Maria Reese et le Comintern

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Dans sa “ Lettre ouverte ” publiée par le journal Unser Wort, Maria Reese a dit la dure et amère vérité sur le parti auquel elle appartenait encore récemment. L'agence allemande de la bureaucratie du Comintern n'a rien compris, n'a rien prévu, n'a rien préparé. Elle a remplacé le travail révolutionnaire par des phrases creuses et des rodomontades. Elle a trompé les ouvriers et le parti année après année. Le comité central a trompé même son propre appareil. Des gens qui occupaient dans le parti des postes responsables, comme Torgler[1], le chef de la fraction parlementaire, ou Maria Reese elle‑même, députée au Reichstag, ont cru honnêtement jusqu'au dernier moment que le comité central avait ses plans, qu'il avait préparé les forces nécessaires pour se battre, que le Comintern savait où il conduisait les travailleurs allemands. Avec la prise du pouvoir par Hitler et particulièrement avec l'incendie du Reichstag par les agents de Göring, les illusions révolutionnaires des meilleurs éléments du parti ont été réduites en poussière. Le comité central a laissé le parti à la dérive, sans direction, sans mots d'ordre, sans même explications ; il n'y a pas de précédent d'une trahison semblable des dirigeants dans l'histoire de la lutte révolutionnaire. Il n'est pas difficile d'imaginer le sombre désespoir des masses ainsi trahies ni l'effroyable désarroi de l'appareil du parti.

L'activité dans l'émigration des Münzenberg, Heckert[2] et Cie, les rapports faux, les correspondances mensongères, les congrès creux et factices destinés à jeter de la poudre aux yeux, ne pouvaient pas ne pas apparaître à Maria Reese en insupportable contraste avec ce qui se passait en Allemagne à l'intérieur. Maria Reese a exigé une discussion sur ce qui s'était passé. Elle a essayé d'obtenir qu'on remplace la politique des mascarades par celle de la mobilisation révolutionnaire du prolétariat mondial contre le fascisme. A chaque tentative, elle s'est heurtée à un mur. Elle en a alors tiré les conclusions pour son propre compte ; elle a rompu avec le Comintern et s'est placée sous le drapeau de la IV° Internationale[3].

Après ça, la bureaucratie stalinienne, qui n'avait plus rien à perdre politiquement, l'a “ exclue ” du Comintern. Mais y compris dans cette décision, les faillis ont mis tous les traits de l'impuissance rancunière et mensongère qui les caractérise. La principale accusation contre la camarade Reese consiste à dire qu'elle a rallié le camp du “ trotskysme contre‑révolutionnaire ”. Cette appréciation n'est pas nouvelle ! Le travail “ révolutionnaire ” des staliniens consiste à aider systématiquement les Chang Kaï‑chek, Pilsudski, Citrine, Wels, Hitler[4]. Conformément à cette logique, la critique marxiste de ces crimes est un travail “ contre‑révolutionnaire ”. Mais ce n'est pas tout. La résolution adoptée au nom du parti communiste allemand, c'est‑à‑dire par quelques bureaucrates qui se terrent en émigration, accuse Maria Reese d'“ aider le gouvernement de Hitler et de lui livrer ainsi des membres du parti et des sympathisants ”. Le prolétariat allemand réveillé gravera cette vile accusation sur le front des accusateurs !

Maria Reese est “ exclue ” à cause de sa courageuse lettre ouverte, et seulement après la publication de cette dernière, c'est‑à‑dire après qu'elle ait elle‑même rompu avec le Comintern. Appeler les faillis publiquement par leur véritable nom de faillis est le devoir immédiat d'un révolutionnaire authentique et sincère. Si la lettre de Reese peut avoir quelque influence sur le sort des communistes persécutés par Hitler, et particulièrement sur le cours du procès du Reichstag, c'est seulement en tant que précieux témoignage en faveur des accusés ! Il est clair d'après cette lettre, même pour des aveugles, que la direction du parti officiel était bien loin de penser à l'insurrection, à des préparatifs pour une insurrection, et par conséquent à des “ signaux ” pour l'insurrection du genre de l'incendie du Reichstag ![5]

La bureaucratie stalinienne prend sa revanche du fait qu'une camarade responsable, qui était encore tout récemment dans ses rangs, a dit ouvertement et honnêtement la vérité sur la direction, le régime et les mœurs du Comintern. La bureaucratie pardonne la couardise, le mensonge, la trahison à une seule condition : que cela ne sorte pas de la maison[6]. Pour ces gens là, il y a longtemps que les lois de la responsabilité mutuelle ont remplacé celles de la révolution et du marxisme. La lutte pour un prestige personnel enflé, pour des postes et pour un niveau de vie assuré, a relégué au second plan la lutte pour la dictature prolétarienne. Maria Reese s'en est convaincue à travers la tragique expérience du prolétariat allemand. Avec elle, des milliers et des dizaines de milliers de révolutionnaires trahis ont vécu la même expérience. Dans les prisons et les camps de concentration, ils dressent le bilan de la catastrophe qu'ils ont vécue. La lettre de Maria Reese les appelle à de courageuses conclusions révolutionnaires. C'est le devoir de tout révolutionnaire, dans le monde entier, de publier, de reproduire et de diffuser la lettre de Maria Reese dans toutes les langues que parlent les exploités et les révolutionnaires.

  1. Ernst Torgler (1893‑1963), employé de commerce, militant social‑démocrate en 1910, avait rejoint l'U.S.P.D., puis le K.P.D. en 1920. Député au Reichstag, il était depuis plusieurs années le chef de la fraction parlementaire du K.P.D. Homme obscur, il n'était pourtant pas un dirigeant. Maria Reese mentionnait dans sa lettre les discussions qu'elle avait eues avec lui en janvier et février 1933. On sait que Torgler était l'un des accusés dans le procès de l'incendie du Reichstag qui avait commencé, à Leipzig, le 21 septembre.
  2. ! Willy Münzenberg (1889‑1940), ancien responsable de l'Internationale des jeunes, puis de l'Internationale communiste des jeunes, avait dirigé le Secours rouge, puis l'ensemble des entreprises de presse du K.P.D. (le “ trust ” Münzenberg). Il avait notamment publié le fameux Livre brun sur l'incendie du Reichstag, et organisé les congrès contre le fascisme et la guerre. Fritz Heckert (1884‑1936), ouvrier du bâtiment, vieux spartakiste, était membre de la direction du K.P.D. et du présidium de l'I.C. et en avait intégralement justifié la politique allemande après la catastrophe.
  3. Maria Reese venait de prendre position pour la construction de la IV° Internationale, après ses discussions avec E. Bauer, le secrétaire de Trotsky.
  4. Les hommes politiques mentionnés ci‑dessus sont de type divers, mais incarnent tous aux yeux de Trotsky réaction et contre‑révolution. Chang Kai-Chek (1885‑1976), dirigeant du parti nationaliste Kuomintang et membre d'honneur de l'exécutif de l'I.C., avait dirigé en 1927 une sanglante répression contre les communistes chinois qui l'avaient jusqu'alors soutenu conformément aux directives de l'I.C. Jozef Pilsudski (1867‑1935), ancien dirigeant du parti socialiste polonais, héros de l'indépendance polonaise qu'il avait cherchée à obtenir des deux camps belligérants pendant la guerre, avait repris le pouvoir en 1926 par un coup d'Etat militaire et persécuté le mouvement ouvrier. Otto Wels (1873‑1939) avait réprimé en 1918‑19 les troubles révolutionnaires à Berlin en tant que préfet de police désigné par le gouvernement social‑démocrate. “ Homme fort ” de la social‑ démocratie, il était son principal dirigeant en exil. Walter McLellan Citrine (né en 1887), électricien, dirigeant de leur syndicat, puis secrétaire général du conseil général des Trade‑unions britanniques en 1925, était aux yeux de Trotsky l'un des principaux responsables de la défaite de la grève générale britannique de 1926. Adolf Hitler (1889‑1945), chef du parti national‑socialiste allemand, était depuis la fin de janvier le chancelier du Reich avec les pleins pouvoirs. Notons que le texte russe ne mentionne pas Pilsudski qui l'est en revanche dans les autres traductions.
  5. La thèse – imbécile – de l'accusation au procès de Leipzig était que l'incendie du Reichstag devait servir de “ signal ” pour le déclenchement d'une insurrection communiste.
  6. Littéralement : “ ne pas sortir les balayures de l'isba ”, laver son linge sale en famille (NDT).