal, la lutte pour la révolution et le socialisme, ne soit pas submergé par un érotisme déchaîné et égoïste.
    Lénine s'élève contre les « mariages » d'un jour ou d'une semaine, à la « bohème », si à la mode au lendemain de la Révolution d'Octobre dans les rangs des Jeunesses Communistes, laissant souvent la mère avec un enfant qu'elle abandonnait ou remettait à son tour à l'Etat.
  4. Comme c'est le cas aussi pour la famille.
  5. Aveux de la Pravda, en 1936, cité par Léon Trotsky dans La Révolution trahie.
  6. L. Trotsky, La Révolution trahie.
  7. 7 Ibid.
  8. 8 Ibid.
  9. Troud, 27 avril 1936.
  10. L. Trotsky, La Révolution trahie.
  11. Le Capital, Tome IV, p. 101 (Edition Costes).
  12. Le Capital, Vol. IV, Edition Costes, chapitres sur la Surpopulation relative. Toutes nos autres références à Marx sont empruntées à ces chapitres.
  13. Qui date des années 1880, avec la création de la Malthusian League et sa propagande.
  14. Les marxistes ont combattu la soi-disant « loi physiologique » de Malthus qui attribue une progression géométrique à l'accroissement de la population face à une progression arithmétique de la production des moyens de subsistance. Malthus en déduisait un déséquilibre croissant entre la population et les subsistances, qu'il voulait combattre par la limitation des naissances « chez les pauvres » en particulier.
    En rendant les travailleurs responsables de leur misère parce que soi-disant il se montrent imprévoyants, se mariant trop tôt et ayant beaucoup d'enfants, les « malthusianistes » déplacent la question et protègent le capitalisme, principal responsable de cet état de choses. Leur myopie théorique les empêche de comprendre le caractère historique propre au capitalisme de leur soi-disant « loi éternelle » de la population, et les moyens de la dépasser. Durant tout le 19e siècle leur doctrine a servi comme argument « théorique » pour combattre « tout plan d'organisation socialiste ou communiste et même toute réforme tendant à améliorer la condition des pauvres, parce qu'on disait qu'elles ne pourraient pas avoir d'autre effet que de multiplier les co-partageants en même temps que la masse à partager, et par conséquent ne serviraient à rien » (Histoire des doctrines économiques, Ch. Gide et Ch. Rist, Paris).
  15. Thorez le reconnaît implicitement quand il admet que le Parti communiste français « n'a corrigé » sa position « antérieure erronée » (favorable à la limitation des naissances) qu'à partir de son congrès de Villeurbanne tenu en 1936. (Intervention de Thorez au Comité Central du 9 mai 1956, l'Humanité, 12 mai 1956).
  16. Nous n'insistons pas sur le contenu que le « droit à la maternité volontaire » acquerra incontestablement dans une véritable évolution socialiste, c'est-à-dire civilisée, de la société. La femme est vue encore, même par des marxistes avancés, à travers une optique séculaire d'hommes, à savoir comme un être qui soi-disant n'a pas les mêmes besoins sociaux et sexuels que l'homme (sinon plus).
    La femme, dans son effort pour une vie sociale et sexuelle plus complète, bute sur un obstacle physiologique : la maternité.
    Il n'est pas difficile de comprendre que la femme du socialisme interprétera le « droit à la maternité » dans le cadre du « droit à une vie sociale et sexuelle plus complète », que la société lui refuse encore.
  17. « Lettre au camarade Derogy ».