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Special pages :
Lettre ouverte à Monsieur Léon XIII, pape de son état
Auteur·e(s) | Jules Guesde |
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Écriture | janvier 1879 |
385. Publié par « la Vérité » 517 sept. 1959 (notes de « la Vérité »)
« Socialisme ou catholicisme, la question est bien posée »
Monsieur,
C'est un socialiste qui vous écrit, un de ces « hommes pervers » contre lesquels est dirigée ce qu'en style barbare vous appelez votre lettre « encyclique », et qui, loin de se plaindre des dénonciations dont vous poursuivez ses « complices » auprès de l'Europe gouvernementale, éprouve le besoin, tant au nom de ces derniers qu'au sien propre, de vous féliciter de votre dernière épître.[1]
Comment, après l'avoir lue, ne pas rendre tout d'abord hommage à votre sagacité, à la conscience profonde que vous avez de votre époque, du temps et du milieu dans lesquels vous vivez ? En allant, dans la foule des « pestes » qui sévissent aujourd'hui sur un monde qui vous a autrefois appartenu, droit ou socialisme comme à l'ennemi de votre reste de domination, combien vous vous montrez supérieur à votre prédécesseur Pie IX, qui, lui, s'attardait à frapper une morte, la franc-maçonnerie, ou un mot vide de sens, le libéralisme ! Combien également, en signalant les progrès de géant de cette « peste mortelle », vous voyez plus clair et plus loin que tous nos grands et petits bourgeois qui vont répétant, sur la parole d'un Thiers ou d'un de Marcère, que « le socialisme est mort » tué par « la liberté » ou — ce qui n'est pas précisément la liberté — par les fusils sommaires de juin 48 et les mitrailleuses non moins sommaires de mai 71 !
Avoir compris que le Christianisme, qui a survécu aux découvertes de la science et ou développement de l’État moderne amené bon gré mal gré à le traiter en service public et à le subventionner comme tel, ne peut être tué que par la Révolution sociale, par l'intronisation d'un ordre de choses dans lequel le bien-être assuré également à chacun dès son vivant rendra inutile le paradis imaginaire d'après la mort, et que cette Révolution est plus prochaine, plus inévitable que jamais, ne constitue pas un mince mérite dans la situation ou l'état qui est le vôtre. Et n'eussiez-vous que mis à sa véritable place, c'est-à-dire au premier rang, cette question sociale qui se dresse comme le sphinx antique devant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, que votre « encyclique » vous ferait le plus grand honneur [...]
Vous mettant pour ainsi dire à notre place, et répondant pour nous, avec plus d'autorité que nous, aux politiciens qui nous accusent de n'être que des plagiaires du Christianisme des premiers siècles, d'avoir « les mêmes doctrines, les mêmes théories et les mêmes principes », vous avez eu soin de bien établir que l'égalité que nous voulons, matérielle et immédiate, n'a rien de commun avec celle de l'évangile, platonique et extraterrestre, ou, comme vous dites, « qu'entre nos dogmes pervers et la pure doctrine de Jésus-Christ, il y a une telle différence qu'il ne saurait y en avoir de plus grande ».
Certes il n'est pas un esprit sérieux et de bonne foi qui puisse confondre l'ancienne communauté des biens de certaines sectes chrétiennes, fondée sur le mépris, sur le détachement de ces biens « passagers », avec ce que l'on appelle « le Communisme » ou « le Collectivisme » d'aujourd'hui ne poursuivant la mise en commun ou l'appropriation collective de tout le capital existant qu'en vue d'assurer à chacun la jouissance intégrale du fruit de son travail ou de son activité appliquée à ce capital.
Impossible, sans calomnie, de ne pas distinguer l'union monogamique chrétienne tolérée « parce qu'il vaut mieux épouser que brûler » et transformée en viol constant et réciproque par la parole de Paul que « le corps de la femme n'est plus à elle mais à son mari » et vice versa, d'avec les rapports sexuels que nous voulons absolument libres dans le temps et dans l'espace parce qu'en dehors de la liberté la plus entière, de l'accord continu des deux volontés, il n'y a pour nous que prostitution et bestialité. Seuls les pensionnaires de Charenton pourraient mettre sur la même ligne « la soumission aux Puissances, à toutes les Puissances de ce monde » imposée par le Christianisme tant à l'esclave qu'au sujet, et le droit et le devoir proclamés par nous pour chacun de n'obéir qu'à lui-même, — ce qu'en termes quelque peu abstraits on entend par l'autonomie de la personne humaine.
Mais vous n'en avez pas moins fait œuvre d'honnête homme en dénonçant une confusion aussi calomniatrice qui ne pouvait que vous profitez, et en opposant votre Famille et votre Société hiérarchisées, basées, l'une sur le droit du mari et du père sur la femme et sur l'enfant, l'autre sur le droit divin des gouvernants sur les gouvernés, à notre Société et à notre Famille également égalitaires, reposant sur l'égalité des sexes et l'équivalence des fonctions.
Mais où vous vous êtes surpassé, où vous vous êtes révélé aussi profond philosophe qu'historien fidèle, c'est lorsque, à la différence de certains libéraux qui ne veulent voir dons les revendications économiques des classes ouvrières qu'un accident ou une maladie, vous les représentez, vous, comme la suite naturelle, comme l'effet logique et nécessaire de l'évolution sociale ou humaine des quatre derniers siècles [...]
Oui, du moment où la foi a fait place au libre examen, à la Raison, et où l'écroulement de la Révolution sous les coup de cette dernière a substitué ou droit divin des gouvernants le droit humain des gouvernés ; du moment, en un mot, où Dieu disparu, supprimé des sociétés humaines, il n'est plus resté que des hommes en présence les uns des autres, libres d'établir entre eux et les choses tels rapports qu'ils jugeraient le plus avantageux, il devait arriver — comme il est arrivé — que, forts de leur droit d'homme, les membres « moins nobles du corps social », ainsi que vous appelez les producteurs de toute richesse, réclameraient et prendraient au besoin une part égale au soleil et une égale part de vie.[2]
La Révolution sociale qui se poursuit actuellement est fille — et fille mieux que légitime, naturelle de la Révolution religieuse du seizième siècle et de la Révolution politique du dix-huitième. Pour la conjurer ou la renier, il faudrait biffer ou renier 89 et la Réforme. Et c'est en cela qu'éclate la bêtise des conservateurs de l'ordre actuel qui, invoquant la Réforme et se réclamant de 89, anathématisent et s'imaginent enrayer le mouvement qui emporte le prolétariat vers son émancipation matérielle.
Le monde moderne est placé entre l'achèvement de la Révolution française et un retour pur et simple au Christianisme du Moyen Age. Pour « arranger — selon votre expression — l'antique conflit entre les pauvres et les riches », il n'y a pas trois moyens :
Ou la pauvreté, le paupérisme disparaîtra par l'égalité des moyens de développement, d'action et de production assurée socialement à chacun et à tous ; ou, pour avoir, pour restaurer « la tranquillité dans la vie publique et privée », il faudra repeupler le ciel, recréer Dieu, et — ce qui est plus difficile — la foi en ce Dieu personnel et législateur, laquelle peut seule réconcilier les pauvres avec leur sort « dans l'espérance des récompenses éternelles ».
Socialisme ou Catholicisme, la question, posée ainsi par vous, est très bien posée.
- ↑ Au pape Pie IX, réactionnaire très violemment intransigeant, succède, le 20 février 1878, Léon XIII, qui fait figure de pape diplomate, « politique » : prenant conscience des réalités politiques et sociales, Le on XIII s'efforcera d'adopter l'action de l'Église aux nécessites de l'heure.
Pour gagner la classe ouvrière, il fera des encycliques sociales ; celle que critique ici Guesde annonce déjà la fameuse encyclique « Rerum Novarum » (1891). C'est ce même Léon XIII qui soutiendra, en 1890-1892, le « Ralliement » de l'Église catholique française a la République. - ↑ Guesde cite auparavant le passage de l'encyclique où Léon XIII explique : « Enfin, après avoir livre a l'oubli les récompenses et les peines de l’éternelle vie future, le désir ardent du bonheur a été renferme dans l'espace du temps présent. Avec la diffusion au loin et ou large de ces doctrines, avec la grande licence de penser et d'agir qui a e te ainsi enfante e de toutes parts, « faut-il s'e tonner que les hommes de condition inférieure, ceux qui habitent une pauvre demeure ou un pauvre atelier soient envieux de se lever jusqu'aux palais et a la fortune de ceux qui sont plus riches ? »