Moscou mobilise

De Marxists-fr
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Moscou mobilise et chacun se demande contre qui. Mais actuellement, même le Kremlin ne le sait pas. Une chose est claire : le pacte germano-soviétique a facilité la défaite de la Pologne mais n’a pas du tout garanti la neutralité de l’Union soviétique. L’armée polonaise s’est révélée plus faible que beaucoup ne le supposaient. Maintenant, à Paris et à Londres, on considère certainement l’avance de l’armée allemande vers la frontière soviétique avec intérêt et sans trop d’alarme. L’amitié entre Staline et Hitler exige de la distance.

La défaite totale de la Pologne pourrait se révéler fatale au pacte germano-soviétique. Après s’être installé aux frontières de l’Ukraine et de la Biélorussie, Hitler proposera à Staline de donner un caractère plus actif à son « amitié » nouvelle. Il pourrait en même temps se tourner vers Paris et Londres en leur proposant de donner à l’armée allemande la possibilité d’avancer plus loin vers l’Est, et se montrerait tout à fait disposé, en échange, à s’engager en même temps à ne pas soulever la question des colonies pendant vingt-cinq ou trente ans (Hitler échange volontiers l’espace contre le temps). Sous la pression de ce double chantage, Staline devra fixer définitivement son choix. Pour maintenir les deux possibilités, les stations de radio de Moscou donnent en russe les informations favorables aux nations occidentales et en allemand celles qui sont favorables à l’Allemagne. Il est difficile d’imaginer expression plus symbolique de la politique de double jeu du Kremlin ainsi que du caractère personnel de Staline. Comment ce double jeu va-t-il être résolu ?

Staline comprend ce que même l’ex-Kaiser Guillaume II a compris : que, dans le cas d’une guerre prolongée, Hitler va droit vers une grande catastrophe. Mais tout le problème est une question de temps et de rythme. Dans sa course à l’abîme, Hitler peut, non seulement écraser la Pologne, mais aussi porter des coups qui pourraient coûter sa tête à l’oligarchie du Kremlin. Or ces messieurs mettent leur tête au-dessus de tout. Pour leur salut, ils peuvent être amenés à faire avec Hitler un chemin beaucoup plus long qu’ils ne le souhaitaient au moment de la conclusion du pacte.

Il est vrai que, sur cette route, il existe l’obstacle de l’extrême impopularité dans les masses de l’alliance avec le fascisme. Molotov y a récemment fait allusion dans son dernier discours, en déplorant que « la propagande simpliste » (c’est-à-dire la propagande du Comintern d’hier contre le fascisme) ait donné naissance, même en Union soviétique, à [un courant] d’hostilité à un accord germano-soviétique. Les informations radiodiffusées en russe dont il a été parlé plus haut l’attestent. Mais Staline compte bien venir à bout de l’opinion publique de son propre pays par de nouvelles purges : l’hostilité des ouvriers et des paysans russes, à la différence de celle de Hitler, n’est pas encore armée. Ainsi, après avoir commencé comme intendant de Hitler, Staline peut-il devenir son demi-prisonnier et allié.

Mais le Kremlin ne peut-il opérer un nouveau revirement, rompre le pacte germano-soviétique et, à la dernière minute se retourner contre Hitler? Pour cela, il faudrait, bien sûr, que la France et l’Angleterre remportent dans la prochaine période de sérieux succès militaires et il faudrait en outre aux États-Unis une révision radicale de la loi sur la neutralité. Mais le Kremlin ne se lancerait guère dans une guerre contre Hitler, même dans ce cas. Cependant la concentration de forces importantes sur la frontière occidentale permettrait à Staline de rejeter de nouvelles exigences, absolument inévitables, de Hitler.

Seuls des bavards tout à fait ignares ou des agents du Kremlin peuvent relier la question de la direction de la politique de Moscou avec les idées de la classe ouvrière internationale, les tâches du socialisme, les principes de la démocratie, etc. En réalité, la politique de Moscou est déterminée exclusivement par la lutte de l’oligarchie dirigeante pour sa propre préservation. Le choix par le Kremlin de sa route sera déterminé par le rapport de forces matériel entre les deux camps et par le déroulement des opérations militaires dans les prochaines semaines. Il serait peut-être plus juste de parler, non pas du « choix d’une voie », mais de la direction du prochain zigzag.