Manifeste au peuple ukrainien et ultimatum à la Rada d'Ukraine

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La Rada centrale d'Ukraine, organisation nationaliste bourgeoise contre-révolutionnaire créée à Kiev en avril 1917 à un congrès national d'Ukraine par un bloc de partis et de groupes

bourgeois et petits-bourgeois nationalistes. La Rada avait pour président M. Grouchevski, un idéologue de la bourgeoisie ukrainienne, et pour vice-président V. Vinnitchenko. La bourgeoisie des villes et de la campagne, ainsi que l'intelligentsia petite-bourgeoise nationaliste constituaient la base sociale de la Rada.

La Rada centrale tenta de renforcer le pouvoir de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers ukrainiens, de fonder, en s'appuyant sur le mouvement de libération nationale, un Etat bourgeois d'Ukraine. En exploitant les mots d'ordre de la lutte pour la libération nationale, elle chercha à rallier à sa cause les masses populaires, à les isoler du mouvement révolutionnaire de Russie, a les subjuguer à la bourgeoisie ukrainienne et à empêcher la victoire de la révolution socialiste en Ukraine. La Rada soutenait le Gouvernement provisoire malgré les divergences qui les opposaient sur la question de l'octroi de l'autonomie a l'Ukraine.

Après la victoire de la Révolution socialiste, la Rada, un des centres de la contre-révolution, se proclama organe suprême de la «République populaire d'Ukraine» et entra en lutte ouverte contre le pouvoir des Soviets.

Au 1er Congrès des Soviets d'Ukraine, tenu en décembre 1917 à Kharkov, l'Ukraine fut proclamée république soviétique. Le congrès proclama le renversement de la Rada. Le Conseil des Commissaires du peuple de la R.S.F.S.R. reconnut le Gouvernement soviétique d'Ukraine comme l'unique gouvernement légitime et décida de lui prêter une assistance immédiate dans la lutte contre la Rada. Des soulèvements armés éclatèrent dans toute l'Ukraine en décembre 1917 et en janvier 1918 contre la Rada centrale, pour le rétablissement du pouvoir des Soviets. En janvier 1918, les troupes soviétiques passèrent à l'offensive en Ukraine et le 26 janvier (8 février) occupèrent Kiev, renversant la domination de la Rada bourgeoise.

Chassée du territoire de l'Ukraine soviétique, privée de tout soutien des masses, la Rada centrale entra on collusion avec les impérialistes allemands pour renverser le pouvoir soviétique et restaurer le régime bourgeois en Ukraine. Au cours des pourparlers de paix menés par la République soviétique et l'Allemagne, la Rada envoya à Brest-Litovsk sa propre délégation qui signa une paix séparée, livrant à l'Allemagne le blé, le charbon, les matières premières d'Ukraine en échange de l'aide militaire que l'Allemagne prêterait à la Rada pour la lutte contre les Soviets. En mars 1918, la Rada rentra à Kiev avec les occupants autrichiens et allemands dont elle fut un serviteur zélé. Convaincus de l'impuissance totale de la Rada à écraser le mouvement révolutionnaire en Ukraine et, à assurer le ravitaillement, les Allemands la dispersèrent à la fin d'avril. [N.E.]

Se fondant sur les intérêts de l'unité et de l'union fraternelle des ouvriers et de tous les travailleurs, des masses exploitées dans la lutte pour le socialisme, se fondant sur la reconnaissance de ces principes dans les nombreuses décisions des organismes de la démocratie révolutionnaire, des Soviets, et spécialement sur les décisions du IIe Congrès des Soviets de Russie, le Gouvernement socialiste de Russie, le Conseil des Commissaires du peuple, confirme une fois de plus le droit à disposer d'elles-mêmes pour toutes les nations qui étaient opprimées par le tsarisme et par la bourgeoisie grand-russe, y compris le droit de se séparer de la Russie.

Pour ces raisons, nous, Conseil des Commissaires du peuple, nous reconnaissons la République populaire d'Ukraine, nous lui reconnaissons le droit de se séparer entièrement de la Russie, ou de conclure avec la République de Russie un traité sur des relations fédératives ou autres relations semblables.

Tout ce qui touche aux droits nationaux et à l'indépendance nationale du peuple ukrainien, nous le reconnaissons, nous, Conseil des Commissaires du peuple, immédiatement, sans restrictions ni conditions.

Nous n'avons pas fait contre la République bourgeoise de Finlande, qui reste encore bourgeoise, un seul geste visant à limiter les droits nationaux et l'indépendance nationale du peuple finlandais ; et nous ne ferons rien qui soit susceptible de limiter l'indépendance d'une nation, quelle qu'elle soit, parmi celles qui faisaient partie ou désirent faire partie de la République de Russie.

Nous accusons la Rada d'Ukraine de mener, sous le couvert de phrases patriotiques, une politique bourgeoise de double jeu qui s'exprime depuis longtemps par le refus de reconnaître les Soviets et le pouvoir des Soviets en Ukraine (entre autres, la Rada a refusé de convoquer immédiatement, à la demande des Soviets ukrainiens, un congrès des Soviets d'Ukraine). Ce double jeu, qui nous empêche de reconnaître la Rada en qualité de représentant plénipotentiaire des masses laborieuses et exploitées de la République d'Ukraine, l'a conduite ces derniers temps à prendre des mesures qui, en fait, suppriment toute possibilité d'entente.

La désorganisation du front a été, en premier lieu, une de ces mesures.

La Rada transfère les détachements ukrainiens et les rappelle du front par des ordres unilatéraux, détruisant ainsi le front commun uni, avant la délimitation de frontière, qui ne peut être tracée que par l'accord concerté des gouvernements des deux républiques.

En second lieu, la Rada a procédé au désarmement des troupes soviétiques qui se trouvaient en Ukraine.

En troisième lieu, la Rada apporte son soutien au complot des cadets et des gens de Kalédine ainsi qu'au soulèvement contre le pouvoir des Soviets. Alléguant d'une façon notoirement mensongère les prétendus droits à l'autonomie «du Don et du Kouban», masquant ainsi l'action contre-révolutionnaire des gens de Kalédine, contraire aux intérêts et aux revendications de l'immense majorité des travailleurs cosaques, la Rada laisse passer à travers son territoire des troupes qui rejoignent Kalédine, tout en refusant le passage aux troupes qui marchent contre Kalédine.

En s'engageant dans la voie de la trahison inouïe de la révolution, en appuyant les ennemis les plus acharnés de l'indépendance nationale des peuples de Russie, aussi bien que du pouvoir des Soviets, les ennemis des masses laborieuses et exploitées - les cadets et les gens de Kalédine - la Rada d'Ukraine nous aurait obligés à lui déclarer la guerre, sans la moindre hésitation, même si elle était déjà un organisme formellement reconnu, indiscutable, du pouvoir suprême de la République bourgeoise indépendante d 'Ukraine.

A l'heure actuelle, étant donné toutes ces circonstances, le Conseil des Commissaires du peuple pose[1] à la Rada d'Ukraine, devant les peuples des Républiques d'Ukraine et de Russie, les questions suivantes :

1) La Rada d'Ukraine s'engage-t-elle à renoncer à ses tentatives de désorganiser le front commun ?

2) La Rada d'Ukraine s'engage-t-elle à ne laisser passer à l'avenir aucun détachement militaire dans la direction du Don, de l'Oural ou d'autres lieux, sans l'accord du commandant suprême ?

3) La Rada d'Ukraine s'engage-t-elle à prêter son concours aux troupes révolutionnaires dans leur lutte contre le soulèvement des cadets et des kalédiniens contre-révolutionnaires ?

4) La Rada d'Ukraine s'engage-t-elle à mettre un terme à ses tentatives de désarmer les régiments des Soviets et la Garde rouge des ouvriers en Ukraine et à rendre immédiatement les armes à ceux à qui elles ont été retirées ?

Au cas où une réponse satisfaisante à ces questions ne serait pas reçue dans les 48 heures, le Conseil des Commissaires du peuple considérera la Rada d'Ukraine en état de guerre déclarée contre le pouvoir des Soviets en Russie et en Ukraine.

  1. Le reste du texte fut écrit par Trotski, avec des rectifications apportées par Lénine et Staline. [N.E.]