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Special pages :
Liebknecht
| Auteur·e(s) | Rosa Luxemburg |
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| Écriture | 20 septembre 1916 |
Traduction : Editions de la tête de feuille (1972). Lettre II.
L'invraisemblable est devenu réalité : le gouvernement a osé aggraver le jugement honteux porté contre Liebknecht et ajouter à la réclusion la privation de ses droits civiques, et donc de ses mandats au Reichstag et au Landtag ! La vengeance est raffinée, surtout quand elle est aussi facile, que l'adversaire est pieds et poings liés et que le combat est déguisé en une parodie de « débat » à huis clos. Car il est évident que la sentence redoutable n'est pas seulement la peine infligée à Liebknecht pour sa participation aux journées de mai, elle est surtout une vengeance de son activité au Reichstag et au Landtag. Là il fut le seul devant le monde entier à lever le masque de la farce sanglante de l'Union sacrée. Revanche aussi de son attitude sur le banc des accusés dans la salle du tribunal où le détenu brava ses sbires, les fustigea moralement et se tint ferme comme un chêne, inébranlable pour le socialisme international.
Jamais ceux qui détiennent le pouvoir n'auraient osé prononcer un jugement aussi scandaleux, s'ils n'étaient pas habitués depuis le début de la guerre à voir ramper la social-démocratie. Considérant la social-démocratie depuis deux ans comme les troupes de protection et de manoeuvres du gouvernement, ils s'en sont pris avec une fureur écumante à celui qui était seul resté debout.
Qu'avait donc fait Liebknecht ? Il n'avait fait que ce que les résolutions des congrès internationaux, les programmes, les décisions du parti , les principes et les traditions de tous les socialistes se donnent comme tâche. Liebknecht a agi dans le sens et dans l'esprit de ces principes . Si ce qu'il fit est une << trahison >>, alors tous les délégués au congrès , qui adoptèrent ces résolutions, le parti entier qui s'engagea à les respecter doivent être punis pour provocation et incitation à la trahison. Pourtant les magistrats n'ont pas songé à importuner la social-démocratie en raison de ses résolutions. Jusqu'au 4 août 1914 il allait de soi pour les amis et pour les ennemis que la social-démocratie s'opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu'elle résisterait implacablement à sa poursuite. Aujourd'hui Liebknecht est jeté en prison pour avoir tout simplement suivi son devoir. Pourquoi ? Pour la seule et unique raison que la social-démocratie officielle abandonne la lutte de classe révolutionnaire, parce qu'un parti ouvrier international s'est transformé en un parti gouvernemental et en escabeau de la domination impérialiste de classe.
La condamnation de Liebknecht est l'oeil de Caïn sur la social-démocratie allemande officielle, le sceau de la trahison de ses tâches envers le socialisme international et de ses tâches historiques en- vers le prolétariat.
Comme victime de la banqueroute de la social-démocratie pendant la guerre, Liebknecht incarne le destin du prolétariat allemand en tant que classe et l'emmène avec lui dans sa cellule. La « trahison >> de Liebknecht consiste en son combat pour la paix. Mais le destin de tous les Allemands et du socialisme international dépend de la possibilité du prolétariat à comprendre que la paix doit être obtenue en com-battant et en l'imposant.
Depuis la guerre le socialisme a été écarté en tant que facteur historique. C'est pourquoi la guerre renforce la domination du capitalisme, celle de la réaction politique et sociale et bien sûr celle du militarisme. Ce qu'il en sera après la guerre, quelles conditions et quel rôle attend la classe ouvrière, cela dépend de la façon dont se fera la paix . Si elle n'est que le résultat de l'épuisement de toutes les forces militaires - ou pis , la victoire militaire de l'une des parties en présence elle se conclurait sans un mot et sans la participation du prolétariat, dans le calme le plus complet à l'intérieur de l'état, et une telle paix signifierait la défaite mondiale du socialisme dans la guerre. Les résolutions les plus radicales du congrès ne pourraient remplacer les actes manqués à l'heure décisive, l'impérialisme resterait après la guerre le maître incontesté de la situation, et la social-démocratie ne compterait plus ni dans la paix ni dans la guerre comme puissance dans la vie sociale.
Après la banqueroute du 4 août 1914 c'est donc la deuxième épreuve historique importante de la classe ouvrière. Saura-t-elle terminer une guerre qu'elle n'a pas su prévenir, recevoir la paix, non des mains de la bourgeoisie impérialiste , œuvre d'une diplomatie de cabinet, mais l'imposer à la bourgeoisie , la lui arracher ? Mais combattre pour la paix ne signifie pas exhorter Bethmann-Hollweg au Reichstag pour qu'il ait la bonté d'entreprendre des négociations de paix la bonté d'entreprendre des négociations de paix avec Grey [1]. Combattre pour la paix ne signifie pas signer des pétitions à soumettre au gouvernement ni applaudir dans les réunions autorisées par la police et voter à main levée des résolutions de paix pour continuer le jour suivant à fabriquer de ses mains des munitions de guerre et ainsi rendre possible le jusqu'auboutisme tout en supportant patiemment la dictature militaire.
Combattre pour la paix signifie utiliser sans le moindre égard tous les moyens de la classe ouvrière afin qu'au front comme à l'intérieur la continuation du massacre des peuples soit impossible . Cela signifie, qu'à l'exemple de Liebknecht, on ne recule devant aucun danger et aucun sacrifice pour briser l'Union sacrée et faire capituler la dictature du sabre.
Ce n'est que si un seul combat résolu met fin à la guerre que le socialisme pourra prendre un nouvel et puissant élan et conduire à la renaissance de l'Internationale, force vivante.
Seul ce même combat résolu des masses pour la paix peut sortir Liebknecht de sa cellule. Lorsque le peuple anglais au dix-septième siècle se souleva pour conquérir sa liberté politique, son premier geste fut de libérer les martyrs de la liberté.
Les sinistres portes de la Tour de Londres s'ouvrirent, et le peuple conduisit avec allégresse ses héros par les rues en répandant du romarin sous leurs pieds. A Paris, lorsque la cloche sonnant l'assaut de la grande révolution mit fin au Moyen Age féodal en Europe , le premier geste des masses fut l'attaque de la Bastille. Les femmes parisiennes détruisirent de leurs propres mains la forteresse détestée, dans laquelle l'absolutisme français laissait pourrir les héros de la liberté.
Il en fut de même en Russie en 1905, lorsque les masses populaires fêtèrent leur première victoire sur l'absolutisme du tsar et la guerre du Japon . Elles se précipitèrent aussitôt devant la porte des prisons et des geôles qui durent recracher leurs victimes sous l'impérieux assaut des masses.
De la même façon , seule la masse du prolétariat allemand pourra libérer Liebknecht de sa prison, quand elle aura retrouvé son devoir, son honneur et sa vraie force.
Les sbires qui gardent Liebknecht savent bien quel amour lui vouent des centaines de milliers d'hommes dans le pays comme dans les tranchées. C'est précisément à ces hommes que la dictature militaire voulait montrer : « Nous ne tenons aucun compte de votre souffrance et de votre colère, nous pouvons tout oser et vous dire que vous ne risquerez rien pour la libération de Liebknecht. Vous êtes et vous resterez de la chair à canon. » C'est maintenant aux prolétaires en bleu et en uniforme de répondre.
Liebknecht devant le tribunal militaire suprême s'écriait, le 23 juillet lorsqu'on lui annonça la sentence renforcée, la tête orgueilleusement levée : < Eh bien, je le répète A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! >> Les chaînes de Liebknecht tomberont lorsque la social-démocratie effacera l'oeil de Caïn de sa trahison envers le socialisme, lorsque des millions d'hommes et de femmes à l'arrière et au front trouveront le courage d'être sans peur comme Liebknecht et de s'écrier :
A bas la guerre !
A bas le gouvernement !
- ↑ Grey, représentant de la diplomatie britannique