Lettre au camarade Grad, 18 août 1930

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Cher camarade Grad,

Lorsque j'ai parlé de sélectionner la direction après l'unification, je faisais allusion à la composition de la future direction qui naturellement ne peut se constituer d'un seul coup. Il ne s'agissait pas pour moi du rôle personnel de certains camarades. On ne peut en aucun cas atteindre ce but par des mesures organisationnelles ou statutaires.

Compte tenu de l'insuffisance de ma connaissance de la situation autrichienne, je considère pourtant que le camarade Frey, en raison de son autorité personnelle, est le plus à même d'exercer sur la direction une influence déterminante. Mais il ne faut pas en faire un préalable formel à l'unification. Cela doit découler de la situation elle-même. Votre affirmation selon laquelle je soutiendrais de jeunes camarades contre Frey est, passez-moi l'expression, une absurdité - que Frey a d'ailleurs déjà répétée à plusieurs reprises sous des formes différentes. En quoi consisterait ce soutien, je n'ai jamais réussi à le savoir.

Que le camarade Frey ait, depuis de longues années, mené un travail important, c'est incontestable. Mais il se trouve que ce travail a engendré un certain conservatisme qui aujourd'hui fait obstacle à la poursuite du développement. L'existence parallèle de trois groupes d'opposition se réclamant des mêmes principes est tout à fait de nature à couper à l'avance les ouvriers de toute compréhension et de tout penchant pour l'Opposition de gauche.

On ne peut sortir de cette situation lamentable que par une offensive unificatrice, sans, bien sûr, se faire une idée trop optimiste ou idyllique de ses conséquences. Pour moi, il n'est pas exclu qu'il y ait dans les deux autres groupes des éléments de peu de valeur. Si tel est le cas - je ne peux d'ici me prononcer sur ce point -, il faut leur donner l'occasion de se compromettre sur une plus grande échelle, afin de pouvoir s'en débarrasser. Des groupes politiquement inviables peuvent stagner pendant des années. L'offensive unificatrice les ébranlera, brisera leur conservatisme et créera une situation nouvelle.

En Allemagne, nous n'avons pas craint de commencer par Urbahns (ce qui n'était certes pas sans dangers). Aujourd'hui, après l'offensive unificatrice, il est totalement exsangue et réduit à la dernière extrémité. En France, tous les partisans d'un autre regroupement (Paz, Souvarine, Treint), sont totalement vidés de leurs forces, isolés et rejetés sur la touche par la politique de La Vérité. Cela n'a pas été obtenu en leur présentant un catalogue détaillé de toutes leurs erreurs et en exigeant d'eux un acte de contrition, mais en les amenant systématiquement à se compromettre sur la base des questions programmatiques et stratégiques fondamentales de la dernière période.

Telle est la seule méthode à utiliser contre les éléments sans valeur, pour reprendre votre expression, ceux qui "sont peu critiques envers eux-mêmes". Bien sûr, une nouvelle scission après l'unification n'est pas à exclure, mais elle se produira sur une ligne nouvelle et représentera par là-même un progrès important. En Russie, notre unification avec le groupe de Zinoviev a par la suite mené à une nouvelle scission. Mais cette scission a totalement liquidé Zinoviev et ses plus proches partisans et de bons ouvriers sont venus à nous. Je ne connais aucune autre façon de procéder dans une telle situation. Si des amis du camarade Frey le soutiennent dans ses points faibles, je crains que, malgré ses éminentes qualités, nous continuions longtemps encore à piétiner en Autriche.