On a ouvert à nouveau la Douma

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


On ne peut accuser la politique russe de manquer de diversité. Les ministres changent si souvent que l’on raconte qu’un ministre en titre prend par erreur les galoches de celui que l’on a renvoyé hier. Auparavant la Douma cherchait vainement chez les ministres un « langage commun ». C’est maintenant le tsar qui cherche à parler aux ministres avec la même langue. Ce n’est pas si simple; il faut au tsar un langage peu compliqué. Et voici que les vieux courtisans, les dames de compagnie avec leurs tabatières, des passants en soutane et même sans tunique cherchent, nuit et jour, un ministre peu compliqué. Qui cherchez-vous ? leur demande-t-on du Comité Gouvernemental : – Eh bien, voyez-vous, un… il nous faut un idiot. – Si vous y tenez… – Nous y tenons. – Prenez le premier venu.

Les Alliés s’inquiètent. « Quel est le programme de votre nouveau ministre ? demandent-ils aux ambassadeurs russes. – Nous aurons le programme habituel, fabriqué à la maison, tout à fait valable. – Valable, dites-vous ? – Parole d’honneur… – Par exemple, avec les Juifs, comment agirez-vous ? – Avec les Juifs… dans l’esprit du temps et les recommandations de feu Raspoutine. – Les banquiers juifs américains ne sont pas contents, et vous savez que les U.S.A., c’est d’abord les munitions, et ensuite, c’est notre allié de demain… – Nous « refilerons » un bon pourcentage aux banquiers juifs, et ils cesseront de s’intéresser à leurs coreligionnaires. – Vous en êtes sûrs ? – Nous en avons déjà l’expérience… – Très bien. – Mais pourquoi votre russo-allemand Sturmer s’est rendu à Copenhague ? – Pour sa santé, elle n’est pas brillante… – A Copenhague ? – Pour respirer l’air marin. – Au Danemark ? Bien sûr, pour le climat. Hm… et quelque diplomate allemand ne se rendra-t-il pas là-bas, en tant qu’amateur du climat ? A cette réponse, l’ambassadeur russe commence à rouler les yeux. – Pourquoi un diplomate allemand ? Ah, au sujet d’une paix séparée ? Non, non. Nous n’avons même pas le droit d’y penser (ici, l’ambassadeur russe fait une « pose psychologique », pour bien souligner ce qu’il vient de dire, et préparer ce qui suit); – Vous savez d’un autre côté… nous n’avons pas d’argent… Vous êtes devenus bien peu généreux, Messieurs les Alliés. Fait-on la guerre les mains vides ? – C’est là la raison du voyage de Sturmer ? Vous voulez encore de l’argent ? – Nous en voulons. – Mais si nous vous en donnons, vous le dépenserez aussitôt; vous avez renvoyé votre Douma pour pouvoir voler sans contrôle. – La Douma ? Oh, ce n’est rien, nous l’avons chassée hier, demain nous la convoquerons. Et après-demain[1]… – Quoi, après-demain ? – Rien… Après-demain nous battrons les Allemands… » Après quoi, l’ambassadeur télégraphie et, pour 23 F 35 c, expédie ce télégramme explicite : « Convoquez la Douma. » Et le tsar de dire à ses courtisans et à ses dames d’honneur : « Trouvez-moi deux ministres : l’un, pour la séance d’ouverture de la Douma, l’autre pour la fermeture. » C’est ainsi que la politique russe se meut sur les chemins du progrès.

  1. Les télégrammes de la presse américaine : ils confondaient le Comité de la Douma et le Gouvernement Provisoire.