Lettre d'A.V, Novembre 1929

De Marxists-fr
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L'exil connaît aujourd'hui les conditions d'un extraordinaire isolement. Au cours des derniers mois, le blocus du courrier a été encore renforcé. Il pèse particuliè­rement sur Khristian Rakovsky qui est, maintenant, comme vous le savez, à Barnaoul, d'où il a été envoyé de Saratov. Person­ne de sensé ne peut attendre de la déclaration des résultats pratiques immédiats. Non, cette déclaration est une nouvelle mobilisation des déportés dont une partie avait cédé au cours de l'été sous un vent de panique provoqué par un isolement to­tal et l'absence de toute information : de plus, depuis des mois, les camarades n'avaient à lire que la Pravda. En ce sens, la déclaration a parfaitement rempli sa mission. Le groupe de Saratov a été dissous, comme punition pour cette mobilisation des déportés autour de la déclaration et pour les thèses de Rakovsky dans lesquelles les questions fondamentales sont pré­sentées avec toute la clarté nécessaire.

Vous savez qu'un nombre important de déportés ont été emportés par une vague d'illusions. L’isolement et l'incertitude ont, comme je l’ai dit, joué un grand rôle. Mais il est pourtant étonnant qu’il se soit trouvé des gens capables de parler du centrisme comme s’il était le communisme alors qu'une riche expérience ne nous apprend qu’une chose, c'est que le centrisme était capable d’osciller terriblement à gauche, mais qu’il restait toujours le centrisme. Ce n'est plus Radek désormais qui trace la ligne de démarcation dans l'Opposition de gauche ‑ c'est de I'histoire ancienne - mais I.N. Smirnov. J'ai appris qu'il a envoyé son troisième texte de déclaration ‑ lequel ne diffère de celui du trio que par le style.

Malgré les départs, les colonies de déportés gros­sissent, augmentées d'éléments plus homogènes et plus fermes. Ainsi, au moment où je vous ai écrit ma première lettre, nous étions quatre et nous sommes maintenant quatorze.

Voici, d'après ce que je trouve dans la presse, ce que je pense de la situation dans le pays : à l'ordre du jour - sans pouvoir fixer de date précise ‑ ce qui est inscrit, c'est l'explosion d'une guerre civile avec possibilité d'in­tervention étrangère. C'est sur cette perspective qu'il faut orienter le parti et la classe ouvrière. La politique la plus dangereuse est celle de l'autruche. Les dirigeants du parti continuent ou bien à nourrir celui‑ci d'images "officielles" de prospérité ou "événements sensationnels" inattendus dans le domaine intérieur ou extérieur sans cher­cher à en faire une analyse sérieuse, ou, ce qui est pire que tout, d'orienter l'attention du parti dans des voies dans des voies délibérément fausses comme elle l'a fait par exemple avec les infâmes articles de laroslavsky sur la lettre de Solntsev (à propos de cette lettre, à supposer qu’elle soit authentique, il est indéniable qu'elle représente le produit d'une confusion temporaire et qu'elle n'est en rien caractéristique de l’exil et pas du tout ‑ il est à peine besoin de le dire ‑ des camara­des de Russie).

La tension de la situation oblige le parti lui-même à rechercher des voies nouvelles sous l'égide de l'appareil. D'où le renouvellement de la fermentation et de la formation des groupes, la naissance d'une nouvelle gauche dans le parti (Chatzkine, Sten, etc.) Quels que soient ses dirigeants, la naissance d'une gauche et la nécessité d'une nouvelle campagne contre les "semi‑trotskystes" constituent des symptômes de tendances saines très importantes qui attestent le fait qu'on ne peut pas nous couper du parti.

Nous avons appris par le journal du parti de Kharkov ce qu’est la politique du groupe Urbahns[1]. Nous avons des dizaines de fois réfuté devant les masses les idées que les staliniens nous imputent. Et maintenant, les staliniens utilisent les articles d'Urbahns pour renforcer leurs accusations contre nous et compromettre l'Opposition. Existe‑t‑il encore un espoir de redresser la ligne d'Urbahns ? Nous ne pouvons absolument pas porter la responsabilité de telles positions. Erre incapables de trouver sa place dans la lutte entre l'impérialisme international et la révolution ‑ c'est choquant.

Le point de vue de l’Opposition de gauche sur le I° août ne nous paraît pas clair. Il n'y a aucun doute que l'interpré­tation par Molotov de la ''troisième période'' de Boukharine est la préparation de la base pour des aventures internationales à la Canton. Néanmoins la question demeure posée de savoir si nous devons abandonner notre ''droit'' à la rue. C'est de la même façon que se pose la question du I° mai.

A.V.

  1. Le groupe d’Urbahns se prononçait pour la création de nouveaux partis et non pour le redressement de l’I.C.