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Camarades, je suis désolé de ne pas pouvoir m’associer au déferlement d’amitié des camarades Walecki et Carr. Je suis ici pour vous dire, camarades, qu’il y a une bataille importante et fondamentale dans le parti, qu’elle dure depuis trois ans, et que ce que nous voulons c’est que l’Internationale communiste nous donne une ligne de conduite. Je parle ici au nom de la délégation de la minorité, au nom de toute la délégation de la Ligue d’éducation syndicale (Trade Union Educational League), au nom de la délégation de la Ligue des jeunes communistes (Young Communist League) auprès de l’Internationale de la jeunesse communiste.

Il n’est pas nécessaire de se lancer dans une analyse de la situation en Amérique. Je suis sûr qu’elle est suffisamment connue de vous, camarades, pour qu’il soit clair que nous ne sommes pas confrontés à une situation révolutionnaire. Les ouvriers américains n’ont pas de conscience de classe. Ils pensent et agissent dans la société comme des citoyens. La majorité d’entre eux votent pour les partis capitalistes. Les syndicats sont le reflet de cette situation ; ils sont réactionnaires et numériquement faibles. Ils n’ont jamais fait l’expérience d’une Deuxième Internationale. Ils ont rejeté Amsterdam à cause de sa phraséologie socialiste. Les seuls signes de révolte qu’ils manifestent, ce sont les rébellions armées dans lesquelles ils se lancent de temps en temps.

Vous avez entendu parler de Herrin, dans l’Illinois, où un groupe de mineurs syndiqués a abattu 18 ou 20 jaunes, et vous pensez que peut-être il y a une situation révolutionnaire. Mais ce serait une erreur. Ces gars se battent pour défendre ce qu’ils estiment être leurs droits, et quand ils traversent le pays pour aller à Mingo [théâtre d’une longue et sanglante grève des mineurs en Virginie occidentale], quand ils abattent des jaunes, ils font cela pour protéger leurs droits, qu’ils pensent avoir en tant que citoyens américains, et pas parce qu’ils sont en lutte contre le gouvernement. Il ne fait aucun doute qu’il y a un éveil de la conscience, et cet engouement pour un parti des travailleurs en est une manifestation.

Le camarade Carr a tort s’il pense que cela a commencé seulement avec l’injonction Daugherty. Est-ce que vous allez laisser de côté le fait qu’à Chicago, en mars dernier, s’est tenue une convention pour discuter d’action politique ? La convention n’était pas très claire, en terme d’idées, mais ce n’était pas un petit groupe. Il y avait le syndicat des mineurs, les syndicats de cheminots, les imprimeurs, les ouvriers de la confection, et les syndicats ouvriers nationaux. C’était la preuve incontestable d’une première tentative d’action politique de la part des ouvriers. Je soutiens l’idée d’un parti des travailleurs, quelque chose d’inspiré du Parti travailliste anglais. Voici la question à laquelle nous voulons que l’Internationale réponde : que devons-nous faire à ce sujet ? Quelles doivent être nos tactiques ? Nous avons une position claire, que nous allons soumettre à votre approbation. L’une des raisons pour lesquelles nous sommes ici à Moscou, déterminés à nous battre pour notre position, c’est que notre conception ne s’accorde pas avec la conception du camarade Carr et de sa fraction.

Nous disons ceci : si nous restons passifs ou inactifs sur la question du parti des travailleurs, nous nous apercevrons qu’il se développera progressivement, et que les autres éléments de l’aile gauche le feront avancer. Le résultat sera la cristallisation du parti des travailleurs. Ce sera un processus. A Chicago, la Federation of Labor prendra une position indépendante. Detroit, Seattle et Denver soutiennent cette manœuvre. Cela va s’étendre, et le parti des travailleurs se développera à travers ce processus. C’est l’une des tâches les plus importantes de notre parti que d’entrer immédiatement dans ce mouvement, d’être l’un des moteurs de ce mouvement, d’avoir un noyau à l’intérieur, et toujours d’œuvrer pour construire le parti des travailleurs.

Nous ne pouvons absolument pas nous emparer des postes dirigeants avant d’avoir pris le contrôle des syndicats. Même un gosse peut voir que nous ne pouvons pas prendre les syndicats. Il y a un danger qu’en Amérique nous laissions passer cette occasion comme nous en avons laissé passer d’autres, parce que nous devons mener bataille trop longtemps sur cette question simple, évidente, fondamentale. Nous risquons, en restant là assis tranquillement, que le Parti socialiste et les diverses franges radicales du mouvement syndical profitent de cette situation et emportent le morceau si nous ne nous activons pas. Nous ne voulons pas nous retrouver dans cette situation, ou pire encore. Imaginez par exemple que le parti des travailleurs est finalement lancé et se met à jouer un rôle important dans la vie politique des ouvriers – la naissance politique des ouvriers en Amérique, comme l’a dit le camarade Walecki – et que notre parti est à l’extérieur de ce mouvement, comme le Parti communiste en Angleterre, et que nous essayons d’entrer alors à l’intérieur pour avoir notre mot à dire.

Si nous n’agissons pas maintenant, c’est ce qui nous arrivera. C’est une des choses que le camarade Walecki a dû expliquer à ces gens. Depuis la convention [de Bridgman] dans la deuxième moitié d’août, qu’est-ce qui s’est passé de si formidable pour que le camarade Carr et ceux de son groupe aient changé d’avis, sinon qu’il est devenu évident pour eux que personne n’est favorable à leur position ? L’injonction Daugherty et les grandes grèves ne sont pas des faits nouveaux. Cela se passait déjà avant. C’est ce qui nous fait peur. Ce qui nous fait peur, c’est cette idée de passer rapidement sur les choses qui déchirent notre parti, sans changer le moins du monde l’attitude de nos adversaires. Nous avons voté sur toutes sortes de questions. Et ce que nous avons constaté, c’est qu’ils changent toujours de position, mais ils ne changent jamais d’opinion. Nous sommes tout à fait d’accord avec le camarade Walecki sur la question du développement du parti des travailleurs.

Venons-en maintenant à la question qui déchire notre parti, qui est une pomme de discorde depuis près de trois ans, la question d’un parti légal ou illégal. L’illégalité de notre parti est un énorme handicap. Nous avons le désavantage d’être un parti nouveau. Nous n’avons pas éprouvé nos dirigeants dans des luttes au grand jour. La première année d’existence, notre parti était clandestin et les masses ouvrières ne lui faisaient que très peu confiance. La classe ouvrière en Amérique a des illusions dans la démocratie. Elle ne comprend pas pourquoi nous sommes un parti clandestin, et elle ne manifeste pas à notre égard l’attachement qu’il faudrait qu’elle ait pour que notre parti joue un rôle dans la vie des ouvriers. Je le dis avec beaucoup de regrets : notre parti clandestin, au lieu de bénéficier de l’attachement des ouvriers et de les attirer vers lui, est considéré par les masses, dans une large mesure, comme une plaisanterie. Ils pensent qu’il est illégal parce que nous voulons qu’il soit illégal, et je dois dire que ceci est vrai pour la grande majorité du parti illégal.

Notre parti ne s’est jamais battu pour pouvoir fonctionner légalement. Nous avons été poussés dans la clandestinité pendant la première année de notre existence en tant que parti, et c’est à cause de cette existence dans l’illégalité que nous avons eu les résultats que nous avons mentionnés tout à l’heure. Il y a eu en Amérique des persécutions non seulement contre notre parti, mais aussi contre les syndicats, et aussi contre l’IWW (Industrial Workers of the World – Travailleurs industriels du monde). Il n’y a pas une grève en Amérique où les gens ne se font pas tirer dessus, tabasser et emprisonner, et pourtant les syndicats n’ont pas été poussés dans la clandestinité. L’IWW n’a pas été poussé dans la clandestinité. L’IWW, contrairement à notre parti, n’a jamais voulu accepter de se faire interdire. Ils sont revenus obstinément dans les locaux syndicaux dont ils avaient été chassés, et ils ont mené bataille pour le droit de les maintenir ouverts ; le résultat c’est qu’ils ont réussi à les maintenir ouverts dans beaucoup d’endroits du pays.

La terreur blanche en Amérique, dont on parle tant, n’a certainement pas le même degré d’intensité que dans les pays d’Europe où il y a des partis clandestins. La terreur blanche dont on entend tellement parler à Moscou, c’est une terreur blanche que ces camarades se sont mise dans la tête pour justifier leurs conceptions romantiques du mouvement. Ces persécutions n’en sont pas moins réelles. Le parti est illégal, il est clandestin. Nous ne considérons pas que c’est une solution d’adopter une résolution qui affirme que pour le moment le parti doit rester illégal, parce que personne ne la conteste, du moins dans notre fraction. Si on ne peut pas avoir de parti légal, je veux un parti illégal. Mais c’est négatif. Et pour l’avenir ? Il faut qu’il y ait une lutte déterminée pour un Parti communiste non clandestin, une lutte se donnant pour but de faire sortir le parti de la clandestinité.

D’ailleurs, la classe ouvrière d’Amérique soutiendra ce combat, mais elle ne soutiendra pas une organisation illégale qui ne se bat pas. Le fait même que la démocratie croit que la liberté de parole est un droit qui appartient à tout le monde en Amérique fera qu’ils soutiendront ça. L’IWW n’a jamais, à aucun moment de son histoire, eu autant d’influence sur l’ensemble du mouvement ouvrier qu’à l’époque où c’était une petite organisation qui menait ouvertement et publiquement son combat pour la liberté d’expression, contre toutes les formes de répression. Beaucoup d’entre nous qui sommes ici avons participé à ce mouvement. Nous savons que cela rencontrera un écho dans les masses laborieuses. Dans tous les syndicats on nous écoutera. Je ne sais si ces camarades veulent nous accuser d’être des liquidateurs et des légalistes en Amérique, mais dans notre fraction il n’y a personne qui ait un tant soit peu d’influence dans l’organisation et qui porte en lui un quelconque légalisme, ou du respect pour les lois du pays, ou qui ait de quelconques illusions dans les possibilités du mouvement légal. Ce sont des hommes qui travaillent ouvertement dans la lutte de classe, au grand jour, qui veulent utiliser toutes les possibilités qu’on peut trouver, ou pour lesquelles on peut se battre, pour mener à bien notre travail. Nous ne disons pas que nous pouvons avoir un parti communiste légal. Nous ne le garantissons pas, mais nous allons nous battre pour un parti légal. Je veux que l’Internationale communiste dise ce qu’il y a d’erroné dans ce programme. Nous ne disons pas que nous le pouvons, ou que cela va réussir.

Il y a trois résultats possibles. Après une dure bataille pour rallier à notre cause les larges masses des ouvriers, si nous avons les tripes, si nous-mêmes avons le courage de nous battre, il n’est pas du tout impossible que nous arrachions, pour un temps, une existence légale. Quelqu’un peut-il mesurer ce que cela signifierait pour nous, même si c’est pour un temps ? Le parti ne peut rien faire d’autre qui serait plus avantageux pour lui, ou qui lui gagnerait davantage d’amis dans la classe ouvrière. Nous perdrons peut-être cette bataille, c’est une possibilité, et je pense que le résultat le plus probable de cette lutte sera que nous arracherons une position semi-légale. Nous serons une organisation tolérée. Dans beaucoup d’endroits, nous aurons la possibilité de fonctionner sous notre propre nom. C’est en soi un avantage formidable, à tout point de vue. Cela nous libère de la nécessité de nous camoufler vis-à-vis des ouvriers, et cela nous fait apparaître comme un parti de combat, qui n’accepte pas les diktats des capitalistes qui voudraient contraindre le parti à la clandestinité. Il n’est pas certain que nous devions passer dans la clandestinité en tant que parti, mais si, après un combat dur et déterminé, notre parti est finalement contraint à la clandestinité, et que les ouvriers connaissent nos hommes, alors ils commenceront à croire dans le Parti communiste. Celui-ci cessera d’être un sujet de plaisanterie pour les ouvriers d’Amérique, qui ne pourront pas dire que c’est notre faute si nous sommes dans la clandestinité.

De toutes façons, quel que soit le résultat de ce combat pour la légalité, tout milite pour une lutte dure et déterminée, et de l’autre côté le camarade Carr n’a rien dit de substantiel là-dessus. Maintenant ces camarades, qui il y a quelques mois de cela étaient contre un parti légal par principe, ces camarades qui ne voulaient pas entendre parler de l’idée même d’un parti légal, parce que, affirmaient-ils, la révolution étant illégale, le parti doit être illégal, ces camarades ont changé de position mais pas d’opinion. Ils sont toujours illégaux par principe. Ils concèdent que ce serait une bonne chose d’avoir un parti légal en Amérique, et ils disent : « Comment allez-vous lutter pour un parti légal en Amérique ? »

Nous disons clairement que nous proposons de le faire en utilisant le parti légal que nous avons déjà en place. Nous l’avons dit [au groupe Workers Council] en réponse aux camarades qui voulaient alors un parti communiste non clandestin. Nous voulons que sa construction soit un processus. Nous considérons cela comme une étape dans le processus de formation d’un Parti communiste non clandestin. Nous disons, d’abord, qu’il faut transférer à ce parti toutes les opérations qui peuvent être menées au grand jour. Ensuite, donnons de plus en plus d’obligations et de responsabilités aux militants de ce parti légal, de toutes les manières possibles. Renforçons-le, et donnons-lui un caractère communiste à tout point de vue. Il faut qu’il apparaisse de plus en plus, devant les ouvriers, comme un partisan et un défenseur de l’Internationale communiste, et qu’il attire ainsi en même temps à lui des couches d’ouvriers de plus en plus importantes, il faut le transformer en un parti communiste qui deviendra la section de l’Internationale communiste. Le camarade Carr n’a pas dit un mot sur la question pressante dans le mouvement, la question de la lutte pour un parti légal en Amérique. Mais dans leurs conversations dans le parti, ils ont dit ceci : ils lutteront pour un parti légal en développant le parti clandestin, et en le faisant sortir de la clandestinité.

L’Internationale doit trancher sur cette question, parce qu’elle nous conduit à des batailles sur toutes les autres questions. On se rappelle bien comment la bataille s’était déroulée sur la question d’aller vers les organisations ouvrières et dans les syndicats. Nous disions, oui, voilà ce que nous proposons, parce que nous voulons mobiliser le plus de militants possible pour renforcer notre influence dans les syndicats. Conformément à notre théorie, nous voulons développer nos idées d’une action disciplinée dans le mouvement syndical. Nous voulons leur apprendre comment être des communistes dans l’action, les amener à lire notre programme. L’action disciplinée dans les syndicats, c’est une des méthodes. Ces camarades reviennent avec l’argument que cela dépouillerait le parti illégal de ses prérogatives.

Quand nous proposions de publier un manifeste sur l’insurrection de Mingo, quand nous avons voulu publier ce manifeste au nom du parti légal, ils ont avancé l’argument (le camarade Carr n’était pas là cette fois) que si l’on ne donne pas quelque chose à faire au parti illégal, le parti illégal va dépérir ; par conséquent, il faut publier le manifeste clandestinement pour donner à ce parti quelque chose à faire. Cela peut paraître ridicule ici à Moscou, mais ce n’est pas ridicule en Amérique.

La situation dans le parti est intolérable. Nous avons le numéro 1, qui est le parti illégal ; le parti légal est appelé numéro 2 ; et ces camarades disent, ils nous ont enlevé le numéro 1, mais nous, le parti clandestin, nous sommes le vrai Parti communiste, les autres ne sont pas du tout des communistes, et on ne doit pas les traiter comme des communistes. Ils veulent opposer les deux autorités l’une à l’autre. C’est ce que Carr laisse transparaître dans ses remarques. Ils laissent transparaître cela quand ils disent que le parti ne fait pas partie du mouvement communiste en Amérique. Ils le dénigrent systématiquement, à cause de leur conception qu’on ne peut pas avoir un parti légal en Amérique. L’hostilité envers les membres du Parti ouvrier se manifeste dans la proposition, la proposition inepte, d’exclure de ce débat les militants du Parti ouvrier d’Amérique parce qu’ils ne sont pas membres du numéro 1. Regardez cette mentalité, voyez comment on la retrouve partout dans le parti américain, et vous verrez que cette affirmation que l’affaire est réglée en Amérique, que cette question est réglée par la décision de la convention, n’est pas vraie.

J’ai dit tout à l’heure que beaucoup d’ouvriers pensent que notre parti est illégal parce qu’il le veut bien. Notre convention, il y a un petit peu plus d’un an, a insisté pour insérer dans les statuts du parti la clause suivante : « Le nom de cette organisation est le Parti communiste d’Amérique. Le Parti communiste d’Amérique est une organisation illégale, clandestine. » Et ils ont dit que quiconque ne souscrit pas à cela est un menchévik, parce qu’ils pensent, naturellement, que si le Parti communiste dit qu’il est illégal, alors il est illégal. Ils considèrent les militants du Parti ouvrier qui veulent travailler dans les syndicats à la même enseigne que les dirigeants syndicaux. Ils les considèrent comme autre chose que des vrais communistes, ils les voient comme des « spets ».

Je vais citer l’exemple des élections de Chicago. C’est là que notre organisation a quelques vrais dirigeants du mouvement ouvrier – du mouvement de gauche dans son ensemble. Nous avons un certain nombre de camarades impliqués dans le travail du parti dans l’industrie, tous capables, et qui jouissent de la confiance de larges couches d’ouvriers. Mais ce ne sont pas des communistes à 100 %, parce qu’ils ne sont pas à 100 % clandestins, et il faut qu’ils soient contrôlés par des communistes de qualité supérieure, qui font ce qu’ils appellent du « travail de parti ». Ces « travailleurs du parti » évoluent tous dans un petit cercle, et contrôlent ce qu’ils appellent le vrai Parti communiste. On n’a jamais entendu parler d’eux dans le mouvement syndical en Amérique.

Je n’ai pas besoin d’évoquer les thèses de Ford-Dubner. Ces thèses de Ford-Dubner [affirment] que la tâche la plus importante du Parti communiste en Amérique est de faire de la propagande pour une insurrection armée, et ont abouti à la conclusion qu’en Amérique, même si nous finissons par avoir un Parti communiste légal, nous devrons toujours avoir en son sein un parti illégal pour le contrôler. Ces camarades ont changé de position, mais pas d’opinion. On aura à nouveau les mêmes difficultés avec eux. Vous verrez qu’ils changeront de position, mais pas d’opinion. La crise dans notre parti découle de deux positions opposées : la conception d’un mouvement ouvrier de masse et la conception d’un travail séparé de la lutte de classe.

Prenons le cas de l’élection disputée d’un délégué de Minneapolis. Il y avait deux délégués en concurrence pour ce siège – un candidat de notre fraction, et un de l’autre fraction. L’homme que nous soutenions se trouvait être le président du comité de grève pendant la grève des cheminots à Minneapolis, un homme qui était à la tête du mouvement syndical à Minneapolis. L’autre était un petit commerçant, un travailleur du parti qui consacre tout son temps au parti clandestin. Le premier était actif seulement dans la lutte de classe ; le petit commerçant est un homme du parti, un communiste du numéro 1. Multipliez cet homme de Minneapolis par une majorité dans le parti, et vous aurez l’organisation en Amérique.

Oui, certaines des choses que je pourrais dire là-dessus sont presque trop pénibles à dire, même entre nous. Après trois ans de batailles pour avoir la possibilité de faire notre travail, nous sommes encore obligés d’aller à Moscou pour trancher la question. Ce n’est pas une scission, camarade Walecki, mais quatre scissions qui nous ont été imposées, et on va encore nous en imposer une nouvelle. Je pourrais continuer comme cela indéfiniment, pour contredire les pronostics à l’eau de rose comme quoi tout va bien dans le parti. Il y a ici un conflit qu’on ne pourra pas résoudre tant qu’on n’ira pas à la racine du problème.

J’ai une proposition, que je vais vous soumettre. Nous ne voulons pas de cette situation avec deux partis antagonistes. Nous voulons un parti légal avec en son sein un centre illégal, qui combatte consciemment et délibérément pour le droit du parti à exister au grand jour. Nous ne voulons aucune hostilité entre les organisations légale et illégale, ni entre leurs militants. Nous ne voulons pas au niveau local, comme c’est le cas actuellement, deux partis, un légal et un illégal, avec l’un qui contrôle l’autre. Dans notre travail local, de par la nature même des choses, l’homme qui contrôle [l’organisation] doit être un homme capable de faire quelque chose dans la lutte de classe. Il doit être un orateur, un combattant, un agitateur. On ne peut pas placer quelqu’un d’insignifiant à ce genre de poste. Mais selon l’autre théorie, nous devons aussi avoir dans l’organisation illégale un homme qui n’a pas besoin d’être un agitateur, ni d’être connu de quiconque, mais qui pourtant doit contrôler l’homme qui travaille dans la lutte de classe. Le Comintern doit nous aider à rectifier cela. Nous voulons un parti qui soit autant que possible un Parti communiste, et qui deviendra toujours davantage communiste. Pas quelque chose qui pourrait être non communiste, mais quelque chose qu’on transformera délibérément en un Parti communiste. Nous voulons non seulement un travail légal, comme l’a affirmé la résolution de la convention, mais une organisation légale, le développement d’un parti légal dans toutes ses activités et fonctions.

Certains d’entre eux disent que nous sommes dans l’organisation légale parce qu’on y est en sécurité. C’est injuste et faux, parce qu’en Amérique si on veut quelque chose de facile, on se tient à l’écart de la lutte de classe. C’est dangereux. On n’y est pas du tout en sécurité. C’est travestir les faits que de dire que ces camarades veulent quelque chose qui soit facile et pas dangereux. Vous verrez que nous nous battons pour cette conception, que nous nous sommes battus pour cela dans le passé, et que nous continuerons à le faire dans l’avenir. Nous sommes opposés à la politique actuelle dans la bataille contre les centristes. Nous disons que les centristes doivent être admis à entrer dans le parti légal et dans le parti illégal, s’ils veulent le faire sur la même base que nous, et nous ne les combattrons pas.

CARR [Katterfeld] : C’est la position de l’Exécutif du parti.

COOK [Cannon] : Je suis heureux de l’apprendre. Ils ne m’avaient pas mis dans la confidence.

Camarades, quelle est la raison fondamentale de cette position ? Après trois ans, il est temps pour nous d’être honnêtes et francs. Pourquoi avons-nous eu quatre scissions dans le parti ? Pourquoi avons-nous une section dans le parti qui fait campagne pour une scission, comme le fait le camarade Sullivan ? Pourquoi cette incapacité à faire les choses simples ? La grande majorité de nos militants sont nés à l’étranger, principalement en Russie, en Ukraine, en Lettonie, etc., et ils ne se sont pas assimilés. Ils vivent pour la plupart dans des colonies séparées, et leur vie est entièrement russe. Et la particularité de la situation, c’est que notre parti ne souffre pas de nationalisme américain, mais de nationalisme anti-américain. Il souffre des préjugés de ces camarades envers les ouvriers américains. Il y a une ambiance nettement anti-américaine. Je pourrais citer l’exemple du camarade Sullivan à Boston. Je leur ai parlé, lors du congrès, de ces discussions avec le Comité exécutif, qu’ils devraient devenir citoyens américains à part entière. Ils ont dit qu’ils étaient citoyens de Russie, et qu’ils ne voulaient pas devenir citoyens américains, et bien sûr ils ont dit que ma proposition était inspirée par des motivations patriotiques. C’est cela qui a provoqué toutes les scissions dans le parti, l’attitude inconciliable de ces camarades, le fait qu’ils refusent d’agir en termes de la vie américaine et de la situation américaine.

Toutes les questions dans le parti sont au fond une bataille pour le contrôle entre ces deux éléments inconciliables. Nous avons passé trois ans dans cette bataille futile. Nous en avons plus qu’assez de ces batailles. Nous sommes d’avis que l’unité ne nous aide pas à surmonter nos difficultés. Quand ces éléments étaient à l’extérieur du parti, nous avons réussi à en faire davantage que jamais auparavant. Nous avons réussi à organiser le parti et la Ligue d’éducation syndicale. Nous avons au moins essayé de faire quelque chose. Le camarade Sullivan vient ici à Moscou, et il démontre irréfutablement les faiblesses de la politique du camarade Walecki. Je ne conteste rien de ce que le camarade Walecki a proposé ici, sauf que ce n’est pas assez conclusif. Je suis désolé d’avoir dû objecter à cette politique d’unité. Le camarade Sullivan a démontré, depuis la tribune de l’Internationale communiste, que l’unité est impossible. J’aurais tendance à dire que plus que n’importe qui d’autre ici, le camarade Sullivan est le représentant d’une fraction. Je sais que les camarades de cette fraction l’ont envoyé plaider leur cause ici à Moscou.

Camarades, je suis ici pour vous dire, sans exagération, que la révolte gronde contre cette situation dans notre parti. Qu’il y a une détermination croissante, de la part de ses militants, à travailler pour le communisme dans la lutte de classe, de la part de ceux qui veulent construire un Parti communiste en Amérique pour cette lutte. Nous demandons l’assistance du Comintern, nous demandons qu’il nous guide sur la question en débat. De notre côté, il n’y a aucun danger de scission. Nous ne sommes pas ceux qui créent les scissions. Mais il y a un danger du côté de certains de nos partisans. Dans le mouvement ouvrier, nous avons repoussé des dizaines de milliers d’hommes. Maintenant ils reviennent, et ils se heurtent à cela, donc il y a un grand danger que des gens quittent le parti. Ce que nous voulons du Comintern, ce n’est pas de la diplomatie, mais une vraie direction politique, une prise de position claire sur cette question. Nous serons satisfaits. Ce que dira le Comintern sera la lumière qui éclairera notre chemin. J’ai ici une déclaration de notre groupe.