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Special pages :
Lettre d’un trotskiste chinois
Auteur·e(s) | Wang Fanxi |
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Écriture | 31 juillet 1969 |
Mon cher ami :
Je trouve tout à fait compréhensible que les nouveaux statuts proposés n'aient pas été adoptés lors du récent Congrès mondial de la Quatrième Internationale. Le projet, à mon avis, est trop formaliste, et ne correspond pas aux réalités de notre organisation mondiale qui, si ancienne qu’elle soit, en est encore au stade de la formation, si l’on en juge par le fond.
La résolution sur l'Amérique latine ne contient que quelques idées de valeur. Déjà, sur certains points, elle représente le contraire de la position du camarade Peng. Elle ne souligne pas l’importance de la mobilisation des masses et du travail politico-éducatif parmi elles. En attachant une importance excessive au rôle de la guérilla dans la révolution, elle fait courir le risque que l’avant-garde révolutionnaire se retrouve isolée dans l’action. Cela pourrait conduire à un militarisme putschiste.
Comme indiqué dans la résolution, la question de la guérilla s’oppose directement au Programme de transition, en ce sens qu’elle implique le rejet de la manière traditionnelle d’armer le prolétariat formulé dans ce document fondamental. Inutile de dire que nous devons maintenant accorder une attention croissante à la question de la lutte armée à la lumière des nouvelles expériences. La guérilla n'est qu'une forme de lutte armée. Nous devons maintenant compléter notre ancienne position, mais ne pas substituer la guérilla à la méthode traditionnelle d’armement du prolétariat.
Les opinions du camarade Peng sur la guérilla sont absurdes. Au cours des quarante dernières années, s'il n'a rien oublié, il n'a rien appris non plus. Ce qu’il a fermement rappelé, c’est la critique de Trotski à la fin de 1927 concernant la politique de Staline en Chine. Après avoir trahi la révolution chinoise par opportunisme, Staline a aggravé le désastre en ordonnant aux communistes chinois de se lancer dans des aventures militaires. Ayant contribué à étrangler les luttes révolutionnaires dans les villes, il a cherché à compenser les pertes, en incitant du jour au lendemain à des insurrections paysannes dans les campagnes.
Reconnaissant la nouvelle situation résultant de la catastrophe révolutionnaire, Trotski a appelé ses partisans chinois à présenter un programme de revendications démocratiques, guidé par le mot d’ordre d'élection d’une assemblée nationale toute puissante au suffrage libre, égal et universel. C'était pour contrer de façon réaliste la dictature de Tchang Kaï-chek, et permettre à l'avant-garde révolutionnaire de gagner du temps pour se remettre de la défaite, au lieu de s'épuiser dans des luttes désespérées. Ce programme "transitoire" permettrait aux communistes de rétablir leurs liens avec les masses travailleuses, dans les conditions d'une contre-révolution triomphante, et de se préparer ainsi à un nouvel essor de la révolution, que Trotski jugeait inévitable.
Les critiques de Trotski sur les politiques staliniennes et le programme qu'il leur opposait s'avérèrent parfaitement corrects. Que le camarade Peng ne les ait pas oubliées est à mettre à son crédit. Ce qui est malheureux, c'est qu'il a oublié, ou n'a jamais compris, les circonstances précises dans lesquelles Trotski a exposé ses idées. Il a oublié ou n'a jamais compris que, tout en condamnant l’aventurisme militaire et en proposant un programme de revendications démocratiques, Trotski conseillait à plusieurs reprises ses partisans chinois (si la situation le permettait) de soutenir et de participer aux luttes armées contre le Kuomintang, et aussi de supporter et de combattre dans la lutte contre l'impérialisme japonais.
Voici deux exemples de conseils de Trotski, traduits en anglais à partir du chinois :
1. « Bien sûr, nous ne devons pas nous engager dans la guerre de guérilla (contre le Kuomintang). Nous avons un autre champ d'action, d'autres tâches à accomplir. Pourtant, nous espérons très sincèrement qu'au moins nous devrions avoir nos propres hommes dans certains des détachements armés les plus puissants de l'Armée rouge. Les Oppositionnels devraient vivre et mourir avec ces détachements armés. Ils devraient aider à maintenir le contact entre les détachements et les paysans, et devraient avoir (l’aide de l’) organisation de l'opposition de gauche dans ce genre de travail. » (Lettre à l'opposition de gauche en Chine, 8 janvier 1931)
2. « J'ai dit que toutes les organisations de travailleurs en Chine devraient participer à la guerre actuelle contre l'invasion japonaise. Ils devraient se mettre en première ligne. Dans le même temps, ils ne devraient pas abandonner leur programme et leurs activités indépendantes. » (Lettre à Diego Rivera, 23 septembre 1937)
Pour le camarade Peng, à la fois dans la lutte contre le régime du Kuomintang et dans la guerre contre les envahisseurs japonais, la seule façon d’intervenir consistait à écrire des articles. Cependant, pendant les années de la guerre anti-japonaise, il y avait des trotskystes chinois engagés dans la lutte armée.
À deux endroits, l’un à Kwantung et l’autre dans la province de Shantung, nos camarades dirigeaient leurs propres détachements armés. Dans ces deux situations, rien d’important n'a été réalisé. Les détachements ont été dissous ou détruits par les troupes japonaises, ou par les forces staliniennes. Les raisons de ces défaites étaient nombreuses, mais la principale était : les actions résultaient d'initiatives individuelles, non d'une décision organisationnelle ; l'activité n'était ni approuvée ni soutenue par l’organisation ; elle manquait donc de direction politiques et de contrôle.
Les trotskystes chinois se sont officiellement organisés en un groupe politique unifié en 1931. Lorsque le parti communiste chinois a pris le pouvoir, il existait une tendance politique, sinon un parti, depuis vingt ans. Pourtant, ils n'avaient mené aucune action significative ni aucun travail de grande influence. On pourrait avancer de nombreuses raisons, réelles ou imaginaires, pour expliquer ce fait regrettable. Le plus important, ou l'un des plus importants, était cependant notre position erronée face aux luttes armées. Tout en condamnant la politique stalinienne de construction de « zones soviétiques » à la campagne et d’organisation d’une « armée rouge » parmi les paysans, nous sommes allés jusqu’à nous opposer, ou du moins à être indifférent envers la lutte armée. Bien entendu, nous n'avons pas rejeté en principe la lutte armée. Mais nous avons considéré cela comme quelque chose de très, très éloigné, à considérer sérieusement seulement après qu'une situation révolutionnaire se soit développée au niveau national et que les travailleurs des villes soient partis en grève générale. Tant que cela ne s’était pas produit, toute tentative de prendre les armes était considérée comme impensable, et qualifiée d’ « opportunisme militaire » ou de « putschisme militaire ». Nous n’avons donc jamais pensé à envoyer certains de nos camarades travailler dans les détachements armés anti-Kuomintang. Trotski nous avait conseillé de le faire. Nous n'avons pas participé à la guerre anti-japonaise, sauf par des manifestes et des articles, bien que les conditions d'une telle participation aient été excellentes.
De cette fausse attitude à l'égard de la lutte armée, le camarade Peng n'est évidemment pas seul responsable. En tant que membre éminent de l’organisation, j’ai une part de responsabilité, même si j’ai tenté une fois de participer à la lutte armée, ce que le camarade Peng a condamné. Cependant, c’est le camarade Peng qui insiste le plus obstinément sur la fausse ligne des trotskystes chinois dans la question de la lutte armée. Il n'a pas examiné son attitude rétrospectivement, et s'y accroche encore.
À notre époque, comme Trotski l’a souligné, presque chaque lutte de classe tend à se transformer en guerre civile. Cela était particulièrement vrai en Chine, sous la dictature militaire du Kuomintang. Dans de telles circonstances, toute sous-estimation de la lutte armée, ou une attitude incorrecte à son égard, peut être fatale à une organisation révolutionnaire. Cette vérité amère n’a pas encore atteinte le camarade Peng. C'est pourquoi il ne peut toujours pas comprendre la raison majeure de la victoire du Parti communiste chinois, et de notre échec. Les raisons qu’il a données dans son article « Retour à la voie du trotskysme », dans lequel il a tenté d’expliquer pourquoi le Parti communiste chinois avait été victorieux, me paraissent absurdes et ridicules. Il écrivait :
« ... cependant, la prise du pouvoir par le PCC en 1949 ne résultait en aucune manière de la stratégie de guérilla elle-même, mais plutôt du fait des circonstances historiques exceptionnelles créées par l'invasion japonaise de la Chine et la Seconde Guerre mondiale. Tout d'abord, l'occupation de la Mandchourie par les Soviétiques, la partie la plus industrialisée de la Chine, a porté un dur coup aux forces de Tchang Kaï-Chek, et les armes modernes que l'Armée rouge a obtenues en désarmant les Japonais ont servi à l’armement de la Quatrième Armée du PCC commandée par Lin Piao. Très importante fut également l'incapacité de l'impérialisme américain à intervenir. L’impérialisme américain a même coupé son aide au régime de Chiang Kai-shek plusieurs mois avant sa défaite (c’est en fait l’une des principales raisons de la défaite). »
Cette « explication » semble à peine avoir été donnée par un révolutionnaire, mais plutôt par un des apologistes de Chiang Kai-shek : nous avons été vaincus seulement parce que les Etats-Unis étaient incapables d'intervenir et nous ont privés d'aide, tandis que les communistes ont remporté la victoire seulement grâce à l’aide reçue de l'Union soviétique !
Quiconque a observé et vécu ce qui s'est passé de 1945 à 1949 ne peux accepter les « explications » du camarade Peng. Il était évident pour tout le monde qu'une guerre civile faisait rage entre les forces révolutionnaires et la contre-révolution, entre les masses laborieuses à l’attaque et la classe bourgeoises-propriétaires en déclin. Faute de voir ce fait fondamental, le camarade Peng a attribué la victoire du Parti communiste chinois aux « armes modernes » obtenues par les Russes, et la défaite de Tchang Kaï-chek à la coupure d'approvisionnement de ces armes par les États-Unis. Même le général George C. Marshall a compris que donner plus d’armes à Chiang signifierait simplement les donner aux communistes. C’est pourquoi « l’impérialisme américain a même coupé son aide au régime de Chiang Kai-shek plusieurs mois avant sa défaite ».
Ici, je ne discuterai pas davantage avec le camarade Peng des raisons de la victoire du parti communiste chinois. Au lieu de cela, permettez-moi de lui poser quelques questions : si le Parti communiste chinois n’avait pas engagé de lutte armée contre le Kuomintang au cours des vingt dernières années, comment auraient-ils pu profiter des « circonstances historiques exceptionnelles créées par la Seconde Guerre mondiale ? » Si les communistes chinois ne s'étaient pas formés en « révolutionnaires-soldats », comment auraient-ils pu utiliser les armes modernes que leur donnaient les Russes ? Et si les communistes n'avaient pas pu utiliser l'aide reçue, comment auraient-ils pu profiter du manque d'aide de leur ennemi ?
De toute évidence, quiconque souhaite tirer profit de situations historiques favorables doit se préparer à cet objectif. Soit dit en passant, de telles situations n’ont pas été rares et d’autres se produiront inévitablement. Si, toutefois, nous faisons comme le camarade Peng, si nous limitons notre travail à la publication d’un journal, et aux discussions théoriques, si nous ne transformons pas les « armes de la critique » en une « critique armée », alors toutes les situations favorables nous passeront sous le nez sans que nous puissions en faire le moindre usage.
Dans l'article cité précédemment par le camarade Peng, il déclare : « Nous ne rejetons pas la guérilla comme tactique, mais plutôt comme stratégie. Certainement, quand la situation dans n'importe quel pays mûrit au point que nous devons immédiatement préparer les masses à une insurrection armée pour prendre le pouvoir, la guérilla paysanne pourrait être la tactique la plus utile. »
Ce bref passage contient, à mon avis, plusieurs erreurs graves :
1. En raison des « particularités de notre époque », la question de la lutte armée (y compris la guérilla comme une de ses formes) doit être examinée et traitée au niveau de la stratégie.
2. Les expériences de luttes révolutionnaires dans de nombreux pays au cours des quarante dernières années attestent que les guerres de guérilla n'étaient pas nécessairement menées entièrement par des paysans. La montée et le maintien de détachements de guérilla n’ont pas été vus uniquement pendant et après un soulèvement du prolétariat urbain. Au contraire, de tels détachements ont surgi et existé avant la maturation d’une situation révolutionnaire dans les villes. L'expérience a montré que l'activité de guérilla à la campagne peut être un puissant stimulant pour l'action révolutionnaire dans les villes.
3. Si nous considérons la guérilla comme une simple « tactique » alors que la situation arrive à un stade où il est nécessaire de préparer le soulèvement armé à la prise du pouvoir, nous ne pourrons ni organiser ni diriger l'insurrection urbaine, ou organiser et diriger la guérilla dans les campagnes, car nous n’aurons rien fait pour nous préparer à ce genre de lutte.
Le camarade Peng n'a tiré aucune leçon ni de l'histoire de la révolution chinoise en général, ni des expériences des trotskystes chinois en particulier. Au lieu de cela, il persiste dans sa fausse position sur la question de la lutte armée. Pire encore, il essaie maintenant d'exporter cette fausse position dans l'Internationale. C'est pourquoi j'ai dû écrire ces commentaires, que j'espère que vous allez transmettre à nos amis à l'étranger.