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Les Tâches du Biulleten

Selon les nouveaux statuts du parti qui ont porté à deux ans l'intervalle entre les congrès du parti dans l'intérêt de l'appareil usurpateur, le 16ème congrès devrait se tenir à la fin de cette année. Mais on n'a encore entendu parler d'un congrès. La discussion d'avant congrès devrait déjà être ouverte. Mais qui ose souffler mot de cela ? Comme avant, ce n'est que la Pravda qui discute ; elle parle pour elle-même et pour l'Opposition et prononce son verdict. Les arbitres actuels du destin choisissent comme moments des congrès ceux où il n'y a en essence rien à décider, c'est-à-dire après la fin d'une crise de direction et avant le début d'une autre. Mais il apparaît qu'il est de plus en plus difficile de trouver un trou entre deux crises de la direction "monolithique". Plus encore, même les plénums du, comité central se tiennent de moins en moins souvent à temps puisqu'ils gênent la mécanique organisationnelle du "secrétariat général". Le plénum de juillet a été complètement omis. Nous ignorons encore si celui de novembre a eu lieu. Le fait est que les plénums ne sont convoqués que quand on peut les mettre devant le fait accompli.

Il n'y aura de prochain plénum que si on peut lui présenter la liquidation de la droite par l'appareil. Ce n'est probablement qu'après cela qu'on fixera la date du 16ème congrès.

A une époque où l'industrie et l'appareil bureaucratique annoncent la semaine de travail continue, le parti ne peut au contraire planifier l'activité purement formelle que lui garantissent même les statuts mutilée qu'à des intervalles de plus en plus longs. Pourquoi ? Parce que l'appareil ressent non seulement de plus en plus le parti comme un fardeau, mais parce qu'il le craint. Et non sans raison : le million et demi de membres du parti, les deux millions de Komsomol réprimés par l'appareil sont réellement devenus une énigme, c'est sans doute le trait le plus terrible de la situation actuelle.

On tente d'hypnotiser, ou plutôt d'assommer le parti avec le plan quinquennal. Nous ne nions pas sa signification. Mais la question est posée comme s'il s'agissait d'un problème économique abstrait, de trouver une proportionnalité dynamique entre les divers aspects de l'économie. Le côté politique de l'affaire est réduit à une pression administrative sur le koulak et à la lutte de l'appareil exclusivement contre la déviation de droite. Nous le répétons, nous ne nions pas l'importance du danger koulak et ne sous-estimons pas le danger de la déviation de droite. Mais il y a une question plus vaste. Quel est le réel groupement des forces et des tendances dans le pays, quelles forces sont consciemment derrière le plan quinquennal, que pense cette grande force silencieuse, le parti ?

N'importe quel crétin de bureaucrate va répondre avec emphase que tout le prolétariat, tous les paysans pauvres, et tous les paysans moyens sont pour le plan quinquennal ; contre le plan quinquennal, il y a les koulaks, les producteurs privés, et les renégats de droite. On peut donner cette réponse "sociologique" à tout moment, de jour ou de nuit. C'est pour faire semblables exposés qu'il existe dans ce monde des Molotov et des Kaganovic.[1]

Le malheur est seulement que la théorie du secrétariat abolit la question même des sentiments réels des diverses couches de la paysannerie, des groupes à l'intérieur du prolétariat, formés sur la base de leur expérience réelle de vie, et les sentiments du parti lui-même. Ou plutôt, la "sociologie" bureaucratique, suivant la pratique de l'appareil, abolit le parti lui-même en tant que force vivante qui, de jour en jour, s'oriente dans une situations critique, pense aux processus politiques qui se sont produits dans le pays, avertit la direction du danger, la renouvelle, introduit les changements nécessaires dans un cours adoptés assure à temps les manoeuvres politiques, a conscience d'elle-même comme pivot du pays et est toujours prête à se battre pour les conquêtes d'Octobre. Cette première et nécessaire condition existe-t-elle ? Non. Autrement, le comité central aurait-il peur du parti et le secrétariat général du comité central ?

Le comité central ne connaît pas le parti, puisque le parti ne se connaît pas lui-même, car la surveillance du parti par des contrôleurs secrets ne remplace nullement la libre expression des idées dans le parti et, enfin et avant tout, parce que la peur que le comité central a du parti est doublée par la peur que le parti a du comité central.

Aucune direction juste n'est concevable sans information politique honnête, exactement comme la construction de chemins de fer est impensable sans la connaissance des contours du pays. La démocratie formelle a de larges sources et possibilités d'information du point de vue du règne de la bourgeoisie et dans l'intérêt de sa préservation. C'est là l'un des points forts de la démocratie bourgeoise qui lui a permis de se passer d'un régime d'absolutisme policier. La démocratie prolétarienne est confrontée à des tâches bien plus gigantesques que la démocratie bourgeoise. La première condition d'une direction juste de la république soviétique, encerclée par des ennemis très puissants et expérimentés, est l'information permanente, quotidienne, active, de la direction, par-dessus tout, évidemment, à travers un parti bien vivant. L'absence de démocratie du parti tue la démocratie soviétique. Tel est précisément maintenant l'état des affaires. La politique est faite dans l'ombre.

Le comité central vit sur les rapports de ses informateurs. Le parti vit de rumeurs. Le trait essentiel de l'état d'esprit du parti, ainsi que l'attestent toutes les lettres qui nous parviennent, c'est l'attente obscure et dans un grand trouble, des événements à venir. De quel type, ce n'est pas clair. L'appareil a brisé le parti et il ne se pense plus lui-même comme une force dirigeante. Le parti attend l'inattendu, à la fois directement de l'appareil et de derrière son dos. Les contradictions objectives et les dangers sont assez grands par eux-mêmes. Mais nous ne doutons pas une minute que les ressources et les forces internes de la révolution soient incomparablement plus fortes que ces contradictions et ces dangers. La première attaque ouverte de l'ennemi le prouvera avec une certitude absolue. Mais la pénombre de laquelle le parti ne peut pas émerger modifie et altère la physionomie des faits et phénomènes. Le danger parait plus grand quand il n'a ni forme ni nom. Le parti est maintenant confronté non par des dangers réels mais par leur ombre déformée et informe qui obscurcit les difficultés réelles.

Le parti doit savoir ce qui se passe autour de lui et avant tout dans ses propres rangs. L'actuelle Pravda anti-Boukharine répond aussi peu à la question de ce qui est, que la Pravda du temps où elle était contr8lée par le malheureux Boukharine. L'une des tâches de notre publication doit être d'informer le parti. Nous n'oublions pas une minute que les ennemis de classe nous écoutent. Malheureusement, les Bessedovsky de divers degrés de corruption et de déshonneur (ils étaient bien entendu tous au premier rang de la lutte contre le "trotskysme") fournissent maintenant à l'ennemi de classe une information non négligeable. La presse des Blancs grouille de révélations, desquelles émergent parfois, à travers la croûte des mensonges et des fabulations, des faits authentiques. Les choses vont incontestablement plus mal avec notre propre parti. On le dirige les yeux bandés. Briser les liens bureaucratiques est maintenant une question de vie ou de mort pour le parti et la révolution. C'est à cet objectif que doit servir notre publication. En la lançant, nous piétinons avec mépris les calomnies de Jaroslavsky. Nous n'identifions pas le parti et le secrétariat général, la dictature du prolétariat et les zigzags de Staline ou 1'I.C. avec la clique faible et insolente des Molotov, Manuilsky, Kuusinen[2], Martynov et autres saboteurs de la révolution internationale. Nous avons des critères plus sérieux. Notre politique reste une politique à long terme.

Le Biulleten est loin d'être ce qu'il devrait être et ce qu'il deviendra certainement : l'organe de combat de la gauche et en même temps celui d'une information juste et large du parti. Le fait que son siège soit obligatoirement à l'étranger ne contredit pas les objectifs généraux de l'Opposition de gauche que nous avons plus d une fois formulés comme des objectifs de réforme. Bien entendu, la tâche de la résurrection de la démocratie du parti ne peut être résolue que par le au authentiquement révolutionnaire du parti lui-même. Mais c'est précisément ce noyau qui a besoin d'un organe qui ne soit pas soumis à l'appareil stalinien, qui a besoin d'un bélier idéologique contre la bureaucratie centriste. Tel est le rôle que doit remplir notre Biulleten. Les neuf dixièmes de la solution dépendent de nos amis, de ceux qui sont en U.R.S.S. ou temporairement à l'étranger. Ils doivent se frayer un chemin vers nous. Ensemble nous devons frayer le chemin du Biulleten en Union soviétique. Nous avons besoin de correspondances, de lettres, d'articles, qui décrivent ce qui est. C'est seulement ainsi que nous pourrons décrire ce qui arrivera ou ce qui pourra arriver. Et c'est seulement la capacité de prévoir qui peut protéger le parti d'une confusion fatale au premier coup sérieux, lequel explosera, comme toujours, de façon inattendue pour la direction stalinienne.

Nous attendons de nos amis des efforts sérieux, dignes de confiance, systématiques, au service du Biulleten. Les obstacles sont grands, mais ils sont surmontables.

Nous avons besoin de coopération, nous avons besoin d'aide.

Nous avons besoin de comptes-rendus complets sur les faits.

Nous avons besoin d'aide pour faire entrer le Biulleten en Union soviétique.

Nous avons besoin d'aide matérielle.

Nous avons confiance dans votre réponse !

  1. Lazar M. Kaganovivc (né en 1893), cordonnier, vieux-bolchevik lié à Staline, après avoir dirige le parti en Ukraine, était devenu secrétaire du comité central.
  2. Dmitri G. Manuilskii (1883-1959), ancien collaborateur de Trotsky en exil, était devenu un homme de Staline, il était membre de l'exécutif de 1'I.C., ainsi que de son présidium et son principal porte-parole. Otto W. Kuusinen (1881-1964) vivait en U.R.S.S. depuis la tragédie de la révolution finlandaise de 1918, dont il avait été l'un des responsables. Il était depuis 1922 membre du présidium de l'exécutif.