Ouvriers, Paysans et Soldats italiens !

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Le manifeste Aux ouvriers et paysans italiens, premier appel de ce type du SPE, paraîtra dans une certaine confusion. Marcel Hic avait pris sur lui de répliquer sur le champ au coup de théâtre de la chute de Mussolini en publiant, le 30 juillet, dans un numéro spécial de La Vérité, un manifeste portant la signature du SE (Fac-similés de La Vérité 1940-1944, p. 119). Le SPE n’accepta pas d’être placé devant le fait accompli, et ne voulut pas laisser se créer un précédent. Il n’hésita pas à faire paraître une résolution, datée du 8 août 1943 (Quatrième Internationale, n° 1, août 1943), informant qu’un manifeste avait été publié en son nom « à la suite d’une procédure irrégulière ». Tout en étant en accord avec le fonds politique du manifeste, « le SPE le considère comme incomplet et mettant inopportunément en avant le mot d’ordre de l’Assemblée constituante » (Ce n’est pas exactement cette formule qui se trouve dans le texte, mais celle de la Convention nationale.). En conséquence, il décide « d‘arrêter la diffusion du manifeste » et de publier un nouveau texte, celui que nous reproduisons ici. L’incident est significatif, soulignant la volonté du SPE d’affirmer son existence et de faire prévaloir une activité collective. Il n’existe pas, au demeurant, une différence très notable entre les deux versions du manifeste, en dehors de la disparition du mot d’ordre de la Convention nationale, sans que, pour autant, les revendications démocratiques soient négligées. (oodolphe Prager ; Les Congrès de la IVe Internationale, tome 2)

Après avoir opprimé et exploité, brimé et spolié, sacrifié et saigné le peuple italien pendant vingt années, le fascisme vient en 24 heures de disparaître de la scène politique italienne. Le peuple italien tout enter est dans la joie : le départ de Mussolini ne peut signifier pour lui que le début d’une ère nouvelle, ne peut signifier que la paix, ne peut signifier que la liberté, ne peut signifier qu’un travail paisible et du pain.

Il est vrai que Victor-Emmanuel, qui, il y a trente ans, appela Mussolini au pouvoir, reste en place et fait l’important ! Il est vrai que Badoglio, un des serviteurs fidèles de Mussolini prend en main les rênes du pouvoir ! Il est vrai que l’état de siège est proclamé ; les rassemblements sont dispersés ; les grèves interdites ; la police est autorisée à faire usage de ses armes ! Il est vrai qu’on proclame que la guerre continue ! Il est vrai que la milice fasciste subsiste, intégrée à l’armée ; il est vrai que les grèves sont réprimées comme par le passé !

Mais chacun sent que derrière ces gestes autoritaires se dissimule la pire faiblesse. Le Maréchal crie « Jusqu’au bout ». Mais il se prépare à capituler. Il annonce les pires mesures contre quiconque troublera l’ordre mais partout on manifeste, on discute ; partout on est dans l’attente de la fin définitive de ce cauchemar.

Est-ce pourtant vraiment la fin ? La bourgeoisie italienne s’est débarrassée du fascisme en 24 heures, comme on met à la porte un valet menteur et voleur. Elle a ainsi démontré que le fascisme n’était rien d’autre qu’un simple instrument entre ses mains. Elle a réduit à néant tous les bavardages sur l’Etat nouveau, sur le socialisme mussolinien, sur la 4ème Italie. Mais en même temps, elle a démontré qu’elle était prête à se débarrasser d’un serviteur devenu gênant, à renoncer au super gendarme fasciste, pourvu qu’elle continue à régner, opprimer et exploiter. Elle a démontré qu’elle était prête à signer un compromis pourvu que soit préservé son droit au profit. Mais tant que subsistera la domination de la bourgeoisie, tant que la Montecatni et Ansaldo, tant que la Fiat et les agrariens resteront les maîtres de l’Italie, tant que les généraux et les politciens gouverneront en leur nom, rien ne sera changé pour le peuple italien.

De nouveaux coups de théâtre vont-ils changer cela ? La capitulation devant les Alliés va-telle libérer définitivement le peuple italien ? M. Churchill a tenu sur ce point à ne pas laisser aux ouvriers, paysans et soldats italiens la moindre illusion. Il a défini la mission des Alliés comme une « immense tâche de police ». Il a expliqué que les Anglais et les Américains se garderaient bien, par des méthodes brutales, de susciter le désordre et l’anarchie, c’est-à-dire le mécontentement populaire, qu’ils agiront au contraire, par la pression et le chantage pour amener un gouvernement fort à mettre à leur disposition les ressources de l’Italie et permettre de continuer la guerre contre l’Allemagne dans de meilleures conditions.

Vous entendez ! Continuer la guerre, maintenir l’ordre, assurer la police ! C’est le langage de Badoglio, le langage de Mussolini qui continue. Le général Alexander[1] en Sicile n’a-t-il pas d’ailleurs demandé aux fasci de venir se mettre sous sa protection ? Il faut préserver les précieuses troupes de l’ordre et de la réaction capitaliste.

A Alger déjà, les Anglo-Américains ont montré comment ils entendaient libérer les peuples ; ils n’ont ouvert les prisons que pour verser les condamnés politiques dans l’armée ou les bataillons du travail : ils n’ont substitué au régime de Vichy qu’un autre régime de Vichy où règnent les mêmes réactionnaires, les mêmes généraux et les mêmes agents de la haute finance. Le rationnement, les salaires de famine, le marché noir, tout cela continue.

Non, ce n’est pas cela que veulent les masses populaires italiennes. Ce qu’elles veulent, c’est manger à leur faim, c’est être libre afin de parler, de lire et de chanter ; ce que veulent ses soldats, c’est rentrer chez eux ; ce que veulent ses paysans, c’est être débarrassés des agrariens ; ce que veulent ses ouvriers, c’est voir cesser une exploitation éhontée, c’est retrouver le droit de revendiquer et de se défendre par l’action syndicale et par la grève.

Mais cela, les ouvriers italiens ne l’obtiendront que par leur propre action. Ni la guerre de Badoglio, ni celle de Churchill n’est leur guerre. La seule guerre qu’ils veulent mener, c’est la guerre aux capitalistes, aux agrariens et aux fascistes : c’est la guerre à tous ceux qui entreprendront de défendre les gendarmes et les profiteurs de l’ordre. C’est la guerre qui se mène, à l’usine, à la ville, au village, contre le patron, le propriétaire foncier, le cacique en chemise noire. Vingt années de souffrance, d’humiliation, de terreur doivent être vengées. Elles seront vengées !

OUVRIERS, PAYSANS ET SOLDATS ITALIENS !

Vous vous préparez à l’action ! Vous ne laisserez pas passer dans la rue un seul cacique, pas un seul sbire fasciste sans lui rendre coup pour coup tout ce qu’il a fait endurer à vos frères et à vous depuis vingt ans.

Vous exigerez que Mussolini, que Ciano[2] et ses hiérarques du part, que Gayda[3] et ses propagandistes soient immédiatement traduits devant un tribunal du peuple.

Vous exigerez la démobilisation immédiate de toute l’armée, le rapatriement immédiat de tous les prisonniers, le licenciement immédiat de toute la milice et la police.

Vous exigerez la libération immédiate et l’amnistie pour tous les antifascistes exilés, emprisonnés ou en résidence forcée, la liberté d’organisation pour tous les parts politiques.

Vous exigerez l’augmentation immédiate des salaires et la réduction des temps de travail. Vous imposerez le respect du droit syndical et du droit de grève, en recourant chaque fois que cela sera nécessaire à la grève pour l’imposer.

Vous imposerez le contrôle populaire sur le ravitaillement et les marchés, la fermeture des restaurants de luxe, etc. Vous exigerez la libre parution de la presse ouvrière, sans contrôle ni censure de qui que ce soit.

Vous exigerez des élections immédiates à une Convention nationale ouverte à tous les Italiens et Italiennes de plus de 18 ans, à l’exception de tous les anciens dignitaires du part fasciste.

Vous exigerez la signature immédiate d’une paix sans indemnités ni annexions. Vous vous opposerez à toute participation, directe ou indirecte, de l’Italie à la guerre impérialiste. Ces revendications sont celles du peuple italien tout enter. Elles ne sont pas celles des capitalistes et des généraux. Elles ne sont pas davantage celles de Churchill et de Roosevelt. Il faudra luter pour les imposer. Dès maintenant, il faut partout, dans chaque usine, dans chaque village, préparer la grève générale pour ces objectifs. Il faut que, dans chaque usine, dans chaque village, le plus grand nombre possible d’ouvriers, de paysans, d’antifascistes, se réunissent, confrontent leurs idées, leurs opinions, serrent les coudes, se préparent à l’action. Il faut qu’ils désignent les meilleurs d’entre eux pour élaborer un plan concret d'action, des mots d’ordre d’immédiat. Il faut que ces Comités d'action prennent contact d’usine à usine, de ville à ville, de province à province. Il faut dresser un front puissant de tous les ouvriers et de tous les paysans : il faut une direction nationale des lutes.

Dans cette lute, vous ne vous heurterez pas seulement demain aux politiciens séniles d’une bourgeoisie décrépite, aux forces armées de la police et de la réaction. Vous trouverez en face de vous l’armée anglaise et l’armée américaine. Souvenez-vous que si Churchill et Roosevelt sont vos ennemis, les soldats anglais et américains doivent devenir vos alliés ; fraternisez avec eux, montrez-leur qu’en se faisant les instruments de la réaction en Europe ils préparent le triomphe de la réaction dans leur propre pays. Invitez-les à lutter à vos côtés contre les exploiteurs et les oppresseurs, les affameurs et les massacreurs, par-delà les champs de bataille, par-delà les frontières, tendez la main aux prolétaires de toute l’Europe. Montrez-leur la voie. Que l’Italie lève le flambeau de la révolution socialiste véritable.

Car c’est de cela en définitive qu’il s’agit : de reprendre la lute interrompue en 1923, de la mener jusqu’à la victoire. Demain, à nouveau, les prolétaires italiens devront occuper les usines et les grands domaines. Demain à nouveau, les Ardit del Popolo[4] se lèveront pour briser la tentative de la réaction.

Mais l’expérience d’une révolution manquée en 1920 a enseigné au prolétariat italien que la lute révolutionnaire ne saurait s’arrêter avant la victoire totale et définitive, avant la conquête totale du pouvoir pour le prolétariat, avant le triomphe mondial du socialisme. C’est pourquoi la lute qui s’engage aujourd’hui n’est pas seulement pour les libertés, pas seulement une lute pour la grève générale et le contrôle ouvrier, mais une lute pour l’instauration du pouvoir des ouvriers et des paysans.

Les Comités d'action doivent devenir les organes véritables du pouvoir ; de leur congrès doit sortir le gouvernement des ouvriers et des paysans qui expropriera les expropriateurs, nationalisera les usines, donnera la terre aux paysans travailleurs, règlera la production non pour le profit mais pour le bien- être de tous, garantira le règne des masses travailleuses, tendra la main au prolétariat mondial pour que naissent les Etats-Unis socialistes du monde.

Pour mener victorieusement cette lute, le prolétariat ne peut faire confiance ni aux vieux parts de la démocrate libérale, ni aux bavards socialistes qui n’ont su que capituler honteusement devant le fascisme. Il ne faut pas davantage faire confiance au Part communiste, dont le rôle n’est plus aujourd’hui que de se servir de la classe ouvrière pour défendre par tous les moyens la domination d’une bureaucrate qui a usurpé l’héritage d’Octobre et décore ses privilèges du nom de socialisme. Non, le prolétariat ne peut et ne doit avoir confiance qu’en lui-même. Dans le feu des lutes surgira le part révolutionnaire qui le conduira à la victoire. Les meilleurs militants, les militants les plus audacieux, les plus combatifs se rassembleront autour du programme de la révolution permanente, autour du drapeau de Lénine et de Trotsky. Ils rejoindront les rangs de la Quatrième Internationale.

PROLETAIRES ITALIENS !

Vous n’avez à perdre que vos chaînes ! Vous avez un monde à gagner : la voie de la révolution socialiste vous est ouverte. Marchez-y délibérément ! Les prolétaires révolutionnaires du monde enter n’attendent que votre exemple. La Quatrième Internationale les ralliera à vos côtés.

  1. Harold Alexander (1891-1969), général, dirige l’évacuation de Dunkerque des troupes britanniques, commande en Méditerranée puis en Sicile en juin et en Italie en septembre 1943.
  2. Comte Galeazzo Ciano di Cortellazo (1903-1944), diplomate, gendre de Mussolini, ministre des affaires étrangères en 1946, membre du Grand conseil fasciste, ambassadeur au Vatican, il abandonne en 1943 son beau-père qui le fera fusiller.
  3. Virginio Gayda (1895-1944), directeur d’Il Giornale d'Italia et l’un des plus virulents propagandistes du fascisme.
  4. Virginio Gayda (1895-1944), directeur d’Il Giornale d’Italia et l’un des plus virulents propagandistes du fascisme.