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New Masses " défenseur " d'Octobre
Cher Ami,
J'ai reçu un exemplaire de la revue de New York, New Masses contenant des articles sur mon autobiographie et sur le suicide de Maïakovsky. Je ne regrette pas les quinze minutes que j'ai passées à me familiariser avec l'intelligentsia de gauche américaine. On trouve des revues comme celle-là dans plusieurs pays. L'une de leurs tâches importantes est, dit-on, de "défendre l'Union Soviétique". Voilà une entreprise en tous points digne d'éloge indépendamment de la question de savoir si MM. les "défenseurs" s'y sont lancés à partir de leur intime conviction ou - comme c'est souvent le cas - à partir de motifs moins élevés. Mais il serait absurde d'exagérer l'importance de cette défense. Ces groupes, assez variés dans leur composition, actifs d'un côté sur les franges de la bourgeoisie et de l'autre sur le prolétariat et n'offrent aucune garantie quant à leur propre avenir. Comme la majorité des pacifistes ne luttent contre la guerre qu'en temps de paix, de même ces "défenseurs" radicaux de l'Union Soviétique, ses "amis" radicaux des rangs de la bohème, rempliront leur mission tant qu'on ne leur demandera pas un réel courage et un authentique dévouement à la révolution. Ces qualités, ils ne les possèdent pas. Et où pourraient-ils bien les trouver ? Leur radicalisme a besoin d'une coloration protectrice. C'est pour cette raison qu'il trouve son expression principale dans la "défense" de l'Union Soviétique - défense d'un Etat possédant pouvoir, richesse et autorité. Il s'agit de défendre ce qui existe et est déjà réalisé. Pour une telle défense, il n'est pas du tout nécessaire d'être un révolutionnaire. On peut très bien rester un mélange d'anarchiste et de conservateur. Mais en même temps on peut apparaître comme révolutionnaire, trompant ainsi les autres et soi-même dans une certaine mesure. On en a vu l'exemple avec Barbusse et le journal français Monde. Du point de vue du temps, leur radicalisme est surtout orienté vers le passé. Du point de vue de l'espace, il est directement en proportion du carré de la distance de la scène de l'action. En relation avec leur propre pays, ces gens courageux ont toujours été et seront toujours infiniment plus prudents et évasifs qu'en relation avec les autres pays - surtout ceux de l'Est.
Le meilleur représentant de ce type, qui dépasse le reste de plusieurs têtes tant par ses dons que par son caractère, est indubitablement Maksim Gorky. Il a sympathisé pendant des années avec les bolcheviks et considéré leurs ennemis comme ses ennemis. Cela ne l'a pas empêché d'apparaÎtre dans le camp de leurs ennemis au temps de la révolution prolétarienne. Après la victoire de la révolution, il est resté longtemps dans le camp de ses ennemis. Il ne s'est réconcilié avec la république soviétique que quand elle est devenue pour lui un fait inaltérable - c'est-à-dire quand il put se réconcilier avec elle sans abandonner son point de vue foncièrement conservateur. Il y a de l'ironie dans le fait que Gorky a guerroyé contre Lenine à la grande période créatrice de Lenine, mais que maintenant, de longues années plus tard, il fait bon ménage, très pacifiquement, avec Staline. Que peut-on attendre de Gorkys à la taille d'un porte-plume ?
L'essence de ces gens de la gauche de la bohème ne bourgeoise est qu'ils sont capables de défendre la révolution que quand elle est accomplie et a démontré sa durée. En défendant la veille de la révolution ils prennent une attitude d'hostilité conservatrice à tous ceux qui pavent sa route pour son lendemain. L'avenir ne peut être préparé que par des méthodes révolutionnaires aussi étrangères à la bohème conservatrice que l'étaient les idées et mots d'ordre de la dictature du prolétariat la veille de la Révolution d'Octobre. Ces messieurs restent en conséquence fidèles à eux-mêmes et aux classes sociales qui les ont créés et nourris. De plus, en dépit d'un virage à gauche, vers les "nouvelles masses" (!), leur conservatisme a réellement grandi qu'ils s'adossent de nouveau - pas à la révolution d'Octobre, non ! - mais à un grand Etat comme une institution indépendamment de ses idées directrices et de sa politique. Ils étaient avec Lenine et Trotsky - soit dit en passant, pas tous - après cela ils ont étés avec Zinoviev, après ça avec Boukharine et Rykov, et maintenant ils sont avec Staline. Et demain ? Là-dessus ils s'exprimeront quand demain sera devenu aujourd'hui. Ils ont accepté tout changement dans le cours gouvernemental comme des fonctionnaires patriotes acceptent un changement d'uniforme. Il y a toujours des bureaucrates potentiels autour de la bohème. Ces gens sont des courtiers du pouvoir soviétique, non des soldats de la révolution prolétarienne.
L'Etat ouvrier, en tant qu'Etat, peut avoir besoin de tels personnages pour des objectifs temporaires, bien que j'aie toujours pensé que les épigones myopes exagéraient beaucoup le poids de ces groupes - exactement comme ils exagéraient la valeur de la "défense" de Purcell ou de "l'amitié" de Tchiang Kaï-chek. Quant à ces personnages eux-mêmes, je suis prêt à reconnaître qu'il vaut mieux être un courtier du pouvoir soviétique que des rois du pétrole ou des services secrets britanniques. Mais la révolution prolétarienne ne serait pas la révolution prolétarienne si elle permettait que ses rangs voient se répandre la confusion semée par un personnel aussi problématique, peu sûr, frivole et vacillant.
Leur trivialité morale assume une forme cynique et quelquefois insupportable quand, dans le rôle d'"amis de la famille", ils interfèrent dans les problèmes internes du communisme. Le numéro cité plus haut de New Masses (nom paradoxal, soit dit en passant, pour une publication de la bohême!) est un exemple typique. Ces gens, voyez-vous, pensent que mon autobiographie va servir la bourgeoisie contre le prolétariat, tandis que New Masses, Monde et autres publications de ce genre sont évidemment nécessaires au prolétariat contre la bourgeoisie. Cette aberration s'explique facilement. Jouant aux alentours des franges de deux classes hostiles et tournant continuellement sur leur axe, les Barbusse de tous les pays finissent par mélanger et ne plus savoir où est la bourgeoisie et où est le prolétariat. Leurs critères sont simples. Comme le travail de l'Opposition de gauche critique nettement la politique intérieure de l'Union Soviétique et la politique mondiale de l'Internationale Communiste, et puisque les journaux bourgeois exultent de cette critique et s'efforcent de l'utiliser, alors la conclusion est tout à fait claire: les courtiers sont dans le camp de la révolution et nous, Gauche communiste, dans le camp de ses ennemis ! C'est là la profondeur habituelle de la pensée politique qu'on trouve dans la bohème.
La bourgeoisie serait stupide si elle n'essayait pas d'utiliser les désaccords internes au camp révolutionnaire. Mais ces questions ont-elles été posées pour la première fois dans mon autobiographie ? L'exclusion du parti du président de l'I.C., Zinoviev et d'un des présidents du gouvernement soviétique, Kamenev, n'était-elle pas un cadeau à la bourgeoisie ? La déportation et plus tard le bannissement de Trotsky n'ont-ils pas donné à la presse bourgeoise du monde entier un thème bienvenu pour agiter contre la Révolution d'Octobre ? La dénonciation du chef du gouvernement, Rykov et de celui de l'I.C., Boukharine, comme des "libéraux bourgeois" n'a-t-elle pas été utilisée par la bourgeoisie et la social-démocratie ? Ces faits, portés à l'attention du monde entier, ont étés plus précieux pour la bourgeoisie que les réflexions théoriques ou les explications historiques de Trotsky. Mais quel intérêt la bohème anarcho-conservatrice a-t-elle dans tout cela ? Elle accepte tous ces événements parce qu'il porte le timbre officiel, comme donnée et une fois pour toutes éternels. La critique du régime de Staline leur est impossible, pas parce que les staliniens ont raison, mais parce qu'ils sont aujourd'hui le gouvernement. Je le répète: ce sont des courtiers du pouvoir soviétique, pas des révolutionnaires.
Pour des révolutionnaires, la question est tranchée par la ligne de classe, le contenu des idées, la position théorique, le pronostic historique et les méthodes politiques de chacun des camps opposés. Si on pense comme nous le pensons - et nous l'avons prouvé à travers les expériences des six dernières années à l'échelle mondiale - que la politique de la fraction stalinienne affaiblit la Révolution d'Octobre, qu'elle a détruit la révolution chinoise, qu'elle prépare la défaite de la révolution indienne et qu'elle sape l'I.C., alors et alors seulement, notre politique est justifiée. La bourgeoisie s'emparera évidemment de fragments de notre juste et nécessaire critique ! Mais cela change-t-il dans la moindre mesure l'essence d'un grand problème historique ? La pensée révolutionnaire ne s'est-elle pas toujours développée sur la route de la lutte interne implacable au feu de laquelle la réaction a toujours tenté de se réchauffer les mains ?
Je remarque entre parenthèses que toute la presse bourgeoise, du New York Times à l'austro-marxiste Arbeiter Zeitung, dans son évaluation politique de la lutte contre l'Opposition de gauche, est infiniment plus proche des centristes et ne le dissimule pas. On pourrait publier toute une anthologie de coupures de presse pour le prouver. Ainsi, en plus du reste, les "amis" et les "défenseurs" de la révolution, qui n'ont rien en commun ni avec les anciennes ni avec les nouvelles masses, déforment gravement le tableau authentique de la distribution de la sympathie politique dans la bourgeoisie et la social-démocratie.
Le mensonge est, soit dit en passant, un des attributs du courtier. Dans l'article sur Maïakovsky, j'ai découvert en feuilletant le nom de Rakovsky. J'ai lu huit ou dix phrases et réellement, bien que je sois habitué à tout, ce que j'ai lu m'a fait bondir. On y raconte comment Maïakovskv "haïssait la guerre" ("haïssait la guerre" - quelle formulation vulgaire du rapport du révolutionnaire à la guerre !) et comment. en contraste, Rakovsky à Zimmerwald, "allait tomber la veste et frapper Lenine et Zinoviev au menton" -pour leur lutte révolutionnaire contre la guerre. On ne nomme ici Rakovsky que pour répandre ce mensonge scandaleux. Il faut le répandre parce que Rakovski est en exil et qu'il faut justifier le fait qu'il y soit. Ainsi le courtier devient-il un méprisable calomniateur. Il répand le stupide scandale au lieu de dire - après avoir nommé Rakovsky en relation avec la guerre qu'avec courage révolutionnaire Rakovsky a lutté contre la guerre sous une tempête de persécution, calomnies, attaques et poursuites policières. Précisément à cause de cette lutte, Rakovsky a été jeté en prison par l'oligarchie roumaine et n'a été sauvé que par l'Armée rouge du sort de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.
Cela suffit. Si la Révolution d'Octobre avait dépendu de ses futurs courtiers, elle ne serait jamais apparue dans le monde. Et si son destin dépendait de leur "défense", la révolution serait condamnée à la ruine. L'avant-garde prolétarienne peut garantir l'avenir de la terre des soviets et la continuation sur la route de la révolution mondiale seulement par une politique juste. Nous devons élaborer cette politique, l'établir théoriquement, la défendre bec et ongles contre le monde entier et, si nécessaire, contre les très "suprêmes" institutions qui se sont élevées (ou plutôt qui sont descendues) sur le dos de la Révolution d'Octobre. Mais de ces questions, nous n'avons pas besoin de parler en relation avec les courtiers pseudo-révolutionnaires des rangs de la bohème petite-bourgeoise. Sur eux, on en a dit assez.