Martov (par Trotski)

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Martov se révèle, sans le moindre doute, comme une des figures les plus tragiques du mouvement révolutionnaire. Ecrivain doué, politique inventif, esprit pénétrant, étant passé par l'école marxiste, Martov restera dans l'histoire de la révolution ouvrière comme un «grand négatif». Il manquait de virilité, et sa pénétration n'avait pas assez de volonté. Le Marxisme est une méthode d'analyse objective et en même temps l'avant-garde de «l'action» révolutionnaire. Il exige un parfait équilibre entre la pensée et la volonté, qui allie «l'énergie physique» à la discipline de la volonté par des raisonnements dialectiques subjectivement et objectivement. Martov exerçait toute sa puissance d'analyse à aborder la ligne de moindre résistance. Je doute qu'il y ait jamais un politique socialiste qui aura su exploiter le Marxisme avec autant de talent pour justifier sa propre fuite et ses trahisons envers la doctrine. Sous ce rapport, Martov peut être considéré comme un virtuose. D'autres plus instruits que lui, tels que Hilferding, Bayer, Renner et même Kautsky n'étaient que des «sous-maîtres», comparés à Martov sur le plan de la falsification politique du Marxisme, c'est-à-dire en représentant la passivité et l'esprit de capitulation comme les formes suprêmes de l'impitoyable lutte des classes. Sans le moindre doute, Martov possédait l'instinct révolutionnaire. Sa première réaction aux grands événements était celle d'un révolutionnaire. Mais après chaque réaction de ce genre, sa pensée, n'étant pas soutenue par le ressort de la volonté, s'éparpillait et rétrogradait. Au début du siècle, ce processus aurait pu déjà être observé... dans les signes avant-coureurs du ressac révolutionnaire (voir le journal «Iskra»), puis au début de la guerre impérialiste et aussi au début de la révolution de 1917. Mais en vain ! Sa faculté d'invention et la souplesse de son esprit lui faisaient contourner les difficultés créées par de nouvelles questions à résoudre. Il en tirait même des arguments pour défendre ce qui est «indéfendable». La dialectique devenait chez lui la casuistique la plus fine. Cette faculté extraordinaire de posséder à la fois une volonté sans volonté et l'entêtement dans l'indécision lui permit, durant des années, de se maintenir en des positions contradictoires et sans issue apparente. A chaque occasion de prendre une position historique et d'éveiller les espoirs, il se trompa. Et, chaque fois, il descendait la pente ! Pour conclure, il devint le plus fin, le plus pénétrant politique de cette intelligentsia petite-bourgeoise à moitié idiote, lâche et méprisable. Le fait qu'il ne s'aperçoit pas, donc ne comprend pas cette chute, montre combien la mosaïque de son esprit s'est cruellement moquée de lui.

A l'époque des problèmes et des possibilités gigantesques, Martov se retrouve crucifié entre Longuet et Tchernov. Il suffit de citer ces deux noms pour mesurer la chute idéologique et politique de cet homme auquel il fut donné beaucoup plus qu'à tant d'autres !